Vendredi 13 octobre, Dominique Bernard, enseignant de français, est tué lors d’une attaque terroriste par un élève à Arras. Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty. Un temps d’échange est prévu dans les établissements scolaires du secondaire. Pour le primaire, il est prévu à la pause méridienne. Des enseignants nous expliquent comment ils vont essayer d’expliquer l’inexplicable à de jeunes élèves ce lundi 16 octobre.
Parler d’attentat, d’attaque au couteau ou encore d’un enseignant tué dans un établissement scolaire, pour des enfants de trois à neuf ans, trouver les mots est un jeu d’équilibriste pour leurs enseignants. L'éducation nationale propose aux enseignants du premier degré un format différent pour accompagner les élèves.
Des méthodes "au cas par cas"
"Certains enfants n’auront absolument pas entendu parler de ce qui s’est passé. D’autres n’auront entendu que cela pendant le week-end. C’est extrêmement délicat", explique Paul*, enseignant dans l’académie de Poitiers. "Par exemple, avec les maternelles, je vais parler de gens méchants qui ne sont pas d’accord avec notre façon de penser et la manière de le dire, c’est de tuer des personnes. Puis, est-ce que tuer cela arrange vraiment les choses ?"
Concernant la minute de silence, la pédagogie est très importante : "Je vais leur expliquer qu’on ne parle plus pour exprimer notre désaccord. L’important, c'est de rassurer les élèves, de les protéger, on s’adapte. C'est beaucoup au cas par cas."
Pour Marine*, le vocabulaire de "gentils" et "méchants" va être aussi employé avec ses élèves de maternelle. Des supports pédagogiques ont été envoyés pendant le week-end aux enseignants, "c’est une aide comme une autre, évoque la jeune enseignante. Deux jours avant l’attentat, on s’est entraîné sur une alerte intrusion. On va se ré-entraîner avec les petites sections à se cacher, se cacher sans faire de bruit et leur apprendre à ne pas avoir peur. En jouant à cache-cache, ils comprennent bien !"
Nora est enseignante spécialisée auprès d'élèves en situation de handicap. Elle va aussi ouvrir un temps d'échange avec le visionnage du journal junior d'Arte. "Je commence tous mes cours comme cela. Cela ouvre plus facilement le dialogue. Je vais bien revenir sur les notions de respect élève-professeur. Le plus compliqué est de faire du contenu pédagogique avec rien. On n'a pas de recul sur ce qu'il s'est passé. D'autant plus que cet événement nous touche beaucoup en tant que professeur."
Les trois enseignants s’accordent sur l’importance de dédramatiser les faits, car cela "reste rare et surtout pour les élèves, nous sommes des référents. Si on leur rappelle que cela peut se produire souvent, cela va créer de l’angoisse en eux", développe Paul*.
Pour les plus grands, les professionnels vont essayer de pousser la réflexion : "Expliquer que même si des actes terribles sont commis, la justice existe. On ne tue pas les gens même après les pires crimes."
Manque de moyens
Au-delà d’avoir un temps d’échange avec les élèves, Marine* demande des moyens. "Lors des derniers entraînements "alerte intrusion" on devait se prévenir par un appel sur nos téléphones portables entre enseignants. Nos téléphones sont rangés dans nos sacs en silencieux. Comment on va être prévenus à temps ? Certaines classes ne ferment pas à clef, les rideaux ne sont pas opaques."
Elle marque un temps d'arrêt, se souvient puis hésite entre le rire et le dépit : "Le pire… C’était une école où un professeur était désigné de prévenir ses collègues en allant sonner la corne de brume au milieu de la cour. C'est clairement écrit 'cible' sur sa tête ! Dans la réalité, il se ferait tuer. Quels moyens met-on en place pour protéger les enseignants et les élèves ?"
La professeure a déjà enseigné dans des établissements équipés d’une lumière bleue. Cette dernière clignote lorsqu’il y a une intrusion et "les élèves se cachent immédiatement sous les tables. Donc des moyens existent."
Concernant les professionnels de santé : infirmiers et psychologues scolaires, ils ne pourront pas être présents dans les écoles dans un premier temps. Ils seront dans les établissements du secondaire. “J’ai huit écoles de secteur, explique Angélique*, infirmière dans l’académie de Poitiers. Ce sera aux chefs d’établissement de demander notre venue en renfort.” Un des premiers constats de cette professionnelle suite aux différents attentats : "Les élèves ont plus de stress sur le chemin maison-école que dans les établissements."
Pour accompagner les enfants au quotidien, des formations cellules d’écoute sont proposées chaque année aux professionnels de santé.
Notre objectif, c'est accompagner, écouter et non réconforter. La situation est tellement dramatique… Alors, on rassure.
Angéliqueinfirmière scolaire
"La situation me révolte. C’est atroce, car ça peut arriver à tout moment. D’autre part, ça renforce ma conviction que nous sommes les hussards de la République. Nous devons défendre, faire vivre ses valeurs et continuer à former ces futurs citoyens éclairés", conclut Paul avec beaucoup d’espoir.
*Les prénoms ont été changés