Dix détenus issus d'établissements pénitentiaires d'Île-de-France se sont réunis mercredi à la BNF pour des échanges littéraires. Avant dernière étape dans le processus de sélection du Goncourt des détenus avant la proclamation du lauréat 2024 le 17 décembre prochain.
"Ce qui me plaît surtout, c'est que je viens d'entendre une personne à côté de moi qui disait : je vais vraiment relire le livre de Madelaine avant l'aube (de Sandrine Collette aux éditions JC Lattès) parce que j'ai dû mal le lire ou j'ai dû le lire de travers ! D'entendre ça, je me dis qu'on a eu peut-être quand même des arguments qui étaient convaincants".
Au 18e étage de l'une des tours de la Bibliothèque François-Mitterrand, deux détenus issus de la maison centrale de Poissy, Jean-Marc et Phillipe (prénoms d'emprunt) débattent avec d'autres prisonniers provenant de quatre autres établissements pénitentiaires de la région. Quatre femmes, six hommes, la moitié d'entre eux en visioconférence et l'autre moitié en permission de sortie font table ronde ce matin. Une délibération littéraire organisée pour la sélection du Goncourt des détenus 2024.
Comme dans les autres établissements franciliens, les détenus de la maison centrale de Poissy après de multiples débats depuis le mois de septembre, ont sélectionné parmi les 16 livres de la sélection Goncourt 2026, trois ouvrages.
Jean-Marc et Laurent ont été désignés pour défendre le podium littéraire de Poissy. Les discussions s'annoncent franches. Les détenus, représentant les autres maisons comme Fresnes ou Versailles, ne partagent pas visiblement les mêmes coups de cœur littéraires.
Une délibération au sommet
"Soyez convaincu que votre avis compte ! ", déclare en préambule Thomas Chardon, libraire à Poissy, pour rassurer les détenus. Du haut de la tour 2 de la BNF, la vue est imprenable. Avant d'entamer les débats, les discours officiels se succèdent. Un premier instant solennel. Ce débat est un nouveau chapitre avant la proclamation du lauréat prévu le 17 décembre.
Les détenus présents font table ronde devant un parterre de représentants du Centre national du livre, de l'administration judiciaire, de la BNF. "Il faut les rassurer sur le fait qu'ils sont tout à fait légitimes à être là aujourd'hui", explique Thomas Chardon.
Les détenus des cinq établissements pénitentiaires ont présélectionné sept ouvrages qui sont ce matin au menu du débat. Les échanges critiques sont courtois, s'animent lorsqu’une des jurées défend ardemment son premier choix littéraire. À la fin de cette séance, il faudra voter pour élire les deux livres qui représenteront la sélection des détenus d'Île-de-France lors de la délibération finale et nationale prévue le 17 décembre. Cette année, 45 établissements pénitentiaires participent à cette troisième édition de ce Goncourt des détenus.
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"Est-ce qu'on peut tout dire ou pas tout dire dans un roman ?"
Philippe (en visio conférence de Poissy) argumente en faveur de Madelaine avant l'aube. "Quand je l'ai lu, je me suis forcée à ne pas refermer le livre"."Captivant ! Un livre que tout le monde devrait avoir lu", renchérit un détenu de Fleury-Mérogis.
Autour de la table, des détenus évoquent le rejet de certains ouvrages qui ont choqué certains d'entre eux. "Trop de scènes crues", "des positions idéologiques" qui ne passent pas. "A-t-on le droit de tout écrire ?" Jean-Marc prend la parole. "Est-ce qu'on peut tout dire ou pas dans un roman ? Moi, je le considère qu'on peut tout dire. On n'est pas obligé de tout lire, mais en tout cas, on a le droit de tout écrire dans un roman."
"J'ai senti des jurés à l'aise, alertes, qui étaient prêts et qui avaient des arguments à faire valoir. Je les ai sentis tout à fait compétents pour parler de livres", se félicite Thomas Chardon, l'animateur du débat qui s'investit depuis plusieurs années dans la promotion de la lecture auprès des détenus de Poissy.
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Jean-Marc ne sait pas encore qui sera le détenu choisi pour défendre la sélection des établissements d'Île-de-France le 17 décembre prochain lors du vote final. Lecteur assidu, enrichi par son expérience de juré au Goncourt, il songe à d'autres lectures lorsqu'il sortira bientôt de prison.
"En détention à Poissy, on a une bibliothèque. Mais pour tout ce qui est nouveautés, tout ce qui est coup de cœur, tout ce qui est médiatisé, on n'a pas accès. On a un café littéraire formidable, mais pour autant on n'a pas ce choix personnel d'aller lire une quatrième de couverture en librairie. J'aurai au moins ça dehors, de me dire que je vais enfin pouvoir m'acheter les livres dont j'ai envie."