Médicaments. La pénurie d’antibiotiques révèle une crise bien plus profonde

L’Agence nationale de sécurité du médicament a publié en fin de semaine dernière une alerte sur l’amoxicilline : cet antibiotique très courant fait l’objet de "fortes tensions d'approvisionnement en France". Si l’information fait beaucoup réagir, il ne s’agit ni d’une nouveauté ni d’une exception, et l’accès à certains médicaments ou dispositifs médicaux pose régulièrement problème, comme en témoignent des professionnels de Haute-Vienne.

Marion Lemaire est pharmacienne à Limoges et co-présidente du syndicat des pharmaciens de Haute-Vienne. Comme la plupart de ses confrères, elle rencontre actuellement des difficultés pour fournir de l’amoxicilline à ses clients.

Un constat unanime

L'alerte de l'Agence nationale de sécurité du médicament ne l’étonne pas : "Cette problématique n’est pas récente. Là, on en parle parce que ça touche l’amoxicilline, mais on a eu des pénuries sur la cortisone, des ruptures sur le paracétamol…"

Même expérience chez Brigitte Chassin, pharmacienne à Saint-Junien et secrétaire générale de l’URPS des pharmaciens en Nouvelle-Aquitaine : "Si on a sur la même ordonnance Amoxicilline, Doliprane en sachet, et Prednisolone, on ne peut rien donner." Elle voit aussi des pénuries sur des médicaments moins courants, comme des hormones de croissance ou même des anticancéreux : "Ça nous fait perdre un temps fou. Quand des produits sont manquants, il faut essayer de les trouver, il faut appeler les labos, ou il faut contacter le prescripteur, souvent des médecins hospitaliers plus difficiles à joindre. Pour les patients c’est une source de stress. Un cancer, c’est déjà assez compliqué à gérer."

Même à l’hôpital

À la polyclinique de Limoges, le constat est partagé, et la difficulté va au-delà des médicaments. Pierre-Olivier Chastenet, pharmacien gérant, témoigne : "Il y a des tensions sur les médicaments, mais aussi sur les dispositifs médicaux stériles, le matériel de bloc opératoire, les seringues… Toutes les catégories sont concernées, et ça dure depuis plusieurs années. Nous avons un préparateur à temps plein qui s’occupe uniquement de gérer la situation."

Au Chu de Limoges, Agnès Cournede-Décembre, en charge de l’approvisionnement, confirme le phénomène : "150 médicaments sont actuellement en rupture sur 3000 références. Au quotidien, c’est difficile et très lourd à gérer. Ça nous grève du temps qui n’était pas prévu."

"Comme pour le Covid, on s'adapte"

Comment faire face ? Armelle Marie-Daragon, chef du service pharmacie au CHU de Limoges, s’adapte, "comme pour le Covid" : "En cas de rupture, il faut d’abord trouver le fournisseur qui va accepter de nous livrer alors qu’on n’a pas de marché avec lui. Ensuite, il faut trouver la bonne quantité. Et si ce n’est pas exactement le même médicament, il y a un travail d’information avec les services de soins, pour éviter les effets indésirables. Des fois, c’est un médicament moins efficace..."

Brigitte Chassin regrette : "On essaye de jongler, mais on ne peut pas jongler si on n’a pas de balles. C’est un problème qui dure, qui s’aggrave, et qui est terriblement frustrant."

Une alerte ancienne

L’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament a vivement réagi au communiqué de l’ANSM, déplorant un "manque de proactivité des autorités sanitaires ces dernières semaines, et d’une manière générale depuis plusieurs années, pour prévenir les ruptures et pénuries qui mettent la vie des usagers et des malades en danger."

Selon l’observatoire, "cela fait des semaines que les médias américains titrent sur les pénuries et tensions de l’amoxicilline."

Des causes multiples

Pour expliquer cette situation, l’ANSM évoque la pandémie de Covid-19 : "la demande en amoxicilline avait très fortement diminué, conduisant à une réduction voire un arrêt de certaines lignes de production, qui n’ont pas retrouvé leur capacité de production d’avant la pandémie."

L’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament pointe, de son côté, d’autres facteurs, comme "la concentration de la production de la matière première, notamment en Chine et en Inde, qui fragilise la chaîne d’approvisionnement." L’observatoire note également que "la crise de l’énergie impacte directement les producteurs de matière première pharmaceutique qui ferment des sites de production."

Localement, les pharmaciens interrogés ont encore d'autres explications. Pour Marion Lemaire, "il y a un manque de production en local, un manque de circuits courts, des marchés financiers qui nous échappent…" Selon Brigitte Chassin, "on est confrontés aussi à la concurrence des autres pays qui proposent des prix plus élevés pour les mêmes produits." Pour Agnès Cournede-Décembre, difficile de privilégier un motif : "C’est multifactoriel. À chaque rupture, il y a une raison différente. On a beaucoup de principes actifs fabriqués et Inde ou en Chine, et s’il y a un problème sur la production, ça se répercute au niveau mondial. Il y a aussi le fret, le transport maritime…"

Un sujet politique

Le ministre de la Santé François Braun s’est exprimé sur le sujet ce dimanche dans l’émission "Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI". Selon lui, la pénurie de paracétamol dans les pharmacies sera réglée "dans les semaines qui viennent" et celle de l’antibiotique amoxicilline "dans les semaines, les mois qui viennent". Mais il n’y a pas plus de précisions sur ces délais.

Concernant l’amoxicilline, il appelle les médecins et les patients à n’utiliser cet antibiotique que si cela est vraiment nécessaire. Une position étonnante, comme s’il fallait attendre une pénurie pour utiliser ce médicament correctement.

Enfin, le ministre évoque le plan "France 2030" du gouvernement qui doit permettre de "rapatrier toutes ces industries qui produisent ces médicaments essentiels en France, en Europe, pour assurer notre souveraineté." Mais là encore, il y a peu de précisions.

Le député LFI de Haute-Vienne Damien Maudet, très porté sur les problématiques de santé, a posé vendredi dernier une question écrite au gouvernement intitulée : "pénurie dramatique de médicaments essentiels : quand réagirez-vous ?" Aujourd’hui, il veut aller plus loin : "Je suis en train de voir comment on peut mettre en place une commission d’enquête parlementaire." Damien Maudet voudrait notamment pouvoir "garder l’œil" sur les stocks de médicaments : "Il faudrait pouvoir anticiper plusieurs mois à l’avance. Le mieux ce serait une production européenne, mais je pense quand même qu’il y a des questions à se poser pour mettre en place au moins un stock stratégique."

Après la désertification médicale, après la crise à l’hôpital public, les difficultés d’approvisionnement en médicaments risquent de devenir un nouveau sujet très sensible dans le monde la santé.

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