Les ventes de livres ont bondi de 19% pendant l'année 2021. À Strasbourg (Bas-Rhin), trois librairies ont donné leur pépite de l'année à France 3 Alsace.
Malgré la fermeture - un temps - des librairies, le marché du livre se porte bien depuis le début de la crise sanitaire du covid. En 2021, les ventes sont montées de 19%.
Plusieurs raisons expliquent cette hausse. Le succès des bandes-dessinées (dont les mangas, dopés par le pass culture), par exemple. Ou les gens qui ont pu se réfugier dans la lecture pendant les confinements.
France 3 Alsace a donc demandé à trois enseignes situées à Strasbourg (Bas-Rhin) leur livre qui s'était le mieux vendu. Il s'agit des librairies Le Camphrier, Ça va buller, et La Tache noire (à retrouver sur la carte ci-dessous).
Le Camphrier et un de ses employés, Xavier Zimmermann
"On a vendu pas mal d'exemplaires des Carnets de l'apothicaire, par Natsu Hyuga. À noter que depuis sa sortie, Demon Slayer, de Koyoharu Gotoge, est la meilleure vente de l'histoire de notre magasin [preuve de son succès, son adaptation au cinéma a pulvérisé le record détenu par Le Voyage de Chihiro au box-office nippon; ndlr]."
"On a fait autant de ventes de mangas [spécialisée en littérature asiatique, la librairie en vend beaucoup mais pas que; ndlr] parce que le manga... c'est mieux. Plus sérieusement, à mon avis, il y a plusieurs facteurs. L'un d'eux, c'est qu'en 2020, quand on a été enfermé chez nous, on a tous écumé Netflix, etc. Au bout d'un moment, tu as tout regardé et tu veux faire autre chose. Or, on a tous des bouquins à la maison qu'on n'a pas lus. Beaucoup de gens se sont ainsi rendus compte qu'ils avaient oublié qu'ils aimaient lire."
"Au-delà de ça, les plates-formes style Netflix se sont rendues compte, mine de rien, que l'animation japonaise était très bankable. Elles en ont donc diffusé beaucoup. Et comme les parents étaient enfermés avec leurs ados à la maison, ils ont regardé avec eux. La génération du Club Dorothée s'est rendue compte qu'elle avait passé le flambeau, que leurs enfants aussi regardaient des animes [se lit animés; ndlr]. Il y a eu comme une chute du clivage intergénérationnel : tu comprends que oui, Papa était fan de Goldorak. Ces parents et enfants sont donc venus acheter des choses ensemble, dans une dimension de partage de la passion."
"On voit que les gens se sont remis à lire en cellule familiale. Avant le confinement, la clientèle était composée essentiellement d'ados et de jeunes adultes. Aujourd'hui, ces mêmes clients viennent avec leurs parents. Qui, avant, restaient à l'extérieur de la boutique en laissant leur progéniture faire un tour à l'intérieur. Maintenant, ils rentrent, demandent des conseils de lecture pour leurs enfants... et pour eux. Tout un public se rend compte que le manga a su évoluer, il était destiné à de jeunes ados lors de son arrivée en France. Plus maintenant. Ces jeunes ados ont grandi, et veulent continuer à en lire. Ce qui permet aux éditeurs d'aborder de plus en plus de thématiques différentes et approfondies : on est loin de l'époque où il n'y avait que Akira et Dragon Ball."
"Le manga est devenu un des principaux éléments du soft-power japonais. C'est le rêve japonais face à une culture américaine devenue un peu ringarde après avoir fait rêver les générations précédentes : il n'y a qu'à voir au niveau des jeux-vidéo."
Ça va buller et son gérant, Frédéric Tousch
"Je ne vais pas vous donner le titre qui s'est le plus vendu, parce que ça va être un peu bateau : je pense qu'on va tous avoir le même, ce sera le dernier Astérix. On va plutôt mettre en avant le titre d'une maison d'édition strasbourgeoise, 2024. On a beaucoup aimé Le Grand vide, de la très jeune autrice strasbourgeoise Léa Murawiec, qui a tout de même fait le quart des ventes d'Astérix, en dépassant les 120 exemplaires. C'est un livre formidable, sa première bande-dessinée [voir un gif de BD ci-dessous; ndlr]."
"Ça pousse loin l'idée des réseaux sociaux en imaginant un monde où lorsqu'on ne pense pas à vous, eh bien vous commencez tout doucement à disparaître... La notoriété devient donc véritablement essentielle. Son héroïne, une jeune femme nommée Manel Naher, a un petit souci quand la nouvelle chanteuse à la mode a le même nom qu'elle. Ses proches ne pensent donc plus à elle, mais à cette chanteuse. Elle commence donc à perdre doucement sa consistance, et partir vers ce Grand vide."
"C'est graphiquement splendide puisque cette jeune autrice est bien dans son temps. Elle a digéré tous les codes du manga, de la bande-dessinée plus classique, des réseaux sociaux... C'est incroyable. C'est un livre un peu ovni, qu'on a vraiment beaucoup défendu, même s'il n'est pas très grand public. Il est graphiquement très intéressant, et son message nous parle. Quand on présente le pitch aux gens, ils sont tout de suite intrigués. Et on se demande ce qu'on devient avec ces réseaux sociaux, qui rendent certains un peu fous ou complotistes."
La Tache noire et son patron Éric Schultz
"La meilleure vente, mais de peu, c'est Le Crime de Gutenberg, de Jacques Fortier, aux éditions - locales - du Verger. Ça fait partie de la collection des Enquêtes rhénanes. Ce qui est intéressant avec cet auteur, c'est qu'il se vend très bien."
"Je pense que ça s'explique par les gens habitués qui achètent chaque année, ainsi que les gens de passage. Mais je pense aussi que ça s'explique par autre chose : le contexte dans lequel on est, avec le covid et compagnie. Les gens ont besoin de choses rassurantes. Pas d'enquêtes sanglantes ou terrorisantes."
"Il y a une très forte hausse des ventes du cozy mystery - les enquêtes tranquilles - avec des choses que l'on connaît et qui sont rassurantes. De la proximité [principe repris avec les Petits meurtres d'Agatha Christie délocalisés dans le Nord, diffusés avec grand succès sur France 2, voir gif ci-dessous; ndlr]."
"Je crois que Fortier rentre dedans, et que c'est pour ça qu'on a autant d'Enquêtes rhénanes dans nos meilleures ventes. Ce livre de Fortier s'est vendu à 60 exemplaires depuis sa sortie fin octobre. Il est talonné par un auteur québécois, un de nos coups de coeur : André Marois avec Bienvenue à Meurtreville, 56 exemplaires vendus depuis mars. C'est aussi un polar avec une bonne dose d'humour - noir. Ça confirme cette appréciation du côté plus léger que des choses atroces."