C'est un coup de théâtre. La justice a ordonné la reprise des investigations sur le meurtre de Ghislaine Grivart de Kerstrat, tuée en 1994. Son meurtrier présumé s'était donné la mort en prison en 2005. Mais la justice s'interroge dorénavant sur l'intervention d'un complice.
Sa famille n'a jamais voulu abandonner la recherche de la vérité. Et c'est un soulagement pour elle. Enfin, va-t-elle, peut-être, pouvoir comprendre qui a tué Ghislaine Grivart de Kerstrat, en 1994, à l'âge de 19 ans. Et dans quelles circonstances.
Supplément d'information
" Après autant de temps passé" regrette l'avocat de la famille, l'Agenais Maître Edouard Martial, "il va tout falloir reconstituer" . Du moins c'est ce qu'espère ce ténor du barreau, alors que la chambre de l'instruction de la cour d'Appel d'Agen a décidé d'ordonner un supplément d'information aux fins de poursuivre les investigations. Soit, vingt-huit ans après les faits.
On s'aperçoit que des scellés ont été perdus, d'autres détruits. On est vraiment dans l'indifférence majeure de l'institution judiciaire vis-à-vis de ce dossier. Heureusement, la chambre d'instruction essaie de rattraper le temps perdu.
Maître Edouard Martial - avocat de la famille de Ghislaine Grivart de KerstratFrance 3 Aquitaine
"Dans cette affaire, il y a des zones d'ombres partout, affirme-t-il. La procédure repart pratiquement de zéro"
Disparue en faisant de l’auto-stop
Ghislaine Grivart de Kerstrat avait l'habitude de faire du stop dans l'est du Lot-et-Garonne, où elle vivait. Ce jour-là, le 28 mai 1994, la jeune femme rentrait d'un rendez-vous chez sa coiffeuse, située à Monsempron-Libos. Mais elle n'est jamais arrivée à destination.
Des témoins l'ont vu monter à bord d'un "fourgon Renault Trafic, ancien modèle, de couleur beige clair", comme le rapportent les investigations. La justice ouvre une enquête près d'un mois plus tard, pour enlèvement et séquestration.
Son corps sera retrouvé le 2 juillet suivant, dans un fossé sur la commune de Montaut, à une trentaine de kilomètres de là. L'enquête piétine pendant de longues années, pour finir par un non-lieu, prononcé par un juge d'instruction, dix ans après les faits en 2004.
Le rebondissement
A nouveau, onze années passent. C'est alors qu'un homme va être confondu, par l'ADN retrouvé sur la victime et comparé au fichier national. Il s'agit de Didier Buret, déjà condamné par le passé, et qui avait mis fin à ses jours en 2005. Il était déjà dans le viseur de la justice, à la suite d’accusations de viols commis sur sa sœur, âgée de 14 ans, et ce durant une dizaine d'années, mais aussi sur sa cousine et son épouse. Les viols sur sa sœur ont été commis avec son frère, Eric.
C'est sur ce frère que va se recentrer l'enquête en 2015. Eric est mis en examen, mais nie toute participation aux faits. Il apparaît qu'il vivait sous l'emprise de son frère, d'après certains témoignages.
Cinq ans plus tard, en 2020, la famille de Ghislaine Grivart de Kerstrat est entendue par le magistrat instructeur, en tant que partie civile. Nous sommes donc vingt-six ans après le meurtre de la jeune femme. " Ils regrettaient de ne pas avoir été tenus informés de la procédure et de 'l'implication de Didier Buret", relève l'arrêt de la chambre d'instruction rendu ce mercredi 2 mars et qui relance l'enquête.
Contre toute attente, pour la deuxième fois, un juge d'instruction délivre un non-lieu et ne poursuit pas l'enquête. Il reste sur l'hypothèse de charges suffisantes à l'encontre de Didier Buret, qui s'est donc suicidé, et donc l'extinction de l'action publique. Il ne retient pas de charges suffisantes contre son frère, un nouveau coup dur pour la famille.
L'arrêt qui relance les investigations
La famille ne baisse les bras. Elle décide d'interjeter appel de l'ordonnance de non-lieu, listant, entre autres, des éléments troublants issus des déclarations des différentes personnes interrogées par le passé.
Pour l'avocat de la famille, Maître Edouard Martial, il y a une succession d'erreurs, "d'indifférence" ajoute-il. La ceinture retrouvée autour du cou de la victime, pièce majeure du dossier, a été perdue alors qu'elle était transmise pour analyse au service de gendarmerie compétent. L'arrêt de la chambre d'instruction évoque aussi un mélange d'ADN dans le prélèvement. Autant d'éléments qui jettent le trouble dans le déroulé de l'enquête.
D'où ce rebondissement, près d'un an plus tard, mercredi 2 mars 2022, lorsque la chambre de l'instruction relance l'affaire. La justice doit, pour y voir plus clair, procéder à de nouvelles expertises sur les lieux de découverte du corps, via une reconstitution. Elle doit également réentendre les témoins de l'époque, qui ont assuré avoir vu deux personnes dans le fourgon. Qui est le deuxième ? Vont-ils reconnaître, ou non, les frères Buret ?
De nouvelles audition et expertises à venir
Le nouveau magistrat instructeur va devoir procéder à de nouvelles auditions des proches de la famille Buret et à de nouvelles confrontations. Des expertises génétiques vont devoir être réalisées sur des objets de la victime. Le scellé disparu, comportant notamment la ceinture, devra être retrouvé. Il faudra également réexaminer "des écoutes téléphoniques majeures", selon l'avocat de la famille, notamment des conversations des proches des frères Buret.
La famille, c'est-à-dire la mère et les frère et sœur de Ghislaine Grivart de Kerstrat, ne souhaite pas s'exprimer pour l'heure dans la presse. Mais elle attend beaucoup de cette relance de l'enquête. L'avocat s'interroge pour savoir comment un tel fiasco judiciaire a pu avoir lieu durant toutes ces années. Il espère en voir le bout avec la nomination de Jérôme Glavany, vice-président chargé de l'instruction au tribunal judiciaire d'Agen. .