Dans le quartier du Pont-Neuf à Poitiers, une cinquantaine de riverains a manifesté contre le projet de construction immobilière prévu Chemin du Lavoir. Ils craignent une envolée de la bétonisation, ainsi qu’une augmentation des problèmes de circulation.
Le projet immobilier prévu Chemin du Lavoir, dans le quartier du Pont-Neuf à Poitiers, a réveillé la colère des riverains d’un lieu jusque-là calme et sans histoire. La petite parcelle de 2.500m² coincée entre les habitations et le Confort Moderne, haut lieu culturel de la ville, va être transformée en résidence par le promoteur immobilier Seixo Habitat. Pour montrer leur mécontentement, une cinquantaine d’habitants du quartier s'est rassemblée dans la rue où doit être construite cette nouvelle résidence.
« Notre quartier n’est pas une marchandise », « Préservons notre quartier et préservons nos habitats ».
Armés de pancartes avec des slogans adressés au promoteur immobilier de Nouvelle-Aquitaine et à la mairie de la ville, ils dénoncent aujourd’hui la perte de leur écrin de verdure, au profit de la construction d’une trentaine de logements. Bien qu’en déshérence depuis des années, difficile pour eux d’accepter la transformation de ce terrain, et le risque de bétonisation.
Des riverains désemparés
Depuis ses fenêtres, François Garrigos a une vue directe sur ce lopin de terre. Son jardin est même à sa frontière. Il s’est installé ici il y a cinq ans, et sera le témoin direct de la mutation du quartier.
« Je dois refaire le grillage, et là je me demande carrément si je dois mettre plutôt une petite barrière ou un mur ! », dit-il, agacé de ne pas savoir quel sera son nouveau vis-à-vis. Avec aplomb, il annonce la couleur : « S’ils nous collent une maison, trois arbres, un petit immeuble, ça ne me dérange pas. Mais si c’est pour tout bétonné avec un parking et des voitures qui risquent de faire couler de l’huile de moteur sur mes plans de tomates, on ne va pas être copains ».
Actuellement dans le quartier c’est un peu le Far West. Les promoteurs immobiliers arrivent avec leurs valises de cash, il y a vraiment une pression.
De l’autre côté du terrain se trouve son voisin Maxime Miossec. Celui qui fait partie des organisateurs du rassemblement a, quant à lui, acheté sa maison il y a deux ans. « Actuellement dans le quartier c’est un peu le far west. Les promoteurs immobiliers arrivent avec leurs valises de cash, il y a vraiment une pression », lâche-t-il.
Il craint que son jardin, son havre de paix, ne devienne son pire cauchemar si les propriétaires de la maison d’à côté vendent leur bien à Seixo Habitat. En cas de vente, un accès routier pour les futurs propriétaires et locataires de la résidence pourrait être construit à côté de chez lui.
+16% pour les prix de l'immobilier à Poitiers
Comme dans de nombreuses villes secondaires, la pression immobilière s’accroit dans la cité pictave. La flambée des prix sur le marché est majeure. Depuis le début de l’année, ils ont grimpé de 16%. Certains quartiers sont plus demandés que d’autres ; c’est le cas de celui du Pont-Neuf.
« Il a y un manque criant de logements neufs dans la région, en résidence principale, et on a constaté de c’était compliqué pour les primo-accédants de trouver quelque chose » explique Pierre Souchaud, directeur adjoint de l’agence Seixo de La Rochelle, qui voit le potentiel immobilier de l’agglomération de Poitiers. À Buxerolles, comme dans le quartier Pont Neuf, ils espèrent prochainement construire une trentaine de logements.
« On fait partie des villes qui ont délivré le plus de permis de construire », révèle Lisa Belluco, conseillère municipale chargée de l’urbanisme et du foncier. « Ce sont des marqueurs du fait que la demande soit importante, et que l’offre essaie de se constituer en face ». Mais difficile de toujours réussir à composer entre engouement immobilier, et respect des valeurs écologiques et de démocratie participative qui sont celles de la mairie. L’un des habitants le confiera d’ailleurs : « Dans le quartier, beaucoup de gens ont voté pour voir les Verts à la tête de la ville, alors forcément on vit cette situation comme une petite trahison ».
Des méthodes remises en question
Parmi les personnes interrogées, personne ne semble remettre en question la nécessité de construire des logements. Ce sont plutôt la forme et les conditions d’élaboration du projet qui sont pointées du doigt, sans aucune forme de concertation de la part des promoteurs jusque-là. Car leurs inquiétudes sont multiples, tant sur la bétonisation, la possibilité de construire des immeubles sur un sol rocheux sans créer de dommages, et les futurs problèmes de circulation dans le chemin d'accès étroit, proche d’une impasse.
Ce qui m’inquiète c’est la disparition de la nature en ville » argue-t-il. « On peut comprendre la densification, mais pas n’importe comment.
Dominique Leblanc, le président de l’association de riverains « Autour du Pont-Neuf » fait également partie des frondeurs.
« Ce qui m’inquiète c’est la disparition de la nature en ville » argue-t-il. « On peut comprendre la densification, mais pas n’importe comment. Surtout pas au détriment du cadre de vie, et de la population qui va être concernée par l’arrivée de ces logements ».
La mairie à l'écoute des riverains
Du côté de la mairie de Poitiers, si les conséquences liées aux conditions de circulation ont pu être sous-estimées, l’objectif affiché reste avant tout d’essayer de permettre aux habitants du quartier de prendre part à l’élaboration du projet. Dans cette mouvance affichée de démocratie participative, l’adjointe à l’urbanisation l’assure: sa porte restera toujours ouverte. Coup de communication ou non, la maire Léonore Montcond’huy a même prévu de se rendre sur place mercredi 22 septembre, à 10h. « C’est bien qu’elle vienne mais à cette heure-là… On ne sera pas beaucoup à travailler, elle risque de ne parler qu’aux retraités, on ne pourra pas se faire entendre » souligne, dépité, l’un des voisins qui se dit lésé par le projet de construction.
En attendant, trois membres du comité de riverains ont été reçus vendredi 17 septembre dans la matinée par Lisa Belluco ; d’autres doivent encore suivre la semaine prochaine. « La ville a été sensible à nos arguments sur l’enclavement de la parcelle et les difficultés liées au trafic », explique Jérôme Martin, l’un des habitants reçu ce jour par Lisa Belluco. Et s’ils sont encouragés à déposer un dossier afin de réfléchir à un autre aménagement du site, le temps joue contre eux. « On a un à deux mois pour bâtir un projet qui pourrait amener la mairie à revoir sa position, et nous soutenir un peu plus », espère-t-il. L’homme baisse la tête et le concède toutefois: « plus on attend, plus notre marge de manœuvre va être étroite ».
Pour Seixo Habitat, pas question de "bétonner" le terrain
Si les chances d’empêcher la construction de logements sont maigres, voire inexistantes, face à la mairie et aux riverains, le groupe Seixo se présente comme à l’écoute et conciliant. Sur son site l’entreprise affiche cette image, celle d’une entreprise familiale « plaçant l’humain au cœur de son modèle ». Dans l’ombre en revanche, la jeune équipe fait parfois preuve de quelques maladresses dans sa communication. Frileux de s’exprimer sur des projets où le permis de construire n’est pas encore déposé - comme dans le cas du Chemin du Lavoir - l’interview réalisée par l’un de nos journalistes avec Pierre Souchaud, directeur adjoint de l’agence Seixo basée à La Rochelle, se fera sous le contrôle de la directrice de communication. Pour eux, l’enjeu est de taille et la peur de mal faire, très présente, d’où une volonté de trier les questions.
Soucieux de conserver de bonnes relations avec la mairie écologiste, le constructeur promoteur s’est d’ailleurs engagé à respecter la « charte pour l’aménagement d’urbanisme résilient » élaborée par Lisa Belluco. Cette mesure, non contraignante, vise la « construction de programmes neufs écoresponsables », et « un aménagement écologique et respectueux de l’environnement ». L'élue s'en réjouit, « ils [NDRL: la société Seixo Habitat] jouent vraiment le jeu ».
Pierre Souchaud de son côté se veut rassurant : leur volonté n’est pas de bétonner le quartier ni de construire d’immenses immeubles ou d’exclure les habitants du quartier. « L’échange, la concertation, c’est ce qu’il y a de mieux » affirme le directeur général adjoint de Seixo Habitat. « Idéalement, si on peut faire une réunion avec les riverains avant le dépôt du permis… C’est ce qui permet généralement de dédramatiser la situation, et expliquer le projet en lui-même ».
Dans le Chemin du Lavoir, conjuguer écologie et essor immobilier n’est pas mince affaire, pour toutes les parties concernées.