Griffon, Jaguar, Serval… Trois bêtes féroces en partie fabriquées à Limoges. Ces blindés font partie du programme Scorpion, un vaste plan de renouvellement des capacités de combat terrestre de l'armée de Terre. Une dizaine de milliards d'euros pour moderniser un parc vieillissant.
Le VAB, ou véhicule de l'avant blindé, est un vétéran toujours en service près d’un demi-siècle après sa mise en circulation, en 1976. Il a été conçu pour déposer les troupes au plus près des combats. L’an dernier, la France en a livré plusieurs dizaines aux forces ukrainiennes.
A 2000 km du front, au régiment de Brive, les jeunes recrues sont formées pendant trois semaines à la conduite du VAB. Sous le capot un moteur de péniche extrêmement bruyant. Sur le tableau de bord : pas d’électronique, et des commandes d’un autre âge.
L’instructeur, le major Thomas, a effectué de nombreuses missions embarqué dans le VAB, sur des terrains parfois très difficiles.
C’est un véhicule qui est vachement rustique mais qui franchit toute épreuve… que ce soit dans le froid, sous la pluie, dans le Sahara… Par contre il fait très chaud, c’est un four. Parfois on atteint les 50 degrés, et à l’intérieur du véhicule avec la plaque moteur qui est au fond, on peut atteindre 60-65 degrés et quand on est tous confinés à l’intérieur, même si on ouvre les trappes, il fait vraiment chaud.
Major Thomas, formateur VAB
Après 47 ans de bons et loyaux services, le VAB est en passe de faire ses adieux.
Son remplaçant s’appelle le Griffon. Un colosse d’acier de 25 tonnes, une puissance de 420 CV, pouvant transporter jusqu’à 10 hommes dans de bien meilleures conditions que le VAB. Son coût avoisinerait le million d'euros, mais c'est un saut en avant technologique. Sur le toit, un tourelleau armé d’une mitrailleuse et équipé d’une caméra, piloté depuis l’intérieur du véhicule.
Ce joystick, c’est comme une Playstation… J’ai le poste qui est devant moi, un peu comme une télé. Je peux repérer un ennemi, désigner un objectif, tirer jusqu’à 1600 mètres… ou envoyer des fumigènes pour camoufler notre position.
Caporal-chef Thierry, co-pilote Griffon
A ce jour, Brive n’a toujours pas déployé ses Griffons en zone de conflit. Mais ils sont mis à rude épreuve lors d’exercices, nécessitant un entretien quasi quotidien. Un garage a été spécialement construit au régiment pour pouvoir y rentrer la trentaine de Griffon du régiment.
Le sergent-chef Flavien est le jeune responsable d’atelier, devenu en très peu de temps un expert du Griffon, contacté par les équipes sur le terrain confrontées aux pannes. Le jour de notre tournage, ce sont des soldats en exercice à Mailly-le-Camp dans l’Aube qui l’appellent pour un problème de durite.
Une mécanique sans panne ça n’existe pas… On a des pannes parce qu’on l’utilise, on ne le ménage pas forcément… Mais j’aime la technologie, j’ai travaillé sur le char Leclerc avant, donc ça n’est pas un problème…
Sergent-chef Flavien, chef de l'atelier blindés du 126e RI de Brive
Pour le Griffon, tout commence à Limoges, dans l’une des quatre usines du groupe Arquus, filiale du groupe suédois Volvo. 6000 m² dédiés à la production du Griffon, du Jaguar, et de tous types blindés pour les armées du monde entier…
Laurent Bastide est le directeur du site : “Nous avons trois lignes d’assemblage, et un secteur dédié au programme Scorpion. Aujourd’hui c’est notre cœur d’activité, ça occupe 30 à 40% de nos effectifs.”
L’unité Scorpion est confidentielle, les caméras n’y sont pas les bienvenues. Dans le domaine de la défense, l’espionnage industriel est courant. Arquus y fabrique le moteur des Griffon, ainsi que des pièces de transmission. Ils sont ensuite assemblés chez son partenaire Nexter, à Roanne dans la Loire.
"Economie de guerre" ?
En juin dernier, devant les industriels de la défense, Emmanuel Macron annonçait l’entrée de la France dans une "économie de guerre".
Il faudra aller plus vite, réfléchir différemment sur les rythmes, les montées en charge, les marges… pour pouvoir reconstituer plus rapidement ce qui est indispensable pour nos forces armées, pour nos alliés et pour celles et ceux que nous voulons aider.
Emmanuel Macron à l'inauguration du salon Eurosatory
Pourtant, 6 mois après cette déclaration, l’usine de Limoges tourne encore au ralenti…
Nous pouvons en faire plus. Actuellement c’est quatre Griffon par semaine, car nous respectons les programmes et les commandes données par notre donneur d’ordre. Mais nous, uniquement le site de Limoges, nous avons une capacité qui peut être facilement multipliée par deux, voire trois.
Laurent Bastide, directeur de l'usine Arquus de Limoges
En attendant de nouvelles commandes du ministère des Armées, Arquus s’attelle à un autre chantier d’envergure : la rénovation de vieux VAB. Leur espérance de vie initiale est d’environ 40 ans.
Karim Akachaoui est technicien qualité chez Arquus : "Ça permet au véhicule de repartir pour un tour, d’être utilisé à très court terme. Le but c’est qu’il puisse être envoyé en opération le plus rapidement possible."
Un “lifting" intégral réalisé sous l’œil très pointilleux du premier client d’Arquus : la direction générale de l’Armement.
Elle possède des antennes partout en France, dont une à Tulle. Des représentants de son service qualité se rendent chaque semaine à Limoges pour suivre les étapes de la réfection de chaque véhicule. "Il faut que les forces armées puissent utiliser directement ces véhicules. On n’a pas le temps d’avoir des problématiques du type “ça arrive en régiment, ça n’est pas opérationnel, ça ne démarre pas"… Il faut que tout soit prêt.”
Preuve que le VAB a encore de beaux jours devant lui. Le Griffon ne devrait pas l’avoir complètement remplacé avant 2032.