Le rapport final d'Ernst&Young laisse penser que la "dérive financière" du Poitou-Charentes aurait pu être dissimulée. Ce document fait peser de sérieux doutes sur la sincérité des comptes de l'ex-région.
Le cabinet d'audit Ernst&Young enfonce le clou. Son rapport complet se penche sur les comptes des trois régions qui constituent l'ALPC. Ce document de 137 pages éreinte une nouvelle fois la gestion de l'ex-région Poitou-Charentes. Le document présenté par Olivier Chartier et Florian Boudié le 7 avril dernier n'était qu'une synthèse de cette étude.S'appuyant sur des rapports transmis par les directions régionales à Ernst & Young, le cabinet d'audit affirme que l'ex-région Poitou-Charentes votait des budgets insuffisants pour couvrir les besoins de ses administrations. Malgré les rallonges votées en cours d'année, une partie des dépenses étaient reportées sur l'année suivante.
Parmi les administrations citées, on trouve la Direction de la formation de l'apprentissage et de l'enseignement supérieur (DFAES). En février 2016, après l'arrivée des équipes d'Alain Rousset à la tête de la grande région, un rapport de la DFAES fait état d'"une sous-budgétisation répétée, notamment sur le budget primitif de 2015 [voté en début d'année, ndlr], malgré des ajustements". Ce n'est pas la première fois que ses fonctionnaires pointent ces déséquilibres budgétaires récurrents. Bien au contraire. En mai 2015, les équipes de la DFAES expliquaient même que "plus de 50 % de son budget" avait été englouti en quatre mois d'exercice.
Pire, la DFAES relève des "reports de paiements successifs dus à une sous-budgétisation qui a commencé dès 2013". En somme, la région ne se serait pas contenté de sous-estimer les moyens financiers nécessaires à la réalisation de leurs projets. Mais, depuis trois exercices, les équipes de Jean-François Macaire et Ségolène Royal auraient pris l'habitude de différer ces dépenses et de les inscrire dans le budget suivant.
Aussi troublantes soient ces révélations, le cabinet Enst&Young précise que "ces éléments sont en cours de vérification par la Chambre Régionale des Comptes", qui rendra son rapport fin 2016.
La régulation des mandats
Ce ne serait pas tout. Une note du 12 février 2016 transmise par la même DFAES indique que "par consigne du 20 juillet et du 16 octobre 2015, a été instituté à l'échelle de la région un process particulier de validation et de blocage a priori des mandats afin de contrôler les flux de trésorerie". Les paiements étaient contrôlés par la région plutôt que d'être réglés de façon automatique. Et, dans le lot, certains se voyaient reportés."Le stock de paiements bloqué courant 2015 représente un total de 42,9 M€, bien que 20 M€ de crédit de paiement sont restés inutilisés sur le budget 2015 de la DFAES", rapporte la direction régionale de la formation et de l'apprentissage. Traduction : les paiements auraient été volontairement stoppés bien qu'il restait 20 millions d'euros dans le budget de la DFAES. Cette pratique était-elle répandue ou se cantonnait-elle à quelques directions régionales ?
Ces documents transmis par certaines administrations régionales au cabinet d'audit font état de "résultats positifs au compte administratif [...] alors que l’ensemble des engagements n’a pas été honoré". En clair : les comptes semblent dans le vert mais cacheraient des impayés de plusieurs dizaines de millions d'euros. Est-ce fait exprès ? Les comptes ont-ils été manipulés pour apparaître solides malgré des retards de paiements devenus monnaie courrante ?
Impossible pour l'heure de l'affirmer. Contactée par téléphone, Maryline Simoné, ex-vice-présidente de la formation et de l'enseignement supérieur, proche de Ségolène Royal, s'en tient à sa première déclaration : "J'attends la décision de la Chambre Régionale des Comptes. Nous avons pas eu accès à cette étude du cabinet Ernst&Young. Je ne souhaite donc pas m'exprimer à ce sujet".
En tout, la sous-budgétisation et les paiements reportés pourraient représenter 70 millions d'euros à inscrire dans le budget 2016. Cette somme vient s'ajouter aux 133 millions d'euros d'impayés révélés en février dernier et en grande partie réglés depuis.
Reportage de Tanguy Scoazec, Thomas Chapuzot et Maud Coudrin :