Viols, attouchements sexuels, violences, sévices, humiliations, la parole se libère parmi d'anciens élèves de l'établissement privé catholique de Notre-Dame de Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques. Les auditions sont toujours en cours. Que s'est-il passé durant plusieurs décennies dans cette institution de Pau ? Qui savait ? Des familles ont-elles laissé faire ? Le sujet reste tabou encore aujourd'hui dans le Béarn.
Près de 90 plaintes à ce jour dont celle de Patrice, 49 ans, auditionné ce jeudi 16 mai à la gendarmerie de Nay. Scolarisé en 1986 et 1987 à Bétharram, ce Béarnais a finalement décidé de "parler", même si les faits sont prescrits pour lui. Un mois et demi de réflexion, à lire des témoignages d'anciens copains du collège sur un groupe Facebook. "Le plus dur, cela a été de le mettre sur le papier. Seule mon épouse était au courant, c'était une obligation de lui dire, car vous êtes détruit. D'une certaine manière, je suis mort là-bas".
Des gifles "à rendre K.O"
En 1986, Patrice a douze ans. Ses parents décident de le placer à Notre-Dame de Bétharram après son redoublement de la classe de sixième. "Moi, à l'époque, je ne pensais qu'à la montagne et à faire du ski. À la maison, avec un père militaire, c'était la discipline et la rigueur, pas de place pour la fantaisie".
Pour Patrice, l'enfer a commencé dès le premier contact avec le directeur religieux de l'établissement de l'époque, le père S. "Pour moi, mes parents ont signé un chèque en blanc aux curés. On a été reçu dans le bureau du directeur et à la fin de l'entretien, il m'a giflé, violemment".
Le Père S. me met une énorme gifle en disant "Ici, ça, c'est une caresse". Mes parents n'ont pas réagi.
Patrice,plaignant et ancien élève de Notre-Dame de Bétharram
Patrice a retrouvé des copains scolarisés avec lui à l'époque, qui n'ont rien vécu de tout ça. " Même ceux qui n'ont pas vécu ça, tout le monde savait. Et des familles, comme la mienne, ont accepté et laissé faire la violence de Bétharram".
La direction de l'établissement utilisait des élèves de Première comme "pions" pour surveiller les dortoirs des collégiens. "C'étaient les petites mains de la direction et ils faisaient ce qu'ils voulaient. Un soir, j'ai fait craquer mes doigts, c'était comme un tic chez moi. Le pion s'est approché et m'a demandé si j'avais bien fait craquer mes doigts et j'ai répondu "oui". Il m'a giflé tellement fort que mon lit s'est retourné et j'ai été mis K.O".
Terrorisé par "Cheval"
Durant deux années, Patrice a vécu un enfer. Selon son récit, son bourreau, Monsieur S., un laïque surnommé "Cheval" par les élèves, était surveillant principal. Il convoquait certains élèves tous les mois lors de la remise du bulletin scolaire. "Que mes notes soient en progression ou non, je prenais une raclée dans son bureau. Et avant d'y rentrer, j'entendais derrière la porte, un autre élève crier et se faire frapper. Je rentrais chez moi le vendredi soir et tous les dimanches après-midi, j'étais malade : vomissements, diarrhée à l'idée d'y retourner. Mon père ne voulait rien savoir. Ma mère a laissé faire."
La voix de Patrice s'arrête, il retient un sanglot puis reprend son récit. "On était régulièrement rassemblés sur le perron et "Cheval" nous faisait nous agenouiller pour nous passer en revue. Un par un, il collait sa joue contre la nôtre, affleurant nos parties intimes. On était tous terrifiés, car l'un d'entre nous allait être giflé, bague chevalière retournée côté paume de la main. Heureusement, moi, je n'ai pas été violé", dit-il comme pour se rassurer.
Quand je passe en voiture devant l'établissement, encore aujourd'hui, je tourne la tête de l'autre côté.
Patrice,ancien élève de Bétharram
"Les enfants des familles aisées étaient protégés"
France 3 Aquitaine a pu consulter des plaintes déposées contre l'établissement. Un ancien élève scolarisé de la classe de 5ᵉ à la première, entre 1961 et 1965, a, lui aussi, voulu témoigner. Médecin généraliste de 76 ans, Francis M. a quitté la région depuis longtemps. C'est un article de presse sur les victimes de Bétharram, paru en mars dernier dans la presse nationale qui lui a fait l'effet d'un "électrochoc". "Je n'imaginais pas que ce que j'avais vécu à Bétharram avait pu continuer sur un mode identique ou presque, notamment après 1968. Par mon témoignage, je veux consolider la parole libérée de ceux qui portent plainte", écrit l'ancien médecin qui raconte la vie à Bétharram. Un quotidien fait de "tortures physiques et mentales, d'humiliation sous couvert de dureté éducative", et aussi "de violences sexuelles de la part des prêtres lors des confessions". Il reste marqué par la "peur, la terreur et la domination par la violence" qui régnaient là-bas.
Les enfants des familles aisées étaient à part, et protégés d'une certaine manière.
Francis M.Ancien élève de Betharram
Francis M. poursuit son récit sordide. "Je me souviens de la ségrégation sociale qui pesait en permanence, il y avait les puissants et les autres. Bétharram, c'était le marquage social et l'apprentissage du chacun pour soi".
"Par lâcheté, tout le monde regardait ailleurs"
"Un jour par semaine, le courrier était distribué depuis "le perron" à la volée dans la cour. Chaque enveloppe était ouverte et lue par le préfet de la discipline. J'ai été plusieurs fois collé, car ce que mes parents avaient écrit n'avait pas plu, sans que nous soit donnée la moindre explication", se souvient le médecin retraité.
Francis M. décrit des Pères et des Frères qui comptaient sur certains anciens, sorte de relais de leur autorité," des sortes de caïds qui nous bourraient de coups de poing à plusieurs, dans un coin de la récréation".
"Par lâcheté, tout le monde regardait ailleurs. En classe, la punition habituelle était d'aller sur "le perron" et d'y rester durant un temps infini devant tout le monde, quelle que soit la météo. C'était le stress et la peur en permanence"
Violé lors de la confesse
Cet ancien collégien des années 1960 raconte que lors de la douche hebdomadaire, la nudité faisait partie de ses cauchemars. "Moqueries des anciens, serviettes détrempées, et les surveillants insistaient pour que l'on se savonne bien l'entrejambe, nous touchant le sexe en le savonnant aussi, sous prétexte d'hygiène". Lors des messes du matin obligatoire, il avait "le corps palpé de haut en bas par un frère de manière très appuyée" pour vérifier que son habit d'enfant de chœur était bien ajusté. "Nous avions un confesseur attitré. Ma mémoire a effacé le nom de ce prêtre".
J'étais à genou devant lui qui était assis. Il mettait ma tête contre son sexe, glissait sa main entre mes cuisses.
Francis M.un ancien élève de Bétharram des années 1960
"Ce prêtre me disait que j'étais sale, vicieux, que Dieu voyait tout. Il m'embrassait ensuite sur la bouche en me donnant l'absolution et les prières de pénitence à réciter", poursuit-il dans son attestation de témoin déposée devant la justice le 28 avril 2024.
Près de 90 plaintes en quelques mois
Le dossier s'épaissit. 87 plaintes exactement recueillies au 15 mai 2024. Chaque semaine, depuis l'automne dernier, des anciens élèves apportent un nouveau témoignage. "Parfois j'en pleure", raconte Alain Esquerre, un ancien élève qui a, lui aussi, subi des agressions physiques, et qui est à l'origine d'un groupe de parole pour les victimes de l'établissement catholique. "Nous aurons collecté une centaine de plaintes avant l'été", assure-t-il.
J'ai subi des tabassages des surveillants. Cela a marqué ma vie. Ils m'ont bouffé mon enfance.
Alain Esquerre,ancien élève de Bétharram et fondateur du groupe de paroles de victimes
Les auditions ont commencé et ce sont les enquêteurs de la gendarmerie de Lescar et de Nay qui entendent les témoins dans le cadre d'une enquête préliminaire lancée par le parquet de Pau. "Même si beaucoup de faits sont prescrits, on espère que le parquet va ouvrir une information judiciaire vu la gravité et la longévité des faits", avance Alain Esquerre. Le fondateur du groupe sait que, pour ceux qui osent, la parole reste douloureuse.
"C'est trop dur. J’ai parlé avec un ancien élève landais. Il a été violé par cinq anciens lycéens, il a des noms, mais, il n'a pas la force de témoigner, il est tombé dans l'alcool, sa vie est brisée", déplore-t-il.
Les victimes les plus jeunes ont entre 37 et 40 ans environ, mais ils ne peuvent pas témoigner. Trop tôt ou trop tard pour eux.
Alain EsquerreAncien élève de Betharram
Un surveillant suspendu en février
Leur espoir ? Un surveillant laïque, salarié depuis plusieurs décennies dans l'établissement, et cité par plusieurs dizaines de témoins pour des faits d'agressions sexuelles sur enfants de moins de 13 ans, a été suspendu "seulement" en février par la direction actuelle, "alors que des plaintes ont été déposées dès novembre 2023". Les faits se seraient produits "lors de camps scouts, dans la tente du surveillant qui invitait les enfants à dormir avec lui", rapporte Alain Esquerre qui espère une condamnation et un procès. "Au moins l'ouverture prochaine d'une information judiciaire par le parquet de Pau".
La direction du Beau Rameau, anciennement Notre-Dame de Bétharram, a refusé une interview filmée et de nous recevoir dans les murs de l'établissement qui accueille aujourd'hui 520 élèves de la maternelle au Bac dont 80 internes collégiens et lycéens. Le personnel de l'établissement compte 70 personnes laïques (enseignants, personnels encadrants, direction). La réponse a été donnée par écrit.
"Je tiens tout d'abord à renouveler toute ma compassion et mon soutien aux victimes de ces actes que je condamne fermement. Le salarié auquel vous faites référence n’est plus en poste depuis le 14 février, j'ai pris cette décision peu après la connaissance des dépôts de plaintes, afin d’appliquer un principe de précaution sans pour autant remettre en cause la présomption d’innocence. La Direction de l'établissement a par ailleurs écrit au procureur pour lui indiquer qu’elle était à sa disposition pour collaborer pleinement à l’enquête dans le seul intérêt des victimes et lui a signifié sa volonté de se porter partie civile", a écrit Romain Clercq, le chef d'établissement depuis 2011, dans un mail adressé à France 3 Pau-Sud Aquitaine.
Une situation qui perdure depuis plusieurs décennies
Comment un tel dysfonctionnement a-t-il pu se produire dans un établissement scolaire privé sous contrat ? Cette question est posée par de nombreuses victimes. À Lestelle-Bétharram, la plupart des gens se refusent à tout commentaire devant les journalistes qui ne sont pas toujours les bienvenus.
"Ils se comportent comme des collabos et des négationnistes en quelque sorte, quand ils disent qu'il ne s'est rien passé. Désolé, ce n'est pas normal de prendre des gifles à l'école, s'agace Alain Esquerre. La violence à Bétharram, c'était la marque de fabrique. Je suis croyant et je voulais devenir prêtre quand j'étais jeune. Mais vraiment, j'ai renoncé, car l'église ne mérite pas qu'on lui consacre sa vie. Encore aujourd’hui, c'est malheureux, mais rien n'a viscéralement changé chez les gens".
"Victime et cocu de Betharram"
Jean-Marie Delbos, non plus, ne décolère pas. C'est le combat d'une vie. Aujourd'hui, maintenant que les plaintes affluent, il entend bien "faire du bruit". Cet ancien élève des années 50, bientôt 78 ans, a été violé au cours de sa scolarité à plusieurs reprises par un ecclésiastique aujourd'hui retraité, installé à quelques kilomètres de sa maison de Castetnau-Camblong, au sein de la congrégation des prêtres de Bétharram. Le Père L. vient de fêter ses 97 ans. "Les actes de pédophilie ont été reconnus par la justice et j'ai été indemnisé de 35 000 euros par l'Eglise catholique, explique Jean-Marie Delbos, " et lui, ce sal.., il est tranquille".
Dès 2018, il obtient pourtant une réponse de la paroisse de Chateauroux, dans le diocèse de Bourges, où travaille un ancien surveillant de Bétharram, le fameux "Cheval", qui a été renvoyé en 1988 pour mauvais traitement sur élèves, et mis en cause pour des violences physiques dans les années 1980. "Une enquête est ouverte par la directrice de l'enseignement catholique de Chateauroux pour faire toute la lumière sur Monsieur S. pendant la période où il était en responsabilité", lui répond laconiquement la paroisse. Le vieux Béarnais veut tenir bon. Ne pas lâcher l'institution. "En 2021, j'ai manifesté à Lourdes lors d'un rassemblement des évêques avec une pancarte " victime et cocu" de Bétharram".
En 2023, auditionné par la CIASE, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise, Jean-Marie Delbos est reconnu victime et indemnisé, lui aussi, à hauteur de 35 000 euros par la Congrégation des Pères du Sacré-Coeur de Jésus de Bétharram. Cette congrégation cléricale de droit pontifical dépend directement de Rome donc du Vatican.
Comme me dit une autre victime, "les zéros derrière le chiffre, ne seront jamais suffisants".
Jean-Marie DelbosAncien élève de Betharram
Selon Monsieur Delbos, un autre ancien pensionnaire âgé aujourd'hui de 50 ans, violé par le Père Carricart dans les années 1990, a été auditionné ce 14 mai et "la Congrégation lui aurait proposé 50 000 euros". Le père de la victime qui découvre les faits quarante ans après, se dit "sidéré et choqué", et souhaite déposé plainte à son tour devant le parquet de Pau.
"Rendormez-vous, ce n'est rien"
Récemment, Jean-Marie Delbos a interpellé dans un mail daté du 8 février 2024 le directeur du Beau-Rameau Bétharram, puis le 13 février, le maire de Lestelle-Bétharram dans un courrier qu'il a distribué dans la boîte aux lettres des habitants. Il a même écrit à François Bayrou, maire de Pau, et ancien ministre de l'éducation nationale.
"C'est aussi pour l'interpeller en tant que parent d'élèves, lui qui a mis certains de ses enfants à Bétharram et qui est intervenu en 1998 auprès du juge d'instruction qui travaillait sur les accusations de pédophilie du Père Carricart", (directeur de l'école Notre-Dame de Bétharram à l'époque et qui s'est suicidé en 2000 après une mise en examen et une incarcération, NDLR).
Dans cette lettre adressée au maire de Pau le 16 mars, Jean-Marie Delbos décrit son histoire : "En septembre 1956, je suis dirigé vers l'Apostolicat de Bétharram où étaient préparés des jeunes enfants pour les amener à la vie religieuse. J'étais orphelin de père et de mère et élevé par une grand-mère admirable.(...) Tout aurait pu être idyllique, pour un pauvre orphelin, dormir et manger sans prétentions, je connaissais.
Sauf que, en 1957 arrive au dortoir un jeune ecclésiastique dont nous avions une peur irraisonnée. La suite vous la subodorez. Venir la nuit, soutane ouverte, accroupi au pied de mon lit, pour venir me faire des attouchements et des fellations, vous dire que j'étais terrorisé et incapable de la moindre réaction. Puis, il allait faire sa macabre mission sur d'autres copains, avec toujours le même lexique : "Rendormez-vous, c'est rien". Cela a duré jusqu'à la fin 1961 où nous avons décidé de nous plaindre à notre directeur de conscience.
François Bayrou a accusé réception de la lettre, mais ne lui a pas répondu à ce jour. France 3 Aquitaine a sollicité le maire de Lestelle-Bétharram, ainsi que Mgr Aillet responsable du diocèse de Bétharram, des demandes restées sans réponse à ce jour.
Par mail, le rectorat de Nouvelle-Aquitaine nous a répondu que "l’académie de Bordeaux procède à des contrôles sur les établissements privés sous contrat sur la base du respect des exigences pédagogiques réglementaires. Les enseignants sont donc régulièrement évalués et accompagnés dans les mêmes conditions que dans le public.
Les faits évoqués remontent aux années 70 à 90. À ce stade de la procédure, le rectorat n’a pas suffisamment d’éléments pour répondre sur les éventuels agissements des enseignants de cette période mais les services académiques sont en lien avec l’autorité judiciaire au sujet de la procédure judiciaire en cours. Par ailleurs, les autorités académiques restent en dialogue constant avec les autorités diocésaines".