Elle est soupçonnée d'avoir percuté une voiture arrivant en face alors qu'elle regardait une vidéo au volant. L'accident, survenu en août 2018, a tué une octogénaire. La conductrice, qui nie avoir regardé l'écran, était jugée ce lundi à Pau. Elle a été condamnée à 2 ans de prison avec sursis.
Aurélie, étudiante en fac d'histoire, avait 19 ans au moment des faits.
Nous sommes en plein été 2018. Ce jeudi soir aux alentours de 18h30, Martial Darbeille, 61 ans, rentre d'une promenade avec sa mère Claire âgée de 89 ans.
Ils roulent sur la départementale 934 qui relie le petit village de Bielle à celui de Laruns au sud de Pau.
C'est à la sortie de Bielle que le drame se produit.
En face, sur la ligne droite, la voiture d'Aurélie se déporte sur la voie opposée, celle où roule Martial. Pour l'éviter celui-ci vire sur sa gauche mais au dernier moment le véhicule reprend sa voie initiale. Il est 18h38. C'est l'accident. Un choc de plein fouet. Extrêmement violent.
La mère de Martial, très gravement blessée, doit être désincarcérée. Transportée en hélicoptère au CHU de Pau, elle y décèdera quelques heures plus tard.
Grey's Anatomy sur le smartphone de la jeune conductrice
Une enquête est ouverte pour comprendre ce qui a pu provoquer cet accident en pleine ligne droite sur une route assez large.
Les gendarmes trouvent un smartphone fixé sur la droite du volant d'Emilie, au niveau de la sortie du radiateur. Après examen de l'appareil, ils découvrent qu'une série vidéo était en cours de diffusion au moment des faits. Elle avait consulté un site de streaming entre 18h09 et 18h15 et au moment de l'accident l'écran était allumé.
Emilie reconnaît. Elle avait enclenché des épisodes de"Grey's Anatomy". Mais elle affirme qu'elle ne les regardait pas, elle écoutait seulement les dialogues.
Alors pourquoi a t-elle perdu le contrôle de sa voiture ce soir là ? Et percuté un véhicule arrivant en face en plein jour et sans qu'aucun obstacle n'obstrue la vision ?
Aurélie dit avoir été victime d'un malaise.
Elle est poursuivie pour "homicide involontaire" et "violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence". Ainsi que pour "conduite à vitesse excessive eu égard des circonstances".
Yeux rougis, voix basse, elle présente ses condoléances à l'audience
Près de deux ans après le drame, Emilie, 21 ans, cheveux longs, bruns et ondulés, comparaît devant le tribunal correctionnel de Pau.
Elle se présente les yeux rougis et parle d'une voix faible. Elle dit vouloir devenir professeure des écoles.
Elle affirme ne pas se souvenir des appels de phares et des coups de klaxon de Martial ce soir là. Mais reconnaît avoir manipulé son téléphone portable en conduisant, "juste pour écouter les dialogues de la série". C'est comme écouter de la musique explique t-elle,
"c'est une série que je connais par coeur, je l'écoute souvent en fond sonore, ça fait une présence. Ca m'arrive aussi quand je fais la cuisine ou que je me maquille".
Le président du tribunal lui demande ce qu'elle pense de son comportement. Elle présente alors ses excuses et ses condoléances à la famille.
Martial, le fils, regrette que ces condoléances interviennent si tard même s'il apprécie le geste. Ravagé par l'émotion, en pleurs, il évoque sa mère. Une femme coquette, dotée d'une grande empathie. Elle avait crié à trois reprises "c'est pas possible" le soir de l'accident en voyant la voiture d'Emilie foncer sur eux.
L'avocat de la partie civile s'insurge : "vous dites : c'est un accident, ça peut arriver à tout le monde. Non ! Pas dans ces circonstances. J'aurais aimé un comportement plus responsable" dit-il à la barre.
2 ans de prison requis dont 18 mois avec sursis
Le procureur réclame deux ans de prison dont 18 mois avec sursis. Il propose que les six mois ferme soient effectués à domicile avec le port d'un bracelet électronique.
Il demande par ailleurs 2000 euros d'amende, un stage de sensibilisation et l'annulation de son permis sans possibilité de le repasser avant trois ans.
S'exprime alors l'avocate de la défense Maître Martine De Brisis qui tient à souligner qu'il n'est pas interdit d'écouter une pièce en conduisant et qu'il n'y a pas de preuve que sa cliente avait les yeux braqués sur l'écran.
"Le problème vient plutôt d'une forte luminosité ou d'un moment d'absence"
plaide t-elle expliquant que cela pouvait aussi être lié à la "grande fatigue d'Aurélie , elle travaille beaucoup".
Aurélie revient à la barre. Elle éclate en sanglots, réaffirme ses regrets et dit comprendre la gravité de son acte avant que le tribunal se retire pour délibérer.
Quarante minutes plus tard les juges sont de retour. Ils condament la jeune femme à deux de prison avec sursis probatoire. Pas de peine ferme ni de bracelet électronique. Mais 500 euros d'amende et un stage de sensibilisation.
Voyez le reportage au tribunal de Pau réalisé par Laurianne de Casannove et
Portable au volant : risque d'accident multiplié par 3"Quand vous regardez votre portable, qui regarde la route ?" c'est l'un des slogans de la campagne de la sécurité routière contre l'usage du téléphone au volant.
Selon le baromètre 2019 du comportement des français au volant, 70% des conducteurs utilisent leur smartphone en conduisant. Cette situation est considérée comme un véritable fléau pour les professionnels de la sécurité routière.
"Le smartphone est le seul dispositif qui cumule les quatre sources de distraction pouvant détourner l’attention d’un conducteur" expliquent-ils. A savoir : la distraction visuelle (le conducteur quitte la route des yeux), la distraction cognitive (le conducteur se concentre sur la conversation ou sur ce qu'il lit plutôt que sur la route et la conduite), la distraction auditive (le conducteur n'est plus attentif aux bruits extérieurs qui peuvent le prévenir d'un éventuel danger) et la distraction physique (le conducteur ne tient plus son volant à deux mains lorsqu'il utilise son téléphone). Ainsi, les temps de réaction se retrouvent allongés, on freine moins rapidement, les distances de sécurité et la limitation de vitesse sont moins bien respectées, le champ de vision est réduit et il est plus difficile de maintenir le véhicule dans la voie de circulation. En 2019, un accident corporel sur 10 était lié à l'usage d'un téléphone. Afin de limiter les risques, le gouvernement a récemment décidé de durcir les sanctions.
Le contrevenant encourt désormais 135 euros d'amende et le retrait de trois points sur son permis s'il a son portable en main. Si en plus il commet une infraction, il risque rétention et suspension du permis. Sachez aussi qu'il est interdit de placer le smartphone dans son champ de vision, sauf en cas d'utilisation d'une aide à la conduite.
Les oreillettes et casques, même bluetouth, même fixés d'un seul côté sont interdits. Seuls les dispositfs intégrés au véhicule sont autorisés pour une conversation téléphonique. La prévention routière rappelle qu'"écrire un message en conduisant multiplie par 23 le risque d’accident" et qu'"envoyer un message nécessite de quitter 5 secondes la route des yeux". Elle conseille de télécharger des applications permettant de mettre le téléphone en "mode conduite" pour "aider les conducteurs à résister à la tentation d’utiliser leur téléphone au volant". Ces applications permettent notamment d'envoyer automatiquement un message aux interlocuteurs qui tentent de vous joindre en indiquant que vous êtes en train de conduire.
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