A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie ce 17 mai, une mère et sa fille transgenre nous racontent leur relation, entre soutien, complicité, et engagement pour plus de tolérance.
C’est une histoire comme il en existe beaucoup, et depuis toujours. Celle d’une jeune fille assignée garçon à la naissance, qui conquiert son identité. Thaïs a 19 ans, sa mère Elodie en a 49, et il y a deux ans, la première a fait son coming out en tant que femme transgenre.
Tout a commencé par un mal-être à l’adolescence : « je ne me suis jamais sentie bien dans ma peau, et ça s’est surtout accentué au collège », confie Thaïs, « mais à l’époque, dans notre éducation, on ne nous parle pas du tout de tout ce qui est LGBT, identité de genre, orientation sexuelle… » La jeune fille commence alors à se renseigner, elle fait des recherches sur les questions de genres pour mieux se comprendre elle-même. « Je suis passée par deux phases : au début, je pensais être non-binaire, donc j’ai demandé à mes amis de me genrer au neutre, et c’était très bien… et après je leur ai demandé de me genrer au féminin, et c’était incroyable », raconte-t-elle avec un grand sourire.
Il y avait quelque chose qui n’allait pas, il y avait un mal-être en elle, mais je ne savais pas quoi.
Elodie, maman de Thaïs
Au début, sa mère s'inquiète, notamment des idées noires, voire suicidaires, de sa fille. Elle se rend bien compte que sa fille va mal, sans comprendre les origines de sa souffrance : « je pensais que c’était dû au harcèlement, au surpoids, à la non-intégration au collège… », regrette-t-elle, « la cause LGBT, je les aime beaucoup mais je ne m’étais doutée de rien par rapport à la personnalité de Thaïs.»
A l'issue du premier confinement, en mai 2020, Thaïs vient d'avoir 18 ans, et elle décide de se livrer à sa mère, au travers d'une longue lettre envoyée depuis son téléphone : « ce soir-là, j’ai rédigé une énorme lettre, en parlant de la dysphorie de genre, de la transidentité, de tout ce que je ressentais », raconte-t-elle, « j’en avais marre de me cacher, je me suis dit c’est maintenant, sinon je le regretterai plus tard. » Elodie reçoit ce message vers trois heures du matin et, un peu abasourdie, tente de saisir le sens de chaque terme employé pour mieux comprendre sa fille : « j’ai dû aller me renseigner, donc pendant la nuit j’étais sur mon téléphone en train d’essayer de comprendre ce qu’il y avait dans son message car pour moi elle dormait. »
Dès le lendemain, les deux femmes ont longuement discuté, et si Thaïs en est sortie plus légère, sa mère s’est d’abord posé beaucoup de questions, teintée d’une certaine culpabilité : « qu’est-ce que j’ai raté moi, en tant que maman, dans mon éducation, et qu’est-ce que j’ai raté des appels qu’elle me lançait certainement, à un moment donné et je suis passée complètement à côté. »
Quelques ajustements…
Bien sûr, mère et fille ont évolué, et se sont adaptées. Thaïs a entamé sa transition, pris un traitement hormonal, et laissé pousser ses cheveux. Elodie, de son côté, a tenté à son tour de se renseigner, et d’intégrer dans leurs échanges le nouveau prénom de sa fille : « au départ, il a fallu supprimer complètement de mon vocabulaire son "dead name" parce que quelques fois, ça sortait encore. »
Au contact de sa fille, Elodie découvre progressivement tout un lexique, comme la « dysphorie de genre »*, le « dead name »*, ou encore « mégenrer »*. Elle fait aussi face à une réalité encore inconnue pour elle : la souffrance des enfants et adolescents dans la même situation que sa fille, et l’intolérance toujours très présente dans la société à l’égard de la communauté LGBTQIA+. « Je ne pensais pas, avant de m’y intéresser plus profondément, qu’il y avait autant de personnes qui se suicidaient à cause de ça, c’est quelque chose qui me fait flipper par rapport à Thaïs. »
Les deux femmes se sont aussi offert un nouveau départ en quittant la région parisienne pour s'installer dans l'agglomération de Poitiers, au début de l'année.
Je présente Thaïs comme ma fille. Quand les gens viennent, les voisins sont venus, c'est ma fille.
Elodie, maman de Thaïs
Là, Elodie s’est rapprochée d'associations, pour obtenir du soutien, des conseils, et trouver une communauté accueillante : « la première fois que je suis allée à l’association LGBTI de Poitiers, c’était pour discuter avec des parents, pour essayer de comprendre ce qu’il fallait faire, qu’est-ce que je pouvais faire de mieux pour l’accompagner, pour qu’elle se sente mieux », raconte-t-elle. Après une première visite, Thaïs est elle aussi venue pour rencontrer d’autres membres de l’association et partager son expérience : « Moi depuis deux ans c’est la vie de rêve, c’est compliqué avec certaines personnes mais tout va mieux, surtout maintenant, avec le physique qui va et qui suit au niveau féminin », se réjouit-elle.
Mère et fille partagent depuis toujours une relation fusionnelle, et découvrent ensemble Poitiers et ses environs. Des moments précieux qui consacrent leur nouvelle vie : « on va faire les courses ensemble, ou au restaurant, et ce qui est sympa c’est quand on nous dit ‘bonjour mesdames’ » raconte Elodie dans un sourire. Pour elle, la transition de sa fille n’a presque rien changé : « ma philosophie de vie c’est que chacun a le droit de faire ce qu’il veut, comme il veut, tant qu’il est heureux et qu’il ne vient pas m’embêter. »
Moi je n’arrive pas à comprendre les personnes transphobes, homophobes, etc. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on est contre une personne qui se sent enfin heureuse en elle.
Thaïs, jeune femme transgenre
Reste une inquiétude que les deux femmes partagent : l’avenir professionnel de Thaïs. La jeune femme recherche une place en alternance pour devenir assistante dans le secteur médico-social, mais redoute le regard des autres en attendant que sa voix s’éclaircisse et devienne plus féminine, grâce à des séances d'orthophoniste.
En cette journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, les deux femmes espèrent encore des efforts de la part des pouvoirs publics pour simplifier le parcours des personnes transgenres : si Thaïs est parvenue à changer son prénom à l’état civil, elle attend toujours l’avancée de son dossier pour modifier officiellement son genre.
Leurs espoirs se portent aussi sur l’évolution des mentalités, et sur un changement de regard de la société sur la communauté LGBTQIA+ : « ce n’est pas parce qu’on est une personne transgenre ou homosexuelle qu’on n’est plus la même personne, mes goûts n’ont pas changé radicalement, je ne suis pas un monstre, je suis humaine » explique Thaïs. « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on est contre une personne qui se sent enfin heureuse en elle. »
Ce samedi 21 mai, mère et fille se rendront ensemble à Poitiers pour leur première Marche des fiertés.
*Un peu de vocabulaire…
LGBTQIA+ : ce sigle désigne les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers, intersexes, asexuelles, et englobe le spectre des orientations sexuelles et identités de genre.
Une personne transgenre : une personne dont l’affectation sexuelle à la naissance est différente de son identité de genre.
Une personne non-binaire : une personne dont l’identité ou l’expression de genre n’est ni masculine ni féminine (exclusivement ou non).
Une personne cisgenre : une personne dont l’affectation sexuelle à la naissance est en adéquation avec son identité de genre.
Coming out : révélation volontaire de son homosexualité ou de son identité de genre.
Dysphorie de genre : détresse ressentie par une personne transgenre en raison de l’inadéquation entre son genre assigné et son identité de genre.
Mégenrer : attribuer à une personne un genre dans lequel la personne ne se reconnaît pas.
Dead name : prénom de naissance. Il est inapproprié de l’utiliser auprès d’une personne transgenre qui a changé de prénom.