Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de familles françaises innocentes ont été enfermées dans des camps derrière des barbelés, et privées de tous leurs droits. Leur calvaire a duré des années dans l’indifférence générale. Bias, dans le Lot-et-Garonne, est l'un de ces camps.
Dans ce film, quatre femmes de Harkis prennent la parole pour la première fois.
Elles racontent l’infantilisation, la répression, l’aliénation, les placements d’enfants, les internements punitifs, le règne de l’arbitraire dans un camp hors la loi, sans existence légale.
Dalila Kerchouche, réalisatrice engagée
Dalila Kerchouche est journaliste, écrivain et scénariste. Elle est née dans le camp de Bias en 1973. Depuis 20 ans, son activité est orientée vers l'investigation sur la tragédie des Harkis. Son travail mémoriel lui a valu de nombreux prix.
Elle est l'auteure du livre Mon père, ce harki qui a été adapté en fiction pour France 2 et Arte, avec Leïla Bekhti, Smaïn et Frédéric Pierrot.
Je suis née en 1973 dans un de ces lieux de relégation : le camp de Bias, dans le Lot-et-Garonne. Dans cette ancienne prison, ma famille a été persécutée pendant 12 ans par l’Etat français. Notre « crime » ? Avoir défendu le drapeau français pendant la guerre d’Algérie. Depuis 60 ans, on nous appelle les « Harkis » pour faire oublier que nous sommes Français.
Dalila Kerchouche, réalisatrice
Son père était un soldat qui a choisi le côté français pendant la guerre d'Algérie. Il fait partie des 300 000 soldats français recrutés parmi les autochtones, sur place en Algérie. A l'été 1962, 70 000 d'entre eux seront massacrés par le FLN. Les méthodes d'exécution sont insoutenables. Quelques-uns seront discrètement sauvés par des soldats français.
Sa mère, décédée il y a deux ans en emportant avec elle une partie de ses souvenirs et de ses secrets, était donc femme de harki. Sa vie tisse des liens forts avec l'histoire de France puisque son grand-père est mort à Verdun et que son père a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale.
Dalila Kerchouche passe sa petite enfance derrière des barbelés. Alors que sept de ses ancêtres sont morts pour la France, sa famille est restée enfermée douze années, douze interminables et injustifiables années. Son frère s'est suicidé il y a douze ans. Parfois, la mémoire est trop douloureuse pour continuer à vivre. Il n'avait pas 40 ans.
La réalisatrice est revenue à Bias. Si le camp a été détruit, elle a pu cependant retrouver des archives, aujourd'hui conservées aux archives départementales du Lot-et-Garonne.
Bias, camp d'accueil des rapatriés d'Algérie
Pour la première fois, quatre femmes de harkis ont accepté de prendre la parole. Elles sont les derniers témoins directs de ce qui s'est passé dans le camp de Bias. Leur parole est précieuse, leur mémoire est encore intacte. Ce documentaire n'est pas un seulement un travail mémoriel pour cicatriser des blessures personnelles, il est un film utile, qui sert notre mémoire collective, à la fois pour ne pas oublier et pour essayer de comprendre.
Les rescapés de la guerre et de la période qui a suivi la fin de la guerre d'Algérie, une fois arrivés sur le sol français, sont enfermés dans des camps construits rapidement. Les conditions de vie sont ignobles, mails il ne faut pas que cela se sache ; alors l'armée française filme autre chose que la réalité pour diffuser des films de propagande. Sur l'un de ces films, on voit des écoliers. Sur les bureaux, pas un cahier, pas un livre, pas un stylo. La mise en scène frise le ridicule. Les femmes apprennent la cuisine, la couture, le gouvernement veut les " intégrer à la société". Seul détail qui empêche cela : pas de cours d'alphabétisation. Postulat de départ : le Ministère des rapatriés juge les femmes inaptes à la société française.
La propagande cache une autre vérité, celle des maladies et de la mortalité dans les camps. Pendant l'hiver 1962/1963, près de 130 enfants meurent de froid et de faim. Du camp de Rivesaltes, les réfugiés que l'on juge incapables de travailler sont envoyés à Bias. Le camp est à trois kilomètres du village qui lui donne son nom. Sur place, on compte jusqu'à 1300 personnes et parmi elles, il y a beaucoup d'enfants. Certains seront séparés de leur famille pour être placés, arbitrairement. Ces placements sont la suite logique d'une série de mesures de dépossession des familles. Dans le documentaire, la réalisatrice qui est aussi la narratrice précise que les femmes ont déjà tout perdu et que l'administration leur prend aussi leurs enfants.
Depuis soixante ans, certaines familles vivent toujours à Bias. Les quatre femmes rencontrées par la réalisatrice se souviennent des conditions de vie : pas d'eau potable, des tas d'ordures, des odeurs nauséabondes, des douches froides et dans l'eau du puits, coulent les urines des toilettes. Les douches chaudes sont payantes mais le chef de camp peut décider de les supprimer en les utilisant comme punition.
Il est le seul à décider. Chaque famille, qui n'a pas le droit de sortir de camp, reçoit une somme d'argent. Elle doit en donner la moitié pour le fonctionnement du camp. Impossible de vivre ailleurs avec si peu de revenus. A la moindre contestation, l'indemnité est supprimée.
A Bias, on veut nous franciser de force alors que nous sommes déjà français. On veut nous intégrer mais on est exclu.
Dalila Kerchouche
Chaque matin, dans le camp de Bias, a lieu la montée du drapeau français. Le courrier, déjà ouvert, est distribué. Certains ont bien essayé de se révolter. Ils étaient immédiatement envoyés dans un hôpital psychiatrique près d'Agen. Il n'était pas rare qu'ils soient mis sous camisole chimique. Cela signifie une mort lente, une mort psychologique et sociale.
Bias, symbole de la révolte des harkis
En 1974, la mère de Dalila Kerchouhe décide de quitter le camp. C'est une prise de risque courageuse mais au fond, sans plus de danger que de rester dans le camp.
Un an plus tard, en 1975, des jeunes du camp se révoltent et font tomber les barbelés. L'Etat français, malgré l'envoi des forces de l'ordre, ne peut plus cacher les camps et leur vérité. Le gouvernement annonce alors leur dissolution.
Bias devient le symbole de la révolte nationale des harkis.
Presque cinquante ans plus tard, grâce à ce documentaire, les archives longtemps restées dans l'oubli ont été transférées aux archives départementales.
Au fond le mot "harki" est un piège qui fait penser que nous ne sommes pas français alors que nous l'avons toujours été.
Dalila Kerchouche
En 2001, un juriste a porté plainte contre l'Etat français pour dénoncer les conditions de vie indignes des camps de réfugiés.
En 2021, le Conseil d'Etat lui a donné raison. L'Etat français a été condamné pour atteinte à la dignité de la personne humaine.
En septembre 2021, Emmanuel Macron, président de la République, a demandé pardon au nom de la France aux harkis en reconnaissant "un abandon de la République française".
A cette occasion, Dalila Kerchouhe a prononcé dans le palais de l'Elysée un discours puissant, en parlant de sa famille : de ses parents partis trop sans savoir pour quelles raisons ils ont été enfermés après avoir choisi la France et de son frère mort à 35 ans sans jamais avoir été guéri d'une enfance passée derrière des barbelés.
Avec ce film, je veux tendre la main aux morts pour réparer le vivant.
Dalila Kerchouche
Ce documentaire ne fera pas revenir celles et ceux qui sont morts dans ces camps ou qui vivent encore chaque jour avec le poids de l'incompréhension. Malgré tout, il fera de ceux qui le regarderont des ambassadeurs d'une mémoire indispensable, des témoins par procuration, des traits d'union entre des histoires humaines qui font l'Histoire d'un pays.
Soirée spéciale sur France 3 Nouvelle-Aquitaine
Le film documentaire "Bias, le camp du mépris" sera diffusé le jeudi 24 novembre à 23.15 sur France 3 Nouvelle-Aquitaine dans la France En Vrai. La diffusion sera suivi d'un débat.
DEBADOC : harkis, un passé qui passe mal présenté par Sandrine Valéro
Débadoc se penche sur une page d’histoire spécifique de Nouvelle-Aquitaine, le camp de Bias en Lot-et-Garonne où ont été parqués des milliers de Harkis au lendemain des accords d’Evian.
Dans «Bias, le camp du mépris», Dalila Kerchouche s’appuie sur la mémoire des Femmes, elles qui ont dû mener un autre combat, après le cessez-le-feu : survivre et faire vivre leurs enfants dans des logements insalubres, loin de l’image idyllique montrée par l’Etat Français.
Ce film a été retenu dans le cadre du Festival du Film d’Histoire de Pessac (un partenariat France 3 Nouvelle-Aquitaine) dont le thème cette année est « Masculin-Féminin, toute une Histoire ». Le documentaire "Bias, le camp du mépris" avait donc toute sa place dans la programmation 2022.
Débadoc élargit le récit de Dalila Kerchouche pour rendre la parole aux Femmes, les remettre dans la lumière, elles qui, dans l’Histoire, ont longtemps été occultées.
Sur le plateau de Débadoc, parmi les invités :
- Katia Khemache, docteure en histoire
- François Aymé, commissaire général du Festival du Film d’Histoire de Pessac
- Dalila Kerchouche, journaliste et réalisatrice (web cam)