En France, moins de 1% des eaux usées sont directement réutilisées. Près de Mont-de-Marsan dans les Landes, de l'eau issue de la géothermie alimente depuis cinq ans l'irrigation de trois exploitations agricoles. Une petite avancée qui va se développer dans le département et permettra de lutter contre les sécheresses.
Tout a commencé en 2007. L'agglomération de Mont-de-Marsan, 54 000 habitants, a récupéré la gestion d'un réseau géothermique pour chauffer une partie des bâtiments publics et de la base militaire locale.
Les eaux "pures" qui atteignent naturellement 40 degrés étaient rejetées à la rivière une fois utilisées. Mais cette pratique a été ensuite interdite, car jugée dangereuse pour la vie aquatique.
"Il était très coûteux et sans garantie de succès de réinjecter l'eau dans le sous-sol. On a donc opté en 2017 pour une réutilisation afin d'irriguer les cultures" explique Patrice Marboutin, directeur "cycle de l'eau" de la collectivité.
Ce projet de 2,5 millions d'euros, financé à 60% par des fonds publics, dont ceux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), a été soutenu par l'ensemble des syndicats agricoles, sans contestation majeure des défenseurs de l'environnement, ce qui a le mérite d'être souligné.
Réservoir
Concrètement, un vaste réservoir a été creusé à Mazerolles dans un ancien champ de maïs de six hectares et peut stocker 300 000 m³ d'eaux usées.
Depuis l'été 2018, cet ouvrage sécurise l'irrigation de 137 hectares qui appartiennent à trois agriculteurs. En échange, ils ne prélèvent plus rien alentour et entretiennent le réseau de canalisation et les pompes.
Jacques Labarchède est l'un d'eux et cultive tournesol, soja et maïs.
"Ces cultures, garanties et rémunératrices, consolident l'avenir de la ferme. Avec l'eau, c'est une grosse épée de Damoclès de moins sur la tête"
Jacques Labarchède, agriculteurFrance 3 Aquitaine, rédaction Web
Il faut dire que les sécheresses, comme celle de 2022 qui a anéanti "60% des productions" chez ses voisins, et les restrictions d'irrigation, menacent de se renouveler à l'avenir avec le dérèglement climatique.
La réutilisation des eaux géo-thermales "a servi d'exemple", poursuit Julien Rabe, chargé de la gestion de l'eau à la Chambre d'agriculture. La structure et les pouvoirs publics locaux ont d'autres projets en lien avec des stations d'épuration. Le plus avancé vise à acheminer, en 2025, les eaux retraitées d'une installation de Mont-de-Marsan, celle du Conte, vers une centaine d'agriculteurs afin qu'ils ne pompent plus dans le Midou, une rivière à l'est de la ville.
"Il y a aussi des contacts pris avec les communes d'Hagetmau et de Geaune" explique Eric Lafuente, directeur de la chambre d'agriculture des Landes.
Le coût de l'eau
En France, moins de 1% des eaux usées sont directement réutilisées. Le reste est rejeté dans les cours d'eau, alimentant leur débit tout en s'y diluant. "On a un gros retard là-dessus. En Italie et en Espagne, c'est 15 à 20 % des eaux" précise Eric Lafuente.
Développer la "réut'", selon le jargon des experts, est une piste étudiée par le gouvernement dans le cadre de son futur "plan eau". Mais certains spécialistes de l'eau se montrent prudents quant au déploiement du procédé.
Ce procédé ne doit pas avoir de conséquences sur la santé publique, ni le débit des cours d'eau.
Bernard Barraqué, directeur de recherches émérite au CNRS, et spécialiste de la gestion publique de l'eau.
Sébastien Loubier, économiste de l'eau à l'Inrae (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), considère que le rejet des eaux usées dans les cours d'eau constitue, déjà, une forme de réemploi et que bâtir un réseau de distribution ad hoc serait trop onéreux : la "réut'" ne doit être envisagée selon lui "qu'au cas par cas" ou pour des situations d'urgence, "quand on a le nez dans le mur".
Mais "si demain, on n'a plus d'eau, on ira chercher des ressources bien plus profondes et ça coûtera aussi des millions", rétorque Patrice Marboutin à l'appui de son projet de réutilisation des eaux de la station d'épuration montoise à des fins d'irrigation, évalué à 20 millions d'euros.
Chez les agriculteurs landais, le Modef, syndicat minoritaire, réclame "des garanties" sur la qualité de l'eau retraitée pour la réutiliser en maraîchage ou en agriculture bio. Mais "placer la barre trop haut" pourrait compromettre financièrement ces projets, s'inquiète la FDSEA.
Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, doit dévoiler prochainement "une cinquantaine de mesures" pour améliorer la gestion de l'eau.
Avec AFP