En août dernier, Yann Moine, vigneron charentais, avait laissé trois centaines de bouteilles sur les parcs de l'unique ostréiculteur de l'île d'Aix, Franck Speisser. Huit mois plus tard, il est allé faire "les vendanges", à marée basse, évidemment.
"Il n'y a plus qu'à sortir le tire-bouchon, les huîtres sont déjà sur les bouteilles !". Exceptionnellement, ce jeudi 27 mai, Yann Moine a quitté ses vignes de Chassors, près de Cognac, pour aller faire des "vendanges" improbables sur l'île d'Aix, en face de La Rochelle. Profitant de la marée basse, il est venu voir l'état des bouteilles qu'il avait laissées en août 2020 sur les poches d'huîtres de Franck Speisser, l'ostréiculteur aixois. Effectivement, coquillages et crustacés ont pris leurs aises. Huit mois de marnage, de vents, de pluies et de soleil et un premier constat positif pour ceux qui auraient pu douter de la probité des insulaires : le trésor est toujours là.
En tout, ce sont près de 300 bouteilles qui ont passé l'hiver sur l'estran, baignées par les marées. Du rosé, du pétillant, mais surtout du chenin blanc qui fait déjà la renommée du domaine des frères Moine. "J’ai un collègue dans l’entre deux mers qui fait ça en Normandie dans la Manche et je trouvais le concept assez sympa", explique le vigneron, "le présupposé, c’est que cet élevage immergé à basse température puisse avoir une influence sur la maturité du vin. Mais l’idée, c’était d’abord de s’amuser, d’aller installer les bouteilles sur l’estran dans les poches d'huîtres. Avec Franck Speisser, j’ai fait une super rencontre humaine. C’est un échange entre les paysans de la terre et les paysans de la mer".
Déjà quatre-vingts bouteilles ont été réservées
Cela fait maintenant douze ans que Yann et son frère Gabriel ont repris le domaine familial d'une quarantaine d'hectares consacré, essentiellement, à l'élevage d'ugni blanc pour le cognac et le pineau. Déjà précurseurs, leur père et oncle avait déjà créé "le Circuit du chêne" qui permet aux visiteurs de la région de découvrir les métiers de la vigne, du mérandier au tonnelier jusqu'au bouilleur de cru. On aime innover chez les Moine. Très vite, les jeunes frangins se sont diversifiés avec quelques parcelles dédiées à du vin de pays. Un jour, ils imaginent même que leur exploitation pourrait devenir un lieu d'exposition d'art contemporain avec "le Preswar" en invitant des artistes en résidence. Bref, les frères Moine sont en mission. Alors pourquoi pas lancer des bouteilles à la mer.
"La différence n’est a priori pas délirante", avoue Yann Moine, "mais il faut encore déguster à tête reposée. J’ai quand même le sentiment que le vin a plus de rondeur et de fraîcheur, mais pas plus d’acidité. L’effet mer n’accélère pas le vieillissement, mais ça lui donne plus de tendresse. Je vais faire une dégustation avec des prescripteurs, mais, d’ores et déjà, j’ai quatre-vingts bouteilles qui ont été réservées. Je vais en parler avec des restaurants avec lesquels je travaille déjà comme Christopher Coutanceau à La Rochelle".
D'ores et déjà, la cuvée est à déguster au Bar Beau Teint, l'estaminet de Tony Papin sur l'île et, bien sûr, chez Franck Speisser, l'ostréiculteur insulaire. A l'avenir, les Frères Moine réfléchissent à réitérer l'expérience à l'automne prochain avec, notamment, un nouveau pétillant naturel. "Ce sera un vin sans souffre, élevé sur lies, une sorte de champagne punk", explique Yann, "dès la mise en bouteille, on le capsulera et on filera en vitesse sur l'île où il pourra finir sa fermentation en mer, sous l’eau à basse température, avec des cols cachetées sous cire. On n’a juste ouvert une porte là". Une porte et, à tout le moins, la curiosité des amateurs. Avec modération, comme on dit sur l'île d'Aix...