En Lot-et-Garonne, où vivent de nombreux harkis et leurs descendants, un passage du récent rapport de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, suscite de la colère.
Soixante-et-un ans après la signature des accords d'Evian, la colère de harkis et de leurs descendants reste forte.
Français musulmans, majoritairement recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), les harkis ont été abandonnés par la France à la fin du conflit. Des dizaines de milliers d'entre eux et leurs familles ont fui des massacres de représailles en Algérie et sont venus en France.
"Trahison et collaboration avec l'armée française"
En cause, aujourd'hui, des passages jugés "infamants" dans le premier rapport annuel de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH), remis lundi 22 mai à la Première ministre Elisabeth Borne.
Dans l'annexe 4, Karima Dirèche, historienne franco-algérienne, directrice de recherche au CNRS/TELEMMe a rédigé une synthèse intitulée "la question des Harkis en Algérie, soixante ans après l'indépendance".
La chercheuse indique que "la trahison et la collaboration avec l’armée française qui leur sont reprochés ne permettent aucune analyse explicitant les motivations et les choix des Harkis durant la guerre d’indépendance."
L'historienne précise aussi que "l’histoire des Harkis n’est pas encore écrite en Algérie et aucun travail de référence n’existe sur la question". Elle ajoute que "la question des Harkis ne constitue pas seulement un tabou social ou anthropologique en Algérie. C’est bien plus profond puisqu’elle se heurte à une occultation doublée d’amnésie volontaire."
Les mots "trahison", "collaboration" et "indignité nationale" résonnent fort aux oreilles des descendants de harkis. Trois d'entre eux se sont rassemblés cette semaine sous une tente, avec des pancartes hostiles à l'Etat français et au chef de l'Etat, dans le centre de Villeneuve-sur-Lot, pour sensibiliser les passants.
"On nous considère toujours 60 ans après comme des enfants de collabos. Des enfants de traîtres. Nos parents étaient citoyens français, en aucun cas des traitres".
Boaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis et fils de harkis.France 3 Aquitaine
A côté de lui, André Azni, président de l'association "Les harkis et leurs amis" se rappelle des mots forts du président de la République. "Emmanuel Macron, lors de son pardon, a dit que celui qui insultait un harki insultait la République".
Le Comité national de liaison des harkis exige en conséquence le retrait des passages incriminés. Il va d'ailleurs déposer une lettre de protestation au préfet ce vendredi 26 mai.
Parqués dans le camp de Bias
La "sale guerre" de la France en Algérie, Lakhdar Benouahbab, bientôt 80 ans lui, l'a connue dans sa chair. Les horreurs des combats d'abord, puis la condamnation à mort au pays et la fuite, ensuite, pour le quotidien misérable des camps. "Nous, on se sentait Français, toujours harkis, dans notre tête, comme si on appartenait à la France" dit-il.
Chacun d'entre eux a connu cette vie parquée dans les camps. Ces conditions ont été récemment jugées "indignes" par le Conseil d'Etat. Celui de Bias, près de Villeneuve sur Lot, abritera 1.300 harkis et leur sort émeut encore les Villeneuvois, comme Jean-Paul Passegué, qui s'est arrêté pour discuter. "L'histoire des harkis, c'est une histoire dramatique que je connais bien, car j'étais en âge de comprendre. Je suis sensible à leurs problèmes".
Ostracisés en Algérie, abandonnés par la France après avoir combattu pour elle, les Harkis et leurs descendants attendent maintenant reconnaissance et réparation, avant une véritable réhabilitation.
Indemnisations
Pour autant, des milliers de harkis ou leurs descendants vont être éligibles à de nouvelles indemnisations pour avoir séjourné dans des structures d'accueil françaises aux conditions déplorables entre 1962 et 1975, a annoncé lundi le gouvernement français, qui a décidé d'élargir la liste de ces sites.
"Jusqu'à 14.000 personnes (supplémentaires) pourraient être indemnisées à la suite de leur passage dans l'une de ces structures", selon le communiqué du gouvernement. Quarante-cinq nouveaux sites sont proposés par la commission, notamment des camps militaires, des bidonvilles ou des baraquements et s'ajoutent aux 89 déjà répertoriés.
Les harkis et leurs descendants formeraient aujourd'hui en France une communauté de plusieurs centaines de milliers de personnes.