Quatre ans durant, des hommes et des femmes ont risqué leur vie de Bruxelles à la frontière basque pour exfiltrer des aviateurs alliés, dont les appareils avaient été abattus par la DCA allemande, au-dessus des Pays bas, de la Belgique, de l'Allemagne et du nord de la France. Ce fut la plus longue chaine vers la Liberté jamais mise en œuvre pendant la Seconde Guerre mondiale.
2024, il y a 80 ans la France est libérée. Partout sur le territoire des maquis, des réseaux, ont préparé, soutenu et participé à cette Libération, de 1940 à 1944. Au Pays basque aussi, pour ne citer qu’eux, les deux maquis de Soule, les réseaux Castille, Navarre, Nivelle - Bidassoa, et bien sûr Comète. Txirrita rend hommage à ce dernier grâce auquel quelque 800 aviateurs furent sauvés dont 328 regagnèrent Londres par le Pays basque.
Le réseau ou ligne Comète est créé en Belgique. Andrée de Jongh (Dédée), en est la cofondatrice avec Arnold Deppé. Ils collectent des habits civils pour les aviateurs, recrutent des personnes pour les cacher, puis les accompagner à travers la Belgique et la France occupés jusqu'à la frontière espagnole. Une fois exfiltrés, avec l'aide des militaires Anglais établis à Saint-Sébastien, Bilbao, Madrid, ils sont conduits à Gilbraltar d'où ils rejoignent Londres pour recommencer la guerre.
Pour franchir la frontière, surveillée par les Allemands, les aviateurs peuvent compter sur les passeurs basques, qui les conduisent de nuit à travers la montagne, après des marches harassantes, truffées de pièges et de dangers.
Ces héros ont très peu témoigné de leur vivant, par pudeur, souhaitant tourner ainsi une page souvent douloureuse. Mais leurs enfants, petits-enfants, neveux, petits-neveux, entretiennent le souvenir des leurs, au sein de l'association Les Amis de Comète. Ils ont accepté de nous accompagner pour ce Txirrita.
Les invités
Dominique Aguerre est le président de l'association. Son père, Pierre et son oncle, Baptiste, furent deux des quatre passeurs du village d'Espelette qui furent engagés pour Comète à partir de 1943, quand la première voie (celle de la côte et de la Bidasoa) fut grillée.
C'est un ancien de la Première Guerre mondiale, douanier à la retraite, Pierre Elhorga, qui intégra ces contrebandiers dans le réseau ! Qui mieux que des "travailleurs de la nuit" comme on les appelle en basque, pour passer des aviateurs alliés ?
Marie, l'épouse de Pierre Elhorga, directrice de l'école publique de Sutar à Anglet, était également en première ligne. Tout à côté de l'école, Marthe Mendiara tenait un restaurant dans lequel elle recevait des aviateurs alliés alors même que des Allemands y prenaient leur repas.
Sa nièce Christiane Etchessahar Saldias, alors âgée de 16 ans, était chargée de conduire les aviateurs de la gare de Bayonne ou de l'auberge Chez Gachy située place Saint-André à Bayonne, jusque-là.
L'association Les Amis de Comète maintient le souvenir de tous ces civils qui ont tout donné pour sauver ces aviateurs alliés. De Bruxelles au Pays basque, 259 tombèrent aux mains des nazis et furent fusillés ou périrent en déportation
Dominique Aguerre
Frantxoa Aguerre, cousin de Dominique a bien connu ses deux oncles, guère diserts sur leur engagement ce qui a piqué la curiosité de Frantxoa, qui au sein des Amis de Comète, travaille à maintenir vive la mémoire du réseau. L'association organise une marche commémorative, en septembre, une année côté Bidassoa, la suivante, côté Espelette et Larressore. Sans oublier de rendre hommage à tous les membres du réseau à Anglet qui facilitèrent au prix de risques inouïs l'exfiltration des alliés, sur les chemins de la Liberté. Car la mairie d'Anglet fut le centre névralgique de Comète Sud.
Son maire d'alors, François Dommain, qui sera déchu par Pétain, "recruta" Fernand de Greef, un réfugié belge, à la mairie d'Anglet. Parfaitement germanophone, il était aux avant-postes pour écouter les Allemands. Le reste de la famille ne fut pas en reste, Elvire, épouse de Fernand connue au sein de Comète comme "Tante Go" fut recrutée par Dédée de Jongh. Les enfants Freddy et Janine participèrent aussi au réseau.
Anglet a été le pivot de Comète Sud et aujourd'hui encore entretient la flamme avec notamment la sculpture de Charles Durant, place Lamothe, mais aussi des publications et nombre de plaques commémoratives pour dire non à l'oubli.
Frantxoa Aguerre
Geoff Cooper, ancien aviateur de la RAF, installé au Pays basque pour sa retraite, est l'un des piliers des Amis de Comète. Son engagement est une façon de rendre hommage au courage de tous ces civils qui ont été ces aviateurs canadiens, américains, britanniques, australiens à échapper aux nazis. Ces civils n'étaient pas protégés par la Convention de Genève rappelle-t-il, et considérés comme des terroristes. Ils risquaient l'exécution et les camps de la mort.
Arrivés à la gare de Bayonne, les aviateurs étaient accompagnés, outre par Christiane Etchessahar, par Lucienne Dassié, "Lulu", Jean-François Nothomb, dit Franco, chef du réseau après l'arrestation de Dédée en 1943. Lucienne comme ses parents Edouard et Cyprienne Dassié, fut déportée en 1943.
Pour les aviateurs c’était comme une aventure : passer au nez et à la barbe des Allemands et rejoindre l'Espagne. Ils étaient jeunes et fougueux.
Geoff Cooper
Juanito, Marian et Joxan Goikoetxea. Neveu, petite-nièce et petit-neveu du célèbre Florentino Goikoetxea passeur originaire d'Hernani en Guipuzcoa. Travaillant à l'extraction de sable à Saint-Sébastien, Florentino avait rencontré des collègues intervenant sur la Bidasoa, et partant des contrebandiers des deux côtés de la Bidasoa. Avec eux, il apprit à connaître les sentes des deux côtés de la frontière. Fuyant son pays après la victoire franquiste, il se réfugie au Pays basque de France. Il rejoint dès 1941 le réseau Comète et fera franchir la frontière par la rivière Bidasoa jusqu'en 1943. Car la ligne passant par la côte basque sera grillée après la dénonciation de membres du réseau, et la tragique nuit du 23 décembre 1943, au cours de laquelle périrent noyées deux personnes qui tentaient d'échapper aux tirs des gardes civils espagnols, au moment de franchir la rivière.
Antoine d'Ursel de Comète qui préparait la seconde ligne de Comète après la fragilisation de la première, et l'aviateur James F. Burch sont les deux victimes de cette nuit tragique.
Florentino échappe plusieurs fois aux gardes civils et aux soldats allemands, grâce à sa connaissance de la montagne. Il exfiltrera avec le soutien d'autres contrebandiers et passeurs une centaine d'aviateurs. Chaque mois de juin, les Goikoetxea organisent un hommage à leur oncle et grand-oncle, ainsi qu'à trois autres passeurs de Hernani, autour du petit mémorial en leur honneur, avec les Amis de Comète. Tout près de la ferme natale de Florentino.
Florentino non plus n'a jamais beaucoup parlé de ses exploits. C'est plus tard, quand il fut décoré de la Légion d'Honneur que l'on s'en est rendu compte, puis grâce aux historiens qui ont travaillé sur ce thème.
Joxan Goikoetxea
Saint Jean-de-Luz, Ciboure et Urrugne, trois passages importants de la ligne Comète Sud, par le littoral avant qu’elle ne tombe, avec un personnage central : Kattalin Agirre. Avec Florentino elle constitue un duo inouï, digne d’un roman. C'est elle qui a recruté le passeur. Elle travaille alors à l'hôtel Eskualduna, à Saint-Jean-de-Luz, avant que celui-ci ne devienne le siège de la Feldgendarmerie. Fifine, sa fille âgée alors de 16 ans fait partie du réseau ! Elles ont également des relais à Saint-Jean et à la mairie de Ciboure.
Beñat Olaizola, nous conduit avec Frantxoa sur les sentiers des passeurs, au-dessus du village d'Espelette, tout près de la frontière avec la Navarre. Quand la ligne du littoral fut définitivement grillée, cette seconde voie demeura la seule active de Comète. Quatre passeurs du village s'activeront ici un an durant : les frères Aguerre donc, et Pierre Etchegoyen ainsi que Jean Elizondo. Ils seront secondés par des bergers et contrebandiers qui les avertiront de la présence de gardes ou soldats allemands, tels des éclaireurs.
Ces hommes étaient très discrets, ne parlaient pas de ce qu'ils faisaient. Ils étaient très solidaires, de proches voisins qui travaillaient en confiance. Hitza hitz. La valeur de la parole.
Beñat Olaizola
Juan Bi Mihura, est le petit-fils de Xan Mihura, un éleveur qui habitait avec sa famille dans une ferme presque à cheval sur la frontière, sur un des passages vers la liberté. C'était la dernière étape de la seconde ligne Comète, passage de relais entre les passeurs labourdins et navarrais.
De l’autre côté, c’était la liberté, mais le voyage n’était pas fini ! Xan conduisait les aviateurs jusque dans la vallée du Baztan, en Navarre. Puis ils étaient pris en charge par les militaires et diplomates alliés en poste en Espagne. Car l'Espagne franquiste était neutre.
Les relations entre bergers et paysans de chaque côté de la frontière étaient très étroites. Souvent ils étaient de la même famille. En fait cette frontière n'existait pas vraiment
Juan Bi Mihura
Hommage particulier
Cinq membres du réseau Comète Sud seront arrêtés et décéderont en déportation ou au retour des camps. Ainsi Frantxia Usandizaga du village d'Urrugne, dénoncé par un de ses voisins, décédera de douleur dans le camp de RavensbrücK, d'avoir laissé seuls ses trois enfants.
Manuel Larburu, valet de la ferme de Frantxia décédera à Buchenwald. Alejandro Elizalde, réfugié républicain basque d'Euskadi, travaillait en étroite collaboration avec tante Go. Dénoncé par des personnes travaillant pour les franquistes. Édouard, Cyprienne, Lucienne Dassié, seront également arrêtés et déportés en 1943.
Lucienne dite Lulu survivra, mais son père mourra à son retour de Buchenwald en 1945 à Paris à l'hôpital de la Salpêtrière et sa mère en 1947. Jean, le plus jeune fils, ne sera heureusement pas arrêté et vivra. Il sera, avec sa soeur Lulu, l'un des fondateurs des Amis de Comète et inlassablement entretiendra le souvenir de Comète.
Précision que tient à apporter Dominique Aguerre : On parle de 800 aviateurs sauvés par Comète. C'est en partie vrai. Cependant, 300 franchiront la frontière par le Pays basque. Quelque 500 seront en fait protégés par la Résistance dans des maquis, à la fin de 1943, car le débarquement approchant, le commandement allié ne voulait pas risquer plus de vies et mobiliser plus de moyens.
Remerciements :
Les Amis de Comète Sud et la famille Goikoetxea qui nous ont cédé nombre de documents et ont témoigné dans ce Txirrita.
Nicolas Lacaze, du restaurant Guernika anciennement "Chez Gachy", qui nous a accueillis pour la séquence Comète - Bayonne.
L'Institut National de l'Audiovisuel.
Les collègues de France 3 Euskal Herri et les indispensables vidéothécaires de France 3 Aquitaine !
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Pour en savoir plus.
Un lien vers le site des Amis du réseau Comète.
https://cometepaysbasque.blogspot.com/
Des références précieuses :
"Le Réseau Comète Sud au Pays basque" (en français, basque, anglais, espagnol). Éditions "Les Amis du réseau Comète".
"En passant par la Bidassoa" de Juan Carlos Jimenez de Aberasturi. J et D Éditions
"Le réseau Comète une histoire complète. La ligne d’évasion de pilotes alliés". Une BD de Jean-Yves Le Naour, Marko, Holgado. Éditions Bamboo
Un film : "Le dernier passage" (2011) d’Enara Goikoetxea et Iurre Telleria.