C'est un projet de longue haleine qui touche bientôt à sa fin. Au début de l'année 2025, une nouvelle librairie indépendante devrait finalement ouvrir ses portes à Fismes (Marne), pour palier la fermeture de la librairie historique de la ville.
Que la ville natale d'un des papas d'Astérix n'ait plus de librairie, c'est inconcevable. Pour y remédier, trois camarades ont décidé de s'associer pour rouvrir une enseigne indépendante.
Baptisée La Bulle Ludivresque, on y voit la passion et le sens de la communauté y primer, deux ans après la fermeture de la librairie historique de Fismes (Marne), sise dans le centre-ville de cette commune d'un peu plus de 5 800 âmes, frontalière du département de l'Aisne.
France 3 Champagne-Ardenne a eu vent de l'ouverture prochaine des lieux, et a contacté l'équipe qui a les clés. Il s'agit d'un trio de choc, véritables mousquetaires du livre :
- Pauline Singer, 33 ans, vit près d'Asfeld (Ardennes), est née à Reims (Marne). Ses parents vivent près d'Aguilcourt (Aisne) et ses grands-parents sont de Coulonges (Aisne). "Donc je connais bien Fismes et ses alentours. Je suis la libraire du groupe. J'ai un BTS gestion et depuis 2014, j'ai suivi une licence [professionnelle] libraire et métiers du livre. J'ai travaillé dans plusieurs surfaces : de l'espace culturel aux petites librairies, en passant par la grande librairie de centre-ville Guerlin à Reims."
- Emmanuel Romain, 45 ans, diplômé en management et gestion d'entreprise (il en a dirigé pendant une décennie). Un "lorrain d'origine" revendiqué "avec force et ferveur", qui "habite juste à côté de Fismes depuis une quinzaine d'années. J'étais très attaché à [sa] librairie et quand elle a disparu en 2023, je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser les choses se faire dans ce sens-là, qu'il fallait qu'on fasse quelque chose." C'est aussi un scout et il a le sens de la communauté.
- Lugdivine Bernard, 44 ans, une éducatrice sportive "du coin" passée par les tours de contrôle de l'Armée de l'air. Elle est désormais chargée de communication et "très engagée dans les milieux associatifs" : c'est elle qui fera que tout le monde entendra parler de l'ouverture de La Bulle Ludivresque.
L'ancienne librairie, dans son bâtiment caractéristique de la rue d'Ardre, a été ouverte dans les années 60 et reprise dans les années 80 (elle est restée dans la famille). Elle a ensuite été revendue en 2021, avant de péricliter. "Ma famille est dans le coin. C'était impensable pour moi que la librairie ferme", se remémore Pauline Singer. "C'était la seule institution culturelle de ce type dans le secteur" , regrette Emmanuel Romain, qui a rencontré sa collègue après qu'elle a lancé un appel sur les réseaux sociaux : un relais indispensable de ce projet.
Un emplacement idéal
Il n'est pas possible de s'installer dans l'ancienne librairie. Au mois de mai 2024, "le propriétaire vend les murs. On est donc obligé de rebondir là-dessus." Heureusement, les trois mousquetaires du livre peuvent compter sur le soutien de la municipalité, dirigée par Charles Gossard (DVG), et aussi impliquée dans l'édification d'un musée dédié à Albert Uderzo, co-créateur d'Astérix et Obélix.
"C'est un projet de transformation de l'office de tourisme, qui était avant une caserne de pompiers. On a voulu faire revivre la librairie emblématique de Fismes : le lieu [change], il est à 80 mètres, mais nous voulons maintenir son esprit. Il y a une grosse attente de la part de la population locale." (voir la localisation sur la carte ci-dessous).
Le nouveau bâtiment, plus petit (85 m²), se situe rue des Conclusions. Il se trouve à 80 mètres de l'emplacement de l'ancienne librairie (120 m²). "On passe d'un loyer de 2 000 euros à 400. Et comme c'est un local communal, on est [bien] accompagné." Le décor sera "néoindustriel, grâce à un artisan local. Il va nous offrir des bibliothèques en acier. On essaye de travailler avec les acteurs du territoire : on adapte le projet pour ça."
L'existence d'une librairie est jugée comme "fondamentale. Notre ambition est de garder ce lieu culturel, ouvert avec une grosse amplitude, et qui reste un référentiel au milieu de la ville."
Cela pourrait être vecteur d'emploi... du moins "à terme. Mais il faut que les gens viennent acheter." Si la ville ne compte que 5 880 personnes, Emmanuel Romain énonce que le territoire "très particulier" où elle se trouve comporte "une zone de chalandise de 42 000 personnes".
On a un centre-ville encore très dynamique à Fismes. Pour une petite ville avec une telle proximité urbaine, c'est assez rare pour être souligné.
Emmanuel Romain, co-gérant de la future librairie indépendante de Fismes
Ce terme décrit la zone géographique d'origine d'où provient la clientèle d'une enseigne. "En fait, c'est la zone de 20 minutes de trajet autour de Fismes. Les gens, quand ils sont chez eux, ou quand ils rentrent du travail le soir, ils peuvent faire un petit crochet par le centre-ville de Fismes. Mais Reims, c'est complètement bouché : il faut 40 minutes pour quitter la ville. C'est pour ça qu'on a un centre-ville encore très dynamique à Fismes. Pour une petite ville avec une telle proximité urbaine, c'est assez rare pour être souligné."
De quoi rassurer. Car le projet a été préparé avec soin, tout comme les études préliminaires. Et le trio n'ignore donc pas que ce type de "commerce a la plus faible attractivité territoriale et la plus faible rentabilité en France".
7 000 titres proposés
Il y aura quelques à-côtés pour attirer du monde. Une cafetière, par exemple, car il est toujours agréable de pouvoir partager un expresso; sans pour autant que cette librairie ne soit un café librairie, Emmanuel Romain insiste bien là-dessus. "Ce n'est pas l'objectif, même si le mot d'ordre est la convivialité : on pourra venir passer une demi-heure ou une heure si on veut."
L'enseigne proposera une riche offre culturelle, à savoir "7 000 références à l'ouverture, ce qui est quand même un beau niveau. On va [aussi faire beaucoup de] BD et du manga [très apprécié des jeunes, mais moins des députés d'extrême droite; NDLR]."
Il y aura "évidemment" aussi un petit lien avec Astérix : c'était obligé pour l'enfant du territoire. Sous forme d'un "ex-libris", un livre tamponné spécifiquement dans cette ville natale d'Uderzo...
"On a une grosse attente au niveau du collège Thibaud de Champagne, qui a perdu toute possibilité de commande" à proximité. Les professeur(e)s de français ou documentalistes devraient accueillir l'ouverture avec joie.
À noter que si une référence n'est pas disponible sur les étagères, il sera possible de la commander. Comme sur Amazon, mais en bien mieux et plus vertueux, et quasiment pour la même rapidité d'expédition : "livraison en 24 à 48 heures".
Une association pour l'animation
Si l'on excepte les trentenaires, l'envie de librairie semble transcender toutes les classes d'âge. "On a une telle demande que des gens sont venus nous voir pour nous accompagner, ils veulent se mobiliser. Ils se sont manifestés plutôt fortement." Au point que la future boutique envisage une approche associative.
"Il est impossible de faire se mobiliser les gens gratuitement dans une entreprise. Lugdivine pilote une association, baptisée Les Amis de Ludivresque, qui est actionnaire de la librairie. Elle a pour but d'animer. Car avec Pauline, on est bien conscient que 70 heures d'ouverture par semaine, ce sera vraiment beaucoup à gérer [juste pour nous]."
"On va vraiment avoir besoin de cette béquille pour rebondir." Car outre les ventes, l'animation des lieux permettrait de mettre en place "un club de lecture", des rencontres avec des auteurs ou des autrices, énumère Pauline Singer. Pour l'ouverture, la marraine Sandra Baniere viendra même en dédicace : c'est une écrivaine de "livres du terroir, qui se passent dans la région", indique fièrement Pauline Singer. Elle est même récipiendaire d'un prix littéraire.
L'argent, nerf de la guerre
Autre béquille : leurs conjoints respectifs travaillent et gagnent bien leur vie. De quoi permettre aux actrices et l'acteur de ce projet de se lancer en douceur, sans préjudice financier. Et d'apprendre l'un(e) de l'autre.
"Les banques ont été assez frileuses", ajoute Emmanuel Romain. "On a eu un accord assez tardivement." Avec la Banque populaire "de l'agence de Clairmarais à Reims", pour ne pas la citer (voir publication Facebook ci-dessous).
Le prêt représente 90 000 euros, sachant que le coût total du projet est de 160 000 euros, partiellement sur des fonds propres, avec une assistance du réseau Marne Initiative et une garantie de France Active. Sans oublier l'aide du Club d’investisseurs pour la gestion alternative et locale de l’épargne solidaire (Cigales). Le carnet d'adresses de la métropole du Grand Reims a aussi été utile.
"On a eu l'accord [de la banque] le 19 novembre. C'était beaucoup trop court pour ouvrir à Noël : on aurait fait des mécontents." Même si l'achat des cadeaux sous le sapin aurait constitué une belle manne financière : plusieurs de leurs proches avaient fait exprès de différer leurs emplettes "pendant six mois" pour que La Bulle ludivresque en profite. "En fait, les fournisseurs nous avaient bien prévenus : ils auraient eu du mal à nous approvisionner au-delà du 11 novembre." Mieux valait donc prendre son temps.
"On a déjà un succès d'estime. Et ce n'est pas vraiment pour l'ouverture que je suis inquiet. C'est pour la pérennisation." Les portes doivent être poussées pour la première fois le vendredi 28 février 2025. En attendant, on peut redécouvrir le calendrier de l'Avent de la librairie sur son Instagram. Plus que deux mois à attendre...