De Saint-Jean de Luz à Bergerac en passant par Bordeaux la désertification des hôpitaux, cliniques ou cabinets de ville s’atténue. Un soulagement pour le milieu médical mais des regrets pour certains médecins.
L’Aquitaine compte soixante établissements de santé et dans la grande majorité le constat est le même : la fréquentation était tombée sous la barre des 50 %. C’est le cas de la polyclinique Côte Basque Sud à Saint-Jean de Luz. Depuis quelques jours, elle retrouve un flux normal. L’unité médicale de courte durée, aujourd'hui convertie en hospitalisation longue, est en effet pleine mais avec des patients en état dégradé.
Trop attendu
Les pathologies sont à la fois cardiaques, respiratoires, métaboliques et les patients qui arrivent actuellement présentent d’autres troubles. Thierry Morvan, médecin anesthésiste et directeur général administrateur de la Polyclinique le déplore. "Les malades arrivent très mal, ils ont ce que l’on peut appeler la décompensation de la décompensation, ils sont en fait restés confinés donc ils arrivent très tard, et on a des poly-pathologies, ce qui n’est pas bon.""C’est ce que l’on appelle une troisième vague : il y a eu la maladie, la réanimation et maintenant la décompensation, celle des malades chroniques par exemple, qui ont eu peur, illustre Thierry Morvan. Alors oui, on peut dire que cela nous rassure car les patients classiques retrouvent la chaîne du soin mais ce retard est regrettable."
La logique qui en découle est simple : le traitement est beaucoup plus long. Pour une intervention qui se fait en une heure en temps normal, il en faut désormais trois. Pour exemple, au lieu d’avoir à soigner des appendicites les médecins doivent gérer des péritonites, une forme plus grave de cette infection.
En revanche, certains accidents vasculaires sont absents des radars. "Ce que l’on ne voit pas ce sont les AIT (accident ischémique transitoire), des accidents peu invasifs", ajoute l'adminsitrateur de la clinique. Il espère cependant que les conséquences ne surgiront pas plus tard. À ce jour, la doctrine de l’hôpital est de continuer à traiter l’urgence et les personnes atteintes de cancers, en plus, bien sûr, du fonctionnement de la structure Covid.
Une confiance retrouvée
Direction l’intérieur des terres et la Dordogne, où le même regain de fréquentation se fait sentir, mais pour des cas différents.Au centre hospitalier Samuel Pozzi, depuis une semaine, le flux augmente à nouveau aux urgences et les chiffres remontent, après avoir connus, ici aussi, une chute significative. Fin mars, moins de trente passages étaient recensés, contre cinquante depuis le 16 avril. En temps normal, cet hôpital de troisième niveau est à plus de 80 passages par jour.
Autre indicateur encourageant : l’hôpital ne compte plus désormais qu'un cas de Covid pour cinq autres patients classiques. Comme l’explique le docteur Jonathan Gonzva, chef du service des urgences, la confiance a été retrouvée facilement, grâce à une organisation rigoureuse de l'hôpital. "Nous avons deux systèmes d’urgences : un conventionnel et un autre dédié aux Covids, c’est très hermétique", précise l'urgentiste.
Pourtant, aucun retard ne semble avoir été pris au sein des patients. "On assiste à un retour de pathologies aiguës, d’infarctus, d’attaques cérébrales. Il y a aussi de la traumatologie. En revanche, nous avons peu de cas de pathologies chroniques décompensées avec des complications", explique Jonathan Gonzva.
Une situation que le médecin explique par l'entraide médicale nationale. "Nous avons eu la chance de bénéficier des retours de nos confrères de l’Est et tout ce qui était à l’état de projet a été développé et très rapidement mis en place", précise Jonathan Gonzva.
La direction précise en effet que praticiens, anesthésistes, obstétriciens ont eu à leur disposition un système de télécommunications et de passerelles informatiques permettant des échanges poussés pour les malades suivis par l’hôpital pour assurer leur suivi à distance. "En moyenne l’hôpital accueille, tous services confondus, 400 personnes en consultations par jour. Nous étions descendus à 80, et aujourd’hui, on dépasse les 100 patients. Nous allons bientôt retrouver notre vitesse de croisière", assure la direction de l'hôpital.
Et personne n’a été laissé sur le bord du chemin. L’hôpital a aussi développé une collaboration étroite avec la médecine de ville, qui a permis de trouver un médecin traitant pour chacun.
"C'est humain mais dangereux"
En Gironde, du côté des cabinets de villes et des médecins libéraux, les indicateurs sont similaires avec une chute significative de l’activité de 40 à 60 %. "Il y a eu une désertification, ce qui a été très inquiétant. Nous avons réagit très rapidement par crainte de symptômes négligés et de pathologies chroniques mises entre parenthèses", analyse le docteur Jean-Luc Delabant, président de la Confédération des syndicats médicaux français de Gironde.Et les résultats sont là : le téléphone sonne de nouveau, l’activité frémit et les patients prennent à nouveau contact. "Il y a des gens qui, sans vouloir se cacher réellement, attendaient des jours meilleurs. C’est humain mais dangereux. Il y a des patients avec des traitements chroniques, asthmatiques ou diabétiques, qui demandent un vrai suivi et qu’on ne voyait plus depuis plus d’un mois. D’autant qu’ils avaient des ordonnances renouvelables", regrette le médecin.
Aujourd’hui les cabinets entendent à nouveau la voix des patients et la technique de l’autruche tend à diminuer. "Ne jamais oublier que seul le médecin décide", rappelle Jean-Luc Delabant. La population ne renonce plus aux soins, la visio-conférence a encouragé le redémarrage des consultations.
Retrouver sa place
Un choix qui incombe au praticien, souligne le médecin, et non au patient. "Si la personne à des troubles urinaires, une téléconsultation suffit pour faire faire une analyse d’urine. Mais si c’est un mal de ventre prononcé ou des troubles plus compliqués, le cabinet est incontournable et à ce stade, il faut le dire, le patient peut venir consulter sans crainte."Avec ces nouvelles méthodes, les médecins de ville ont aussi repris leur place sur l’échiquier médical, en relation directe avec les personnes. "Un symptôme cardiaque, un engourdissement, une angoisse, il n’y a rien de secondaire à cela. Le contexte anxiogène qui génère de la peur peut aussi avoir de graves conséquences sur la santé mentale, ne jamais oublier que le médecin est là pour en parler", insiste Jean-Luc Delabant.
D’un bout à l’autre de la région, d’un secteur de soins à l’autre, l’évidence est la même : les médecins sentent que les patients reviennent sur la pointe des pieds pour certains, parfois tard pour d’autres, pourtant la population doit avoir confiance pour éviter les catastrophes.