Invitée des cinquièmes rencontres littéraires et musicales de Limoges, Annie Coste, autrice du livre "Les femmes musiciennes sont dangereuses", nous a accordé un entretien. Passionnée par toutes les artistes qu'elle a découvertes lors de l'écriture de ce livre, elle en brosse des portraits qui donnent envie d'écouter leur musique.
"En 2016, j'ai commencé à tirer un fil, et j'ai découvert quasiment un monde parallèle" raconte Annie Coste. Elle vient alors tout juste de s'autoriser à jouer de la guitare, et s'interroge sur cette histoire de la musique qui fait si peu de place aux femmes.
Démarre alors une grande enquête qui durera plusieurs années, pour aboutir à une somme de plus de 300 biographies de femmes musiciennes. "On pourrait écrire une autre histoire de la musique à partir des femmes", observe-t-elle.
Dans son ouvrage "Les femmes musiciennes sont dangereuses" paru chez Flammarion en octobre 2023 dans la collection "Les femmes qui" initiée par Laure Adler, on retrouve une soixantaine de portraits de ces femmes musiciennes souvent invisibilisées. "Elles ne font pas de la figuration, elles sont vraiment des créatrices de chefs d'œuvres" affirme Annie Coste.
"Sois muse et tais toi"
En introduction à ses portraits de femmes, Annie Coste rappelle que la domination masculine sur l'univers de la création musicale remonte à l'Antiquité : "Après avoir bénéficié, en Mésopotamie, d’un statut de prêtresse, les musiciennes vont se voir réduites à celui de paria", écrit-elle.
Les sirènes musiciennes sont considérées comme des "démones qui ensorcelleraient les hommes pour les conduire à la mort". Des hommes qui vont leur préférer les muses. "Créées pour évincer les sirènes, les muses sont des êtres passifs, de simples intermédiaires entre les Dieux et les artistes, masculins" déplore Annie Coste.
Une domination masculine qui va se poursuivre à travers les siècles : "La musique est le miroir grossissant de la société patriarcale où les femmes sont célébrées à condition de répondre au désir masculin", assène l'autrice.
Une femme à l'origine du rock'n roll
Audacieuse et puissante, Sister Rosetta Tharpe naît en 1915 dans l'Arkansas, et commence à jouer de la guitare à l'âge de 4 ans. Femme noire en pleine ségrégation, elle n'hésitera pas à braver toutes les conventions, de l'Amérique blanche et même de sa communauté évangélique, pour détourner les gospels et les agrémenter de furieux solos d'une guitare électrique aux sons distordus, à l'avant-garde de ce que l'on appellera plus tard le rock'n roll.
En 1937 elle faisait déjà des solos flamboyants à la guitare électrique.
Annie Coste,à propos de Sister Rosetta Tharpe
"Elle a été effacée de l'histoire du rock alors qu'elle en a été l'instigatrice 20 ans avant tout le monde. Little Richard, Chuck Berry, Elvis et Bob Dylan ont reconnu avoir été influencés par elle. Pourtant, elle ne figure pas dans le dictionnaire du rock" remarque Annie Coste.
Pleinement artistes
De Sappho de Mytilène à Amy Whinehouse, de Sister Rosetta Tharpe à Björk, Annie Coste brosse de courtes biographies de femmes souvent méconnues, qui ont produit des œuvres majeures dans l'histoire de la musique. "Énormément de compositrices ont signé des joyaux de la musique baroque", rappelle-t-elle.
Celles qui ont eu le loisir de composer resteront dans l'ombre, d'autres seront empêchées. "La sœur aînée de Mozart, Maria Anna, était une compositrice tout aussi prometteuse que son frère, mais à 17 ans elle a dû arrêter la musique pour se marier, et a passé le reste de sa vie à mettre en valeur l'œuvre de son frère", regrette-elle.
Aujourd'hui encore en France, la création musicale officielle est encore essentiellement masculine : selon Annie Coste, sur l'ensemble des auteurs-compositeurs inscrits à la Sacem, seulement 16% sont des femmes.
"Les femmes musiciennes sont dangereuses" est accompagné d'une playlist de plus de 170 titres, disponible sur les plateformes de téléchargement.
Un second volume est en préparation, il s'intitulera "Les femmes qui chantent sont dangereuses".