Vendredi 13 octobre, Dominique Bernard, enseignant de français, est tué lors d’une attaque terroriste par un élève à Arras. Selon la vidéo de la scène, l’assaillant cherchait un professeur de géographie. Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, deux enseignantes de l’académie de Poitiers témoignent de l'effroi ressenti ce jour-là et comment elles vont accompagner leurs élèves ce lundi matin.
"L’effroi, la sidération, puis… encore ? Ce n’est pas possible… témoigne Aline Le Pape, enseignante d’histoire géographie au lycée Joseph Desfontaines à Melle (79). Je suis sortie du cours où je venais de parler de Samuel Paty. Je me suis absentée et en revenant au lycée, j’entends ce qui vient de se passer à Arras. Dans la salle des professeurs, on ne comprenait pas."
Quelques kilomètres plus loin, à Niort, l’incompréhension est partagée dans une autre salle des professeurs. "On préparait le concours de l’Éducation nationale, Samuel Paty entre collègues. Un enseignant voit l’alerte sur son téléphone portable. On croit à une blague, une fausse information… Puis d’un coup, on est à nouveau confrontés à la réalité. Les heures de cours l’après-midi furent très longues, raconte Christine* professeur d’histoire-géographie au collège. À un moment, on a réalisé que la porte d’entrée de l’établissement était ouverte. On s’est rendu compte que nous avions baissé notre vigilance et on a pensé à nos collègues."
“La laïcité et la République sont aussi touchées”
Une fois l’effet de sidération passé, c’est la colère qui prend place contre "Une institution qui ne protège plus. La profession n’est plus sanctuarisée. Il y a le "prof bashing" qui a fait et fait beaucoup de mal. Il a aidé à briser le lien parents-enseignants, conforté par le fait qu’on recrute des professeurs sur le bon coin…Quelle garantie donnons-nous aux parents ?", évoque Christine.
"On a l’impression qu’on est des héros quand l’un des nôtres tombe, sinon on est des fainéants toujours en vacances. Depuis dix, quinze ans, on doit tout faire et dès qu’il y a un problème dans la société, on est coupables. C’est très déstabilisant", complète Aline.
On ne peut pas casser l’Éducation nationale et lui demander de sauver le monde !
Aline Le Papeenseignante d'histoire-géographie
À cela s’ajoute pour les professionnelles le symbole que représente l’attaque de l'École. Christine s’interroge : "La République et la laïcité aussi sont aussi touchées. Aujourd’hui comment on détecte un élève sous influence ? La radicalisation est sournoise et il va falloir aussi expliquer à nos élèves qu’il ne faut pas associer l’Étranger à la cause de tous nos maux.”
Parler pour avancer
Parler aux élèves, c’est ce que propose le gouvernement ce lundi matin à 10 heures dans le secondaire, avant le temps d'échange est réservé aux enseignants. Pour les élèves du primaire, ce sera sur la pause méridienne "là encore, c'est inégalitaire. De nombreux élèves ne mangent pas à la cantine. Pourquoi cette différence de traitement ?, s’étonne Christine. Je vais mesurer, sentir aussi, à travers la parole. Les élèves sont les éponges de leur milieu familial. Ils ont peut-être vu la vidéo de l'attaque, ce qui est très violent. Encore une fois, je pense que ce sont les professeurs d’histoire-géographie qui vont le plus en parler. Je vais essayer de prendre le temps sur mon cours d’enseignement moral et civique pour y revenir à froid vendredi avant le départ en vacances."
Aline n’était pas censée être en classe lundi. Mais elle viendra prendre ce temps avec ses élèves de terminale : "Je vais partir de leurs questions. Puis, on va revenir sur les notions de fanatisme, de liberté d’expression, le principe de laïcité. Ce temps, on ne l’a pas eu pour Samuel Paty."
Les deux professeurs rappellent leur passion pour leur métier, l’amour de la transmission et surtout "on ne fait pas ce métier par hasard. Souvent, c’est parce qu’un professeur nous a marqués", ajoute Christine avec beaucoup d’enthousiasme.
Cinquante cinq ans de carrière à elles deux, elles assurent qu’elles poursuivront le travail. Avec en plus leur amour de leur métier, une nouvelle mission : "Lorsqu’on ne sera plus là pour faire barrage à tout cela…Qui le fera ?", conclut Aline de façon pragmatique.
*Le prénom a été changé