"De quoi il se mêle ?" Un député RN veut supprimer les mangas du Pass culture, les libraires les défendent

Un député du Rassemblement national (RN, ex-FN) a proposé sur les bancs de l'Assemblée nationale de revenir sur la présence du manga au sein du Pass culture. Il n'a pas été suivi, pour le bonheur des libraires qui expliquent pourquoi le manga est un élément culturel comme un autre. Un élément culturel d'importance, en plus.

Tout le monde n'a pas la même vision de la culture. Pour un député du Rassemblement national (RN, ex-FN), les mangas ne  méritent pas d'être concernés par le Pass culture.

Sur les bancs de l'Assemblée nationale, ce dernier, habitué des coups d'éclat médiatiques, a donc déposé un amendement le vendredi 28 octobre 2022. Ce dernier visait à retirer les mangas du dispositif mis en place par le gouvernement en 2019.

La volonté du député est loin d'avoir été suivie (lire le compte-rendu en ligne). Son amendement a été rejeté suite aux interventions de Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, et de plusieurs député(e)s de la Nupes et de la majorité présidentielle.

La démarche de l'élu frontiste, les libraires ne la comprennent guère. Libraires qui montent au créneau pour expliquer les avantages du manga (dont les ventes s'envolent grâce au Pass culture) auprès de France 3 Champagne-Ardenne.

Des thèmes universels

Séverine Tréfouël est la gérante de la librairie Bédérama, à Reims (Marne). Elle est ravie du succès des mangas. "Il faut que le manga reste, parce que ça fait partie de la littérature générale jeunesse qui marche super bien. Ça pousse les jeunes à redécouvrir la lecture ou à s'y mettre, en fait. Ce n'est pas fatalement inintelligent. Ça peut aborder des thèmes de société. Il suffit d'orienter les lecteurs au bon endroit."

Ça pousse les jeunes à redécouvrir la lecture ou à s'y mettre.

Séverine Tréfouël, gérante de la librairie Bédérama à Reims

"On peut s'identifier, tous les thèmes sont abordés. Pour les jeunes, c'est ça qui est bien : ils peuvent vite adhérer à ce qui est raconté. Ce n'est pas que de la baston, la violence, ou les choses imaginées rapidement quand on parle de manga. Ça, c'est un stéréotype."

"Le manga permet vraiment à des jeunes fâchés avec la lecture de la ré-apprécier, surtout s'ils sont fâchés avec le côté littéraire du roman. C'est une bonne chose pour se mettre dedans, ils ne sont pas effrayés par trop de lecture comme dans un roman. C'est comme pour la bande-dessinée, sauf qu'actuellement, le manga a plus d'impact grâce aux animes. Retirer le manga du Pass culture serait une grosse erreur : ça fait lire des jeunes, et c'est le principal."  

Les jeunes lisent, c'est le principal

Pauline Deballe est la co-gérante de Plus belles les bulles à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Elle préfère rire de la proposition frontiste qu'en pleurer. "Pourquoi il veut le supprimer ? C'est une sous-culture, pour lui ? De quel droit on devrait décider de ce qu'ont envie de lire les jeunes actuellement ? Si ça les fait lire, c'est génial. Je ne vois pas où est le problème."


"Nous, ça représente maintenant 60% de notre chiffre d'affaires. C'est non-négligeable. Il s'agit d'une culture très vaste : je ne pense pas qu'on puisse la réduire à un manga. Il y en a des milliers, tout comme il y a des milliers de BD et de romans. Il n'y a donc aucune raison pour interdire le manga dans le Pass culture : bien au contraire."

Il y a des milliers de mangas, tout comme il y a des milliers de BD et de romans.

Pauline Deballe, co-gérante de la librairie Belles les Bulles à Nancy

"De plus en plus, ce qu'on appelle des light novels. Ce sont souvent des romans dérivés des séries de mangas. En plus, faire rentrer un jeune dans les librairies pour acheter des mangas, ça peut aussi le pousser à acheter autre chose [la ministre de la Culture évoque 60% de jeunes venant pour un manga et repartant avec un livre non-mangesque; ndlr]. C'est notre rôle de conseil en permanence. L'intérêt, c'est la diversité, de lire tout un tas de choses. Aimer lire, c'est le plus important : ça construit leur réflexion sur plein de choses. Il ne faut pas réduire le manga à un seul genre. Ce n'est pas que Dragon Ball Z [ou One Piece, même si ça marche très bien en France; ndlr]."

On se passera du mépris et des stéréotypes

Fabrice Dunis est le gérant de la librairie Le Camphrier à Strasbourg (Bas-Rhin). Au début, il a cru à une blague. "Ça existe encore, des gens comme ça ? C'est le genre de personnes, je pense, qui aurait viré Baudelaire, Jules Verne, ou Victor Hugo du Pass culture en son temps, car ils n'étaient 'pas bien'... Je ne comprends pas qu'il puisse avoir des idées aussi pré-conçues sur des sujets qu'il ne connaît vraisemblablement pas. C'est vraiment méconnaître le manga que de penser que ce n'est pas de la culture. Et mépriser le Japon. Il dirait ça de la bande-dessinée française ? Je ne crois pas."

"Un manga qui parle de harcèlement scolaire, ou de l'identité de genre, est-ce dangereux pour la société ? Non ça répond à une demande et ça accompagne une société qui a besoin de réponses, d'être ancrée dans son temps. Quelle mouche le pique ? J'irais au-delà : de quoi il se mêle ? Je pensais que ce n'était plus possible depuis qu'on a vu Ségolène Royal, dans les années 80, dire que ce que produisait le Japon n'était pas digne d'être mis devant des enfants... Je suis un peu abasourdi par ce garçon. Il ne veut pas que les jeunes aillent dans les librairies ? C'est comme s'il voulait dire au manga : 'qu'il retourne au Japon' ?"

C'est comme s'il voulait dire au manga : 'qu'il retourne au Japon' ?

Fabrice Dunis, gérant de la librairie Le Camphrier à Strasbourg

"Le Pass culture a été fait de manière très intelligente. Son intérêt premier est de faire venir les jeunes dans les librairies. On ne peut pas acheter des bouquins en ligne avec. On a donc vu des jeunes arriver dans les librairies alors qu'ils n'y venaient jamais, parce qu'ils pensaient que ces lieux n'étaient pas pensés pour eux, et ne proposaient pas la culture qu'ils attendaient. Les librairies se sont adaptées à ces nouveaux lecteurs, en leur proposant ce qu'ils voulaient."

"On est au début d'une nouvelle génération de gens qui ont maintenant l'habitude d'aller en librairie, et qui vont découvrir des romans à côté de leurs mangas, d'autres choses que les libraires veulent mettre en avant. Le Pass culture permet de faire venir les jeunes dans les librairies. Aux libraires de faire en sorte que le choix proposé à ce nouveau public le satisfasse. Il y a un travail de passeur à faire : pour moi, il ne suffit pas de juste poser des livres sur une étagère. Il y a le conseil." (voir la localisation des trois librairies sollicitées par France sur la carte ci-dessous)

"J'ai même maintenant des parents, qui accompagnent leurs enfants, et qui découvrent un univers qu'ils ne connaissent pas, dont ils ont plein de préjugés. Ils ressortent avec une image changée de la chose : le manga n'est pas que de la violence ou du sexe. C'est comme si on réduisait le cinéma au porno. On en est loin : j'ai du Karl Marx, du Dostoïevski, du Victor Hugo en mangas [la ministre de la Culture a d'ailleurs rétorqué qu'il existe des mangas sur Napoléon ou Jeanne d'Arc; ndlr]. Regardez Les Carnets de l'apothicaire. Ça parle d'une jeune fille qui va travailler au palais impérial chinois, au Moyen Âge. On a de l'histoire, de l'intrigue, du girl power. Les grosses références, comme Dragon Ball, ne sont d'ailleurs pas les références qui marchent le mieux."

Preuve du succès de ce dispositif culturel, l'idée de son extension a été évoquée. 

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