AIDES Limousin accompagne depuis 2016 les travailleuses du sexe à Limoges, Poitiers et la Rochelle, pour les sensibiliser à leur santé et à leurs droits. Une mission de 5 ans dans le cadre d'un appel à projet. Le Covid-19 vient quelque peu perturber ce lien
Le Champ de Juillet à Limoges est bien désert depuis ces semaines de confinement. Les caméras installées n'ont pas grand chose à filmer en dépit du soleil qui inonde le parc. Même aux abords, on n'aperçoit plus ces quelques femmes qui se positionnaient parfois, dans l'attente d'être repérées par un homme au volant de sa voiture.
Elles sont françaises, de Limoges pour quelques unes, depuis plusieurs années. Elles sont aussi nigérianes, camerounaises, bulgares. Certaines sont déclarées. D'autres ne font que passer par Limoges. Elles parlent français, un peu, pas du tout. Il y a ce qui les unit, les épreuves souvent, les traumatismes parfois. Et il y a ce qui les isole : le manque d'information. Les nouvelles ne connaissent pas leurs droits, ne savent pas qu'elles aussi peuvent consulter une assistante sociale, un médecin, un dentiste. Elles savent juste qu'elles sont regardées différemment par la société et elles font avec. Elles gardent pour elles leurs peurs, leurs incompréhensions, leur solitude.
C'est pour les sortir de cet isolement que l'Agence Régionale de Santé a lancé, en 2016, un plan sur 5 ans pour permettre un meilleur accès aux soins et aux droits sociaux des personnes prostituées. A Limoges, Poitiers et la Rochelle, c'est l'association AIDES Limousin qui s'en est chargée. Elle a apprivoisé ces "luciolles" comme elle les appelle, pour mieux connaître leurs besoins. Puis il a fallu évaluer les moyens, pour ensuite passer à l'action. Jour après jour, les membres de l'association sont devenus des référents de confiance auprès de ce public vulnérable.
La situation sanitaire liée au covid-19 met aujourd'hui en parenthèse ce travail quotidien.
Des maraudes et des ateliers suspendus
Lorsque ce programme d'autonomie des travailleuses du sexe dans l'accès aux droits et aux soins a démarré en novembre 2016, les maraudes qui n'existaient jusque là qu'une seule fois par mois ont été augmentées. Carole Desachy, responsable du programme à Limoges, se souvient du changement radical.
C'était nettement insuffisant. Nous sommes passés à 4 après-midi et 2 soirées de visites par mois. Comme ce sont des personnes méfiantes, leur confiance n'a pas été gagnée tout de suite mais ça a porté ses fruits
120 personnes environ sont visitées lors des maraudes. La dernière date du 12 mars. Depuis l'annonce du confinement, ces contacts sur le terrain n'existent plus. Ne restent que les permanences au local de l'association, sur rendez-vous téléphonique uniquement.
Les personnes prostituées savent en effet qu'elles peuvent y trouver des kits d'hygiène pour maintenir une sécurité sanitaire liée à leur activité. Le Covid-19 a modifié quelque peu ce kit :
"Nous leur avons donné du gel hydroalcoolique, des gants... évidemment pas de masque faute d'en avoir. Nous leur avons donné des attestations en leur expliquant qu'elles ne pouvaient plus rester sur la voie publique, que leur activité n'entrait pas dans les cas prévus. On les a vues toutes très inquiètes, se posant beaucoup de questions sur ce que voulait dire ce confinement, sur la verbalisation possible par la police et bien sûr sur l'hygiène" ajoute Carole Desachy.
Les ateliers organisés par l'association ont également été suspendus. Des ateliers cuisine, coiffure, danse, relaxation, bien-être... pour leur permettre de se retrouver ou de se connaître, mais aussi pour échanger sur les situations qu'elles traversent ou au contraire pour se changer les idées. Lors des ateliers cuisine par exemple, elles partagent leurs recettes et c'est une façon de les faire parler de leur pays d'origine. Carole Desachy poursuit :
Le confinement depuis ces quatre dernières semaines a stoppé net ces échanges qui leurs apportaient une vraie bouffée d'oxygène dans leur quotidien. Ces ateliers étaient attendus. Certaines ne décrochaient pas leur téléphone pendant l'atelier, c'était leur moment à elles
Depuis la pénalisation du client en 2016, l'association a assisté à une augmentation de la violence dans les pratiques sexuelles. Les hommes font signe aux prostituées en passant avec leur voiture aux abords du Champ de Juillet puis les font monter dans les rues adjacentes, plus isolées et surtout hors de la portée des caméras.
"Le client se dit être le roi et au prétexte de prendre des risques, il impose des situations qu'on voyait plus rarement avant. Elles savent que nous avons une permanence, elles peuvent toujours nous en parler, mais il faut appeler, prendre rendez-vous avant, la spontanéité est moins là".
Plus de prostitution de rue, plus d'argent
Dans les jours qui ont suivi le confinement, 7 appels sur 10 ont concerné la question alimentaire. Faute d'argent, les inquiétudes pour se nourrir se sont vite manifestées, d'autant que le Secours Populaire, les Restaurants du coeur ou la Croix Rouge ont également fermé leurs points de distribution.
Une prostitution de rue qui s'est mise au virtuel
L'association a vu également basculer la prostitution de rue vers d'autres pratiques. La prostitution virtuelle permet habituellement la mise en relation directe par les réseaux sociaux ou les sites dédiés avant la rencontre physique. En plein essor, elle a même supplanté la prostitution de rue compte-tenu de la discrétion qu'elle permet. D'autres profils de femmes sont apparus, pour payer des études, pour obtenir des compléments de salaires ou de retraites. L'association AIDES Limousin a réussi aussi, au fil du temps, à entrer en contact avec celles qui la pratiquent. Avec le confinement, celles qui étaient dans la rue se sont mises au mode "shows en ligne" qui a aussi augmenté. Les sites existent, leur accès est facile.
Mais ce ne sont pas du tout les mêmes revenus. Et puis la vidéo, ça va 5mn pour la majeure partie des clients. Il y en a moins.
Le confinement... comme un scénario de fin de suivi sanitaire
La situation du confinement confronte les membres de l'association AIDES Limousin à ce que pourrait être la fin de la mission d'accompagnement sanitaire en 2021, s'il n'était pas reconduit.
"Or on en mesure déjà tous les bénéfices : cette prise de conscience de l'importance de prendre soin d'elles, d'aller consulter régulièrement un médecin gynécoloque, un dermatologue, un dentiste, de se permettre des questions comme pourquoi je dors mal, d'accepter de suivre un traitement pour se soigner, d'être à l'écoute de son corps et plus dans le renoncement de soi parce que je n'ai pas d'argent... sont autant de pas gagnés pour elles d'abord, parce qu'elles voient que c'est aussi une fierté, et pour la société" ajoute Carole Desachy.
Les membres de l'association sentent que beaucoup commencent à sombrer dans un état dépressif. Les Bulgares voient s'éloigner la possibilité de voir leur famille cet été, faute d'argent. Les Camerounaises ne peuvent plus non plus envoyer de l'argent à leur famille au Cameroun, alors même qu'elles n'ont jamais dit à leurs proches comment elles gagnaient en réalité cet argent.
Lors des permanences sur rendez-vous désormais, les kits d'hygiène sont déposés devant la porte du local. Il n'y a plus que des contacts téléphoniques. Pour Carole Desachy, cette mise à distance de circonstance est étrange.
Ce sont des personnes qui sont souvent contentes de nous voir, elles prennent facilement dans les bras, nous font habituellement la bise... il a fallu mettre les fameuses barrières de sécurité, ça change !