Le geste désespéré d'une salariée de 55 ans, qui s'est jetée du haut d'un escalier de 10 mètres de l'usine Upsa d'Agen mercredi 24 mars, est révélateur d'un malaise général dans la société selon les syndicats. Ils dénoncent "un management qui crée du stress et pousse les gens à bout."
"Létizia n'était pas bien et la direction le savait". Dans une lettre, la salariée de 55 ans qui a tenté de se suicider sur son lieu de travail pointe les responsabilités de sa direction dans son mal-être. Comment en est-elle arrivée là ?
La peur du licenciement
Létizia Storti est toujours hospitalisée pour une chute de dix mètres. Elle a subi plusieurs opérations chirurgicales notamment à la mâchoire et au genou. "Elle souffre beaucoup malgré la morphine, elle en a pour au moins deux à trois mois", raconte Bruno Bourthol, délégué syndical FO et collègue proche qui lui parle régulièrement au téléphone.
"Pour l'instant, Létizia ne veut pas témoigner face à la presse. Pour l'heure, c'est le temps des soins, puis il y aura le temps des explications et aussi probablement d'un dépôt de plainte. Ce que je peux vous dire, c'est qu'elle veut retourner à l'usine et reprendre le travail quand elle ira mieux". Son fils, qui a prévenu l'entreprise après la tentative de suicide de sa mère, ne souhaite pas non plus s'exprimer.
Bruno Bourthol nous a indiqué que "cela faisait des mois que Létizia n'allait pas bien".
Après un accident domestique, elle a eu un problème à la main et a été reconnue "travailleur handicapé" par la médecine du travail "donc il fallait adapter son poste. Létizia est opératrice de production, elle fait du conditionnement de comprimés et de gélules mais ce n'était plus possible. Sauf que la direction l'a promené de services en services durant des semaines. Elle a même été payée à rester chez elle, elle ne comprenait pas pourquoi et se sentait dévalorisée. Elle avait très peur du licenciement pour inaptitude, elle nous en parlait souvent. La semaine qui a précédé sa tentative de suicide, elle a suivi une formation qui a été interrompue car Létizia n'était en capacité de la suivre. Elle était à bout. Et la veille de l'accident, elle a rencontré ses supérieurs qui ont étaient maladroits même s'ils ne voulaient pas lui causer du tort".
Selon Nicolas Part, délégué syndical CGT, "même la DRH était au courant de son mal -tre par rapport à son reclassement à cause de son handicap à la main. Ce n'est pas anodin si Létizia a choisi de se jeter depuis l'escalier qui mène aux bureaux de la direction. C'est très symbolique, elle voulait dénoncer les pressions qu'elle subissait".
Létizia est venue sur son lieu de travail pour intenter à sa vie, c'est un geste fort. On est beaucoup à craindre que ce type d'actes se reproduise.
Un climat de travail "stressant"
Une tentative de suicide, une alerte et un suicide en cinq mois chez UPSA Agen. Le décès est celui de Frédéric Roblot, secrétaire du CSE CGT qui a mis fin à ses jours en octobre 2020. Lui-aussi avait dénoncé dans une lettre les pressions subies au travail. Son décès a été classé accident du travail par la CPAM. La direction conteste la décision et a l'intention de faire un recours selon les informations recueillies ce jour auprès de l'entreprise.
Selon Bruno Bourthol, "beaucoup de gens ne vont pas bien dans l'entreprise. Des techniciens mais aussi des cadres sont en dépression ou en burn out".
L'usine a été racheté par le groupe japonais Taisho en juillet 2019, et "depuis c'est l'incertitude sur notre avenir".
Le repreneur a laissé l'ancienne équipe de direction en place et le PDG a été déposé récemment, un nouveau sera nommé dans les prochaines semaines. "Depuis janvier, il y a eu six départs sous forme de licenciement probablement négociés avec la direction et les salariés en contrat de courte durée ont été remerciés car il y a une baisse de production depuis la crise sanitaire de la Covid-19. Tout cela contribue à créer un climat d'inquiétude au sein de l'entreprise. Et en plus, la direction ne prend pas suffisament conscience des risques psycho-sociaux. Sa façon de manager crée du stress et pousse les gens à bout."
Nicolas Part, élu CGT, connaissait bien Frédéric Roblot. "Son suicide est directement lié à son activité syndicale" selon son collègue. "Frédéric a subi plusieurs fois des pressions de la direction car il a souvent pointé du doigt les manquements de celle-ci depuis 2014 et récemment encore avec le covid."
Les élus CGT ont créé une page Facebook en mémoire de leur collègue et pour communiquer leur action pour faire reconnaître son décès comme accident du travail. Le jour où Létizia Storti a tenté de mettre fin à ses jours, le CGT UPSA présentait le rapport de la CPAM sur le décès de Frédéric Roblot.
La direction d'UPSA veut "rassurer" et "renouer le dialogue"
Ce mardi 30 mars, la direction d'UPSA a tenu une conférence de presse pour réagir à la tentative de suicide de Létizia Storti sur le site agenais. Elle s'est dit "sous le choc" et a "tout de suite" mis en place une cellule psychologique de six psychologues pour soutenir le personnel. "Nous avons aussi lancé des formations renforcées à la sensibilisation aux risques psycho-sociaux pour les 350 managers du site agenais. Ces formations de quatre jours ont commencé ce mardi".
Thierry Lhuillier, directeur de la production industrielle, a reconnu "avoir une part de responsabilité". "Il faut restaurer la confiance et veiller à la stabilité de ce site", rappelant que UPSA est le premier employeur de Lot-et-Garonne avec 1500 emplois. Le DRH Tristan Saladin explique "nous avons une prise de conscience de nous mobiliser encore plus qu'avant".
Les risques psycho-sociaux sont une problématique ancienne dans la société. Depuis 2014, les syndicats alertent sur le sujet. Le directeur de la production reconnaît que "la culture du management est un axe à améliorer." Jeudi 1er avril, une réunion entre direction et syndicats est prévue pour choisir un prestataire extérieur qui aura pour mission de restaurer le dialogue. "On a une part de responsabilité et on offre une main tendue aux organisations syndicales qui doivent aussi prendre leurs responsabilités pour aider à résoudre la sitaution à Agen", a précisé Tristan Salandin.
"Pour repartir sur des bases saines", Thierry Lhuillier a assuré "qu'il n'y avait pas de PSE prévu sur le site d'Agen. Le manque d'information a laissé place aux rumeurs et aux inquiétudes sur l'avenir et c'est légitime", a-t-il commenté. "Un nouveau président va prendre ses fonctions dans les prochaines semaines et il lancera de nouveaux projets, de nouveaux produits et de nouveaux marchés. La plateforme industrielle d'Agen a encore de l'avenir pour UPSA".
► UPSA est le premier employeur de Lot-et-Garonne avec 1500 salariés et 3500 emplois indirects. En 2021, la direction a annoncé une production de 286 millions de boîtes de médicaments.