Ils sont condamnés à de longues peines et participent à la sélection du Goncourt des détenus. A la maison centrale de Poissy dans les Yvelines, ces prisonniers sont invités à débattre lors de cafés littéraires organisés depuis dix ans dans l'enceinte de l'établissement pénitentiaire.
Une dizaine de portes avec barreaux à franchir, des sas d'accès sous vidéo surveillance, des portiques de détection, voilà une dizaine d'années que Catherine le Faou se soumet au parcours imposé par l'administration pénitentiaire pour accéder à son bureau situé au cœur de l'établissement. Cette professeure de lettres dirige le centre scolaire de la maison centrale de Poissy qui accueille environ 240 détenus pour de longues peines.
En 2014, Catherine le Faou a créé un café littéraire dans la maison centrale. "Quand j'ai commencé le premier café littéraire un samedi matin, j'avais trois gars : l’auxiliaire de la bibliothèque et deux de mes élèves dont un qui ne savait pas lire et on s'est dit : "ouh là là ! qu'est-ce qu'on va faire ? J'ai quand même fait une séance comme s’ils étaient 15", se souvient l'enseignante.
Déterminée à installer durablement ce rendez-vous littéraire, elle sollicite l'appui et l'intervention régulière de Thomas Chardon, le patron d'une librairie indépendante de Poissy, Le Pincerais. Elle "importe" dans les murs de la prison un prix littéraire créé par la librairie et invite des auteurs.
"Les détenus ont vu qu’il y avait un truc qui se passait, différent d'ailleurs. Ils ont vu que l'ambiance était bienveillante, qu'on ne se la pétait pas, que la règle du jeu était une parole égale qu'on soit prof, libraire, invité ou personne détenue. On parle d'un livre et la parole a le même poids", souligne-t-elle.
A lire aussi : REPORTAGE. Goncourt des détenus : "il y a encore un an, ce détenu ne lisait pas de livres"
Le choix de Poissy
Aujourd'hui, Catherine Le Faou peut compter sur la participation "d'environ 17 détenus" deux fois par semaine et ce qui agite les débats depuis septembre dans la bibliothèque située au-dessous du centre scolaire, c'est la sélection du Goncourt des détenus.
Depuis septembre, des détenus de 45 établissements pénitentiaires - 5 établissements en Île-de-France - lisent les ouvrages et en débattent. 16 livres sont en lice. La même sélection que le Goncourt officiel.
Chaque établissement doit en sélectionner trois. Le 27 novembre, deux détenus représentants la maison centrale de Poissy auront la tâche de défendre les coups de cœur littéraires de la maison centrale de Poissy devant un parterre d'autres détenus d'établissements d'Île-de-France. Une délibération régionale qui se tiendra à la Bibliothèque nationale de France.
Ce sera l’avant-dernière étape d'un long processus de sélection avant une délibération nationale organisée le 7 décembre par le Centre national du livre qui porte l'opération Goncourt des détenus.
Jean-Marc qui représentera le 27 novembre la maison centrale de Poissy a fait son choix depuis longtemps. 'Madelaine avant l’aube' de Sandrine Collete, publié chez JC Lattès l'a complètement captivé. Un ouvrage également plébiscité par le groupe de détenus lecteurs de Poissy.
"On est tout de suite immergé dans une espèce de huis clos dans lequel on a envie d'avancer. Il y a une montée en puissance, une intensité et on a envie de savoir. Il y a vraiment une construction dans le roman qui fait qu'on ne peut pas le lâcher", s'enthousiasme Jean-Marc.
C'est un texte d'une générosité incroyable d'une lucidité sur la misère, la cruauté de la vie et le pouvoir de résilience d'un individu", déclare l'enseignante. "Je pense que c'est ça qui résonne en eux. On peut se retrouver à avoir pris 20 ans et être à Poissy. Et pour autant, il y a une lumière quelque part et on peut y arriver. On peut avoir la foi et ce collectif est une force", ajoute-t-elle.
Marque-page, logo et plexiglas
Dans la salle de la bibliothèque, les livres de la sélection Goncourt sont mis en avant, maintenus debout grâce à de petits plexiglas. Catherine Le Faou présente aux détenus assis en cercle, le projet d'un logo et d'un marque-page portant les couleurs et le slogan 'Enlivrons-nous' du café littéraire de la maison centrale. " Tous ces objets, ce sont des petits riens, mais ça fait fonctionner le groupe", analyse-t-elle.
Au cours de cette séance, la professeure de lettres assisté par le libraire Thomas Chardon, cite quelques phases de détenus entendues ces dernières semaines lors de ses cafés littéraires. "La vie fait moins mal quand on la vit avec des mots", "lire comme ça me rend fier" ou plus décalé, au sujet d'un auteur invité à Poissy, et qui déclarait s'intéresser au thème du crime : "alors si je peux me permettre, continuer la littérature, nous le crime, on connaît et ça ne nous plaît pas !"
Le café littéraire, c'est à présent notre mini "Grande librairie"* à nous !
Catherine Le Faou, directrice du centre scolaire de la maison centrale de Poissy
Laurent, trentenaire, passionné de science-fiction, écrivain de récits fantastiques à ces heures, a rédigé quelques mots pour un projet de bandeau dédié à son livre fétiche issu de la sélection de ce Goncourt. Il s'agit de l'ouvrage Rebecca Lighieri, 'Le Club des enfants perdus' chez P.O.L.
"Un père raconte sa vie. Son succès, sa fille. Puis la fille surgit, tel un ouragan. Ce que croit être le père, la fille l'est vraiment. Lire Lighieri est un saut à l'élastique, Ligheri est une descente en rapide, c'est décoiffant !", propose-t-il aux autres détenus et au libraire présents.
"J’ai été désigné pour représenter le groupe"
'Le Club des enfants perdus' ne fait pas partie des trois ouvrages sélectionnés par Poissy. Mais il sera peut-être le tout premier choix d'un autre établissement pénitentiaire. Philippe, un physique de pilier de rugby, s'attend à une délibération régionale "plutôt chaude". Le 27 novembre, il ne se déplacera pas à la BNF. Il restera "en visio" pour défendre les ouvrages sélectionnés par ses collègues.
"J’ai été aussi désigné pour représenter le groupe. Au début, j'étais un peu perplexe. Je n'ai pas l'éloquence de certains de mes collègues. Déjà là, je me concentre pour ne pas bégayer, mais je m'entraîne avec Mme le Faou. Je prends des notes personnelles et il y a les notes de lecture de tout le groupe que l'on va synthétiser", assure-t-il.
Philippe pourra compter sur Jean-Marc qui sera lui sur place, à la BNF. Ce dernier, confiant, attend cette délibération régionale avec une certaine impatience.
"Je ne veux pas être sombre en disant ça mais, à l'échelle de ce qu'on vit au quotidien dans une détention -d''être passé par un procès, passé par des Assises- je me dis que parler devant des gens pour défendre une lecture coup de cœur, ça devrait être un exercice relativement plaisant qui se déroulera, je pense, avec beaucoup de bienveillance."
*La grande librairie est une émission littéraire de 90 minutes diffusée sur France 5