"La Présidente", une BD d'anticipation politique. François Durpaire et le dessinateur Farid Boudjellal imaginent les cent premiers jours de Marine Le Pen à l'Elysée. Natif de Poitiers, l'universitaire et historien était l'invité du 19/20 présenté ce mercredi soir par Sophie Goux.
En 2007, j'avais anticipé la victoire d'Obama à la présidentielle américaine. Aujourd'hui, j'ai la conviction que Marine Le Pen sera élue dans 18 mois"
François Durpaire en est convaincu : Marine Le Pen sera la prochaine présidente de la République. Pour lui, il serait même dangereux de "ne pas examiner la possibilité de son accession au pouvoir".
Les événements tragiques que viennent de connaître la France ne rendent, selon lui, que plus évidente la victoire du Front National, a-t-il ajouté sur l'antenne de France 3 Poitou-Charentes. "Un phénomène visible ne serait-ce que dans la région, où le parti frontiste a gagné plus de 7 points", a-t-il insisté.
L'universitaire décortique, cite et analyse abondamment le programme du Front National dans cette BD de 160 pages. La priorité nationale, la sortie de l'euro, la "remigration" - le renvoi des étrangers -... Chacun des projets de la dirigeante frontiste est méticuleusement mis en oeuvre avec "le souci d'être le plus réaliste possible".
Mai 2017. Le pays assiste, incrédule, à la passation de pouvoir entre François Hollande et Marine Le Pen. En quelques semaines, La France se déchire. Des affrontements éclatent en Nouvelle Calédonie, des manifestations tournent à l'affrontement, l'audiovisuel public se met en grève, les journalistes sont fichés...
Natif de Poitiers, François Durpaire nous explique dans cette interview en quoi il a tenté de faire de son récit d'anticipation une description précise et documentée de la France gouvernée par le Front National.
Pourquoi avoir voulu présenter l'ascension de Marine Le Pen en BD ?
- Je ne voulais pas faire une BD au départ, mais un essai ou un roman d'anticipation. Puis j'ai été convaincu par mes éditeurs et par ma rencontre avec Farid Boudjellal. Pour tous les lecteurs que j'ai rencontré, le choc visuel a été très important. On a vraiment l'impression d'être à l'Elysée lors de la passation de pouvoir. Farid Boudjellal a changé son trait pour qu'il soit le plus réaliste possible et c'est extrêmement bien réussi.On croirait voir des photos parfois. Et ce n'est pas forcément qu'une illusion. Par exemple, le plateau de BFM. Pour que tout soit le plus exact, j'ai donné des photos du plateau et des coulisses de la chaînes à Farid pour qu'il puisse les dessiner. Puis, il y a quelques mois, BFM a choisi de changer son plateau... Farid était désespéré et pour que tout soit le plus réaliste possible, il a redessiné toutes les planches où on voyait le plateau. Le réalisme de la BD a vraiment viré à l'obsession !
Dans votre BD, le Front National utilise une forme de novlangue pour faire accepter ses réformes. D'où vous est venue cette idée ? Est-ce l'influence de "1984" ou est-ce un phénomène déjà observable ?
- On a tenu à ce que notre récit soit le plus crédible, le plus réaliste possible. Au point que Farid Boudjellal a rencontré Marine Le Pen pour être au plus près de la réalité.Or, ce qui est frappant au Front National, c'est la dichotomie entre la langue utilisée en interne et le discours en externe. Certes, c'est le cas dans tous les partis, mais il est crucial de comprendre cette dimension pour appréhender la stratégie frontiste. D'ailleurs, à chaque fois que des éléments du discours internes fuitent, cela fait polémique.
Pour le FN, la langue est une arme. Avant d'être politique, son combat a été sémantique. Cela a si bien fonctionné qu'on ne parle plus de dédiabolisation du FN puisqu'il a rejoint désormais les partis traditionnels. Dans la BD, quand nous parlons de son "ministère des souverainetés" qui remplace le ministère de l'économie, nous ne faisons que reprendre son programme. Et quand nous présentons son "ministère de l'indépendance de la presse", nous ne faisons que suivre cette même logique : afficher l'inverse de ce qu'ils s'apprêtent à faire s'ils étaient élus.
Craigniez-vous vraiment que des groupes bien plus radicaux profitent de l'avènement de Marine Le Pen, comme c'est le cas dans votre récit ?
- Là encore, nous avons voulu que notre scénario soit crédible et il l'est : la mouvance identitaire s'y prépare déjà. Dans l'Histoire, les gouvernements ont toujours gouverné plus au centre qu'ils ne l'avaient annoncé durant leur concours. Tous, sauf les partis extrémistes.Aujourd'hui, il y a des dissensions entre le FN et les identitaires, qui considèrent que Marine Le Pen est un cheval de Troie. Ils laissent tranquille la présidente du FN pour qu'elle gagne les élections, tandis qu'eux pénètrent la société, notamment en investissant les réseaux sociaux. Caroline Fourest l'a très bien montré dans son documentaire (à voir à 36:20). Cette frange identitaire attend la victoire de Marine Le Pen pour pouvoir peser sur ses choix politiques et assumer pleinement sa radicalité.François Durpaire donnera une conférence publique à 18h30 dans l'amphithéâtre Simon Bolivar du campus du collège universitaire de Science Po. Conférence suivie de la signature de son ouvrage.