Exilé en France depuis 2012, l'écrivain syrien revient régulièrement à La Rochelle pour des résidences d'écriture. Des extraits de son recueil de poésies "Loin de Damas" viennent d'être adaptés sur la scène du théâtre L'Horizon à La Pallice.
"Arrivés chez les veilleurs du néant,
nous avons dit adieu à la guerre, adieu aux portes de la ville,
et nous y avons laissé en consigne,
nos valises chargées de ruines."
Le jour de son vingt-cinquième anniversaire en 2012, Omar Souleimane n'a d'autres choix que de quitter son pays, la Syrie. Au péril de sa jeune vie, il a tenté d'alerter la communauté internationale en filmant la violente répression qui s'abat alors sur les manifestants pacifiques qui, enfin, se lèvent contre Bachar El Assad.
"L'idée de la guerre est nulle."
La suite, malheureusement, on la connait. Tortures, armes chimiques, Etat Islamique, Poutine, Trump, décapitations, massacres... Omar se réfugie donc à Paris et de tout cela, instinctivement, il en fera de la poésie. C'est son mentor, l'Irakien Salah Al Hamdani, de quarante ans son aîné, qui traduira son premier recueil "Loin de Damas". Cinq ans plus tard, il est invité par la ville de La Rochelle à lire ses mots à la médiathèque Michel Crépeau.
Sur son chemin, il croisera au bord de l'Atlantique le musicien Wilfried Hildebrant et l'acteur poitevin Eric Chaussebourg. Le photographe Johann Fournier ne tardera pas à rejoindre l'aventure initiée par le théâtre L'Horizon, basé sur le port de commerce de La Pallice. Ainsi naît le projet d'une performance qui mêle littérature, musique et images. La crise sanitaire aurait pu mettre un point final à cet élan créatif. Mais, de toute évidence, la force des mots résiste à toutes les guerres.
Au coeur de cette création, il y a donc avant tout un texte. Dans le monde d'avant comme dans celui d'après, on le sait, malheureusement, la poésie est rarement mise en lumière. L'écueil était donc évident comme un discours de Bachar sur la démocratie ; réciter un poème qui nous parle de cette lointaine guerre qui nous émeut comme un journal télévisé de 20 heures entre deux lampées de cuillère à soupe. Omar Souleimane, lui-même, l'a écrit comme une sorte de revanche sur tous les risques qu'il a pris à vouloir à tout prix médiatiser le drame de son peuple. "Loin de Damas" raconte l'errance d'un homme qui, tout simplement, ne veut pas mourir.
Ça ressemble à un voyage. Il y a des textes sur la Syrie inspirés de la mémoire de la guerre mais sans parler de la violence d’une manière directe, des textes inspirés de l’enfance et sur mon départ du pays, traverser les frontières dans la nuit à pied et des textes sur l’exil. Il y a ces trois thèmes-là. Et c’est pourquoi je l’ai appelé « Loin de Damas ». En fait quand on écrit sur la guerre, on n’est pas obligé d’écrire sur les massacres. Au Moyen-Orient, malheureusement, on est habitué aux guerres donc l’idée de la guerre est nulle. La guerre en elle-même n’est pas un élément intéressant. Elle existe depuis toujours et elle existera pour toujours. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il y a derrière, les situations humaines, les rencontres inoubliables, les moments de vie incroyables que l’on vit dans la guerre. Il y a ce paradoxe dans la guerre et c’est le plus important à écrire. C’est le rôle de la poésie. Ecrire sur la violence, ça n’a pas de sens parce qu’on la voit tout le temps dans les médias, les reportages et les articles. Par contre l’amour dans la guerre, par exemple, on n’en parle pas dans les médias. C’est ça le rôle de la poésie.
Sur scène donc, Eric Chaussebourg se déplace dans une forêt de micros pour nous délivrer les mots d'Omar. Le son de sa voix change pour illustrer ce voyage hors du temps, tantôt nostalgique, tantôt exalté ou grave. Sur un écran géant les photos et vidéos de Johann Fournier offrent un décor onirique fait de brumes et de clairs-obscurs, tandis que Wilfried Hildebrant nappe l'atmosphère de grands aplats de guitare électrique et de synthés. Pour les trois artistes, le défi était de s'effacer pour mieux servir le texte.
La forme peut paraître un peu particulière, mais l’idée, c’était de ne pas trop m’approprier le texte et de prendre l’identité du mec qui a vécu tout ça. Si je disais ces textes en les jouant comme une pièce de théâtre classique, j’aurai le sentiment de trop incarner la personne qui a écrit ses mots. Là, c’est autre chose. Aussi bien musicalement qu’en images ou sur le plan de l’interprétation, on n’est pas Omar, on n’est pas Syrien, on n’a pas vécu la guerre mais on a le droit d’en parler. Après si les gens veulent faire le rapprochement, libre à eux. Ils peuvent faire le lien avec l’Ukraine, la Yougoslavie ou avec leur propre vie pourquoi pas. Ce texte, il est universel.
"En fait, on s'est tous éloignés pour mieux se rapprocher du texte."
"Les photos ont été prises chez moi en Provence", explique Johann Fournier, "mais ça pourrait être n'importe où ailleurs". Encore une fois, ce qui comptait c'était de retranscrire les émotions qui traversent ce recueil de poésie.
"De la fenêtre
vois-tu les yeux des soldats exploser comme des feux d’artifice ?
Et la fumée qui reste, dessine-t-elle des verres pour trinquer dans le ciel ?
Oui, tout ceci nous attend."
Alors oui, la guerre bien sûr, mais aussi l'espoir et la rage de vivre.
C’est cette tension là qu’il fallait retranscrire. Dans mes images, il y a autant de puissance de vie que de puissance de mort, car les deux sont liées. C’est dans la percussion de ces deux énergies qu’il y a une sorte de libération et dans le texte, c’est très présent. L’erreur, ça aurait été de projeter des photos qui figent une vérité poétique alors que c’est un texte qui se déplace beaucoup dans les émotions. On passe d’ambiance très lumineuses à très sombres. On imagine du coup le voyage de la migration et il fallait qu’il y ait plusieurs paysages non définis, comme des travellings du cinéma de Jarmush avec une sorte d’errance poétique.
Songwriter et lui-même poète, Wilfried Hildebrant a lui aussi écrit une partition toute en subtilité qui n'a pour objet que de servir le texte. Le musicien rochelais n'a évidemment jamais envisagé d'"arabiser" ses compositions. Au contraire, il fallait trouver la dimension universelle de la poésie d'Omar Souleimane. "Ça ajoute une vie au texte" nous confie d'ailleurs l'écrivain, "c'est indépendant du livre, la question n'est pas de savoir si c'est fidèle ou infidèle au texte. Il fallait trouver l'équilibre entre la langue et la musique sur scène". Et de fait, à La Pallice, le temps du spectacle, on est très "loin de Damas".
Il faut que la musique accompagne sans trop illustrer, il ne faut pas qu’elle mange les mots pour qu’ils restent intelligibles. Il fallait que ce soit sans âge et que ça ne soit pas une ambiance moyen orientale, parce qu’on voulait que tout le monde puisse s’approprier cette histoire. On fait ça évidemment avec notre culture donc sont apparues très vite toutes nos références cinématographiques que ce soit dans la musique, dans la manière d’interpréter les images de Johann ou dans le timbre d’Éric, nous on y voit, des choses très américaines, les grands espaces, les road trip et la culture folk et rock des Etats-Unis. On y a même mis la voix d’Elvis Presley. En fait, on s’est tous éloignés pour mieux se rapprocher du texte.
Au sortir de cette semaine de résidence au théâtre L'Horizon de La Pallice, une représentation sera donnée à destination des programmateurs de la région. "Loin de Damas" devrait être joué à Limoges lors de la session automnale du festival Les Francophonies en septembre prochain.