Présenté au centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane en plus d’une exposition temporaire, le spectacle intitulé : Tout dépend du nombre de vaches, existe en deux versions et relève ainsi un défi, celui de raconter aux enfants l’horreur de 1994.
Tout dépend du nombre de vaches, c'est l'histoire d'Hadi, 11 ans qui part à la recherche de sa sœur et surtout de sa radio. Nous sommes dans un pays imaginaire qui ressemble à s'y méprendre au Rwanda. Ce spectacle conté est une manière de prendre le contrepied de l'Histoire. La radio, instrument de la propagande des génocidaires, est ici un objet de quête pour l'enfant qui cherche à comprendre.
Quand on connait un peu l’actualité du Rwanda, on sait le rôle qu’a joué la radio dans la montée des violences. Et d’ailleurs le fil rouge, c’est cette radio qui se trouve également être rouge. On a le sentiment que l’auteure de la pièce prend le contre-pied, c’est-à-dire que la quête de la radio, c’est la quête de l’enfant. Pourquoi avoir fait ce choix du contre-pied, alors que l’on sait que la radio a été l’accélérateur du massacre ?
« C’est fait exprès, explique Dalila Boitaud Mazautier, la metteure en scène. C’est aussi, justement pour montrer comment dans ces moments dramatiques de l’Histoire, les jolies petites choses du quotidien, comme cette radio, qui pour cet enfant est quelque chose de précieux parce que c’est sa musique et parce qu’il l’aime. On voit comment cet objet est détourné par l’entreprise d’extermination et comment cette entreprise vole aussi à l’humanité des choses qui au départ ne sont pas des armes ».
A l’issue du spectacle, on a le sentiment que la poésie c’est la meilleure façon d’accéder au cœur des enfants, de leur parler de cette histoire tragique.
« Je ne sais pas si c’est la meilleure façon, en tous cas, c’est celle que j’ai adoptée, rappelle l’auteure et metteure en scène. C’est-à-dire qu’à partir du moment où j’ai assumé l’idée d’être capable de raconter cette histoire à des enfants, j’ai vraiment cherché l’allégorie. D’ailleurs, j’ai commencé à travailler avec un conteur, au départ. Vraiment avec les codes du conte, avec l’identification au personnage, la quête etc. pour que vraiment l’enfant puisse partir dans cette histoire et être embarqué. Et que dans ce voyage, on puisse lui apporter des informations, qu’on avait envie de lui donner. Mais tout en lui proposant un voyage aussi presque géographique. C’est pour ça aussi que j’ai gardé les noms des villes. Même si les enfants ne sont sans doute pas capables de les situer, mais parce que j’aimais bien aussi l’idée d’un ailleurs, qu’ils puissent se fabriquer un imaginaire avec cette réalité-là. Il y a plusieurs façons de narrer. On a par exemple dès le départ, associé le travail des musiciens à l’écriture. Je trouvais que la musique était importante aussi comme un autre langage. Et puis tout le théâtre d'objets, qu’a proposé Hadi Boudechiche, et qui permet encore une fois, un autre outil pour emmener les enfants avec nous. Sans être frontal, avec cette histoire ».
Défi relevé par les comédiens de la compagnie Uz et coutumes : parler de la mémoire de millions de morts à des adultes et à des enfants dans deux versions d'un même spectacle.
« C’est un très bon spectacle, et j’en ai retenu que le racisme c’est mal et qu’il ne faut pas discriminer les gens sans aucune raison »
Ismaïl12 ans, spectateur
confie Ismaïl, 12 ans, venu avec ses parents.
« On en sort bouleversée, on n’a pas beaucoup de mots pour décrire l’émotion qui est passée, c’était très très fort. », raconte Vivianne émue aux larmes.
Pour les comédiens, jouer dans le centre de la mémoire à Oradour, même pour une date, est un moment particulier : « C’est très important de crier à tue-tête même, qu’il ne faut pas surtout pas que ça se reproduise et jouer dans ces lieux de mémoire, c’est aussi rendre un peu hommage à ces victimes-là, de l’Histoire dont on traite aujourd’hui ici, mais aussi aux victimes de ce lieu », insiste Hadi Boudechiche, comédien et metteur en scène de la version pour enfants.
« La pédagogie, c’est quelque chose d’extrêmement important, ça fait partie de nos missions essentielles ici », enchaîne Babeth Robert, directrice du Centre de la mémoire. « Il était important pour nous, ajoute-t-elle, de faire venir ce spectacle notamment la version consacrée aux enfants. Parce que parler d’un évènement comme le génocide des Tutsi au Rwanda, qui a fait 1 million de morts en 3 mois, à des enfants, âgés à partir de 7 ans, c’est difficile. Là-dessus, en tant que pédagogue, on peut se poser la question, de comment on fait. La représentation que nous avons eue aujourd’hui me paraît être une façon de dire, sans dire. De faire comprendre, de faire sentir, sans sombrer à aucun moment dans le pathos, et je crois que c’est vraiment une prouesse intéressante. »
Le spectacle a d’abord été joué au Mémorial de la shoah à Paris, avant d’être joué en Limousin, puis bientôt sur place au Rwanda.
« Tout notre travail consiste à aider les gens à connaître et à comprendre les mécanismes, qui peuvent donner lieu à des massacres, comme celui d’Oradour, ou à d’autres évènements comme le génocide des Tutsi. Ce sont des évènements qui sont très différents, mais les mécanismes qui sont à l’œuvre, les mécanismes du racisme, en particulier, méritent d’être expliqués, et nous essayons de faire en sorte que les gens comprennent, ce qui s’est passé à Oradour, le 10 juin 44. Ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 », complète la directrice du centre de la mémoire.
« Nous vivons une époque particulière, en ce moment, à l’approche de la présidentielle française, prévient le comédien Hadi Boudechiche. Jouer ce spectacle est aussi une façon de rappeler que les horreurs du passé peuvent recommencer si l’on n’y prend pas garde, c’est le rôle de l’artiste de prendre en charge ce rôle-là, avec le matériau de l’émotion ».
Une exposition temporaire sur le génocide des Tutsi est visible au centre de la mémoire d'Oradour jusqu’au 27 mars prochain. Un séminaire de recherche a lieu ce vendredi et ce samedi au centre de la mémoire. Il réunit des chercheurs internationaux. Leur rencontre a pour thématique : Les villages martyrs en Europe. La journée a commencé tout à l’heure par une visite du village martyr, s’en sont suivies plusieurs sessions de travail avec plusieurs chercheurs français, une universitaire italienne, américaine, et grecque. La chercheure américaine a travaillé sur le village martyr de Lidiche en République tchèque. La chercheure italienne s’est consacrée à l’étude du village de Marzabotto.
Ce premier séminaire c’est le premier d’un cycle de plusieurs séminaires à travers l’Europe. Il prendra fin par un colloque de restitution qui aura lieu à Oradour probablement début 2024. Est présente également la géographe, spécialiste du tourisme mémoriel, Anne Herzog. Ce cycle s’inscrit dans un programme de recherches qui s’appelle Ruines et dont le coordonnateur est professeur à l’université de Lille, Stéphane Michonneau.