Alors que plusieurs sites internet de collectivités sont victimes de piratages en France, le secteur agricole est, lui aussi, touché. Depuis la nuit du 14 au 15 décembre, la plateforme en ligne permettant l'identification des animaux d'élevage est inaccessible dans vingt-deux départements du sud-ouest, dont la Corrèze et la Haute-Vienne. Et le quotidien des agriculteurs est soudain devenu encore plus compliqué.
Ils sont retournés à l'âge des déclarations papier. Depuis le 15 décembre, environ 30 000 agriculteurs dans 22 départements du sud-ouest sont affectés par une cyberattaque. Ces 22 départements regroupent toute l'Occitanie, l'ancienne Aquitaine, la Haute-Vienne, la Corrèze et la Corse-du-Sud. Le logiciel de gestion des troupeaux Synel utilisés par les éleveurs bovins, ovins et caprins est inutilisable. Il n'y a pas que le logiciel Synel qui est affecté, ce sont plusieurs logiciels en lien avec l'agriculture qui ne fonctionnent plus.
C'est, en fait, l'hébergeur de ces logiciels, l'Arsoé de Soual, basé dans le Tarn et qui s'occupe de la mise en ligne des services digitaux agricoles, qui a été victime d'un piratage. En Limousin, la Creuse est la seule à ne pas être concernée puisque son système dépend d'un autre hébergeur.
Dans son élevage de Limousines de Saint-Yrieix-la-Perche, Julien Bonneaud, devant son ordinateur, ne peut que constater : "Aujourd'hui, quand on va sur le site, ça nous met 'désolé, impossible d'accéder à cette page"'.
Le logiciel Synel permet habituellement d'assurer l'identification des animaux en déclarant naissance, mort ou vente. Toute modification qui touche le troupeau doit y être scrupuleusement renseignée sous sept jours. En cas de manquement à ces obligations, les agriculteurs s'exposent à des sanctions financières lors des contrôles.
Chez Julien, une vache a perdu une de ses deux boucles. Il devrait normalement la commander à l'établissement de l'élevage du département, via le Synel. Sans les deux boucles, impossible en temps normal de la vendre, de l'amener à l'abattoir.
"Il faut tout reconstruire"
Dans une autre exploitation en Corrèze à Saint-Exupéry-les-Roches où nous rejoignons Daniel Couderc, le président de la chambre d'agriculture, des petits veaux, nés ces derniers jours, n'ont pas leurs boucles. "L'impact est important sur le commerce des petits animaux, comme ces petits veaux laitiers. Ceux qui naissent pendant cette période n'ont pas pu être déclarés et donc, en théorie, ne peuvent pas être vendus".
En théorie seulement, car les chambres d'agriculture concernées font en sorte de ne pas paralyser le commerce via leurs établissements de l'élevage (EDE) chargés de l'identification. "Ce que l'on conseille aux agriculteurs, c'est de téléphoner à leur EDE qui leur fera un passeport manuel et ça se régularisera une fois que tout sera revenu dans l'ordre", précise encore Daniel Couderc.
Pas forcément de quoi rassurer Julien Bonneaud qui craint des oublis. "J'aime bien tout déclarer au fil de l'eau. Là, rien n'est à jour. J'ai trente vaches qui sont parties. On en a acheté d'autres. L'inventaire, on ne sait même plus où l'on en est. Si ça dure longtemps, je pense qu'on va oublier des choses et derrière, qui sera pénalisé ? Nous !".
À l'Arsoé de Soual, l'hébergeur des systèmes informatiques agricoles, c'est le branle-bas de combat pour tout remettre en route. Et ça ne sera pas simple. "Il ne suffit pas de changer le mot de passe" confie, amer, Jean-Baptiste Saudan, le directeur. "Depuis l'attaque du 15 décembre, c'est tout le système qu'il faut reconstruire avec un niveau de sécurité supérieur. La base de données principale n'a pas été touchée. Les pirates ont crypté tout le système de sauvegarde et le serveur qui fait tourner les autres serveurs. Ils nous ont contactés via une messagerie cryptée pour obtenir une rançon, mais sur les conseils de la police, nous n'avons pas répondu". Une société spécialisée, ainsi que l'agence nationale de sécurité des systèmes d'informations (ANSSI) sont mobilisées. Les premières investigations conduisent vers un groupe de hackeurs connus qui agissent dans un but lucratif. L'Arsoé est durement affectée puisque plusieurs employés ont dû être placés en chômage partiel. Le système ne reprendra donc pas son activité normale tout de suite, le processus risque d'être long.
Des solutions dans l'urgence
Avertis, les agents chargés des contrôles sont pourtant censés s'adapter. En raison de la situation, les services de l’État dans les abattoirs vont, par exemple, alléger leurs inspections en cas de boucles manquantes sur les oreilles des animaux ou d’erreur de sexe sur le passeport. Des dérogations sont également accordées pour que les animaux ne restent pas bloqués.
Dans un communiqué destiné à la filière, la chambre d'agriculture de Haute-Vienne assure que "les premières expertises sont rassurantes". Pour tout besoin urgent, les éleveurs sont invités à contacter le service identification au 05.87.50.40.30 ou par mail à identification@haute-vienne.chambagri.fr.