C'est la deuxième ligne derrière les cafés-restaurants... Avec leur fermeture, leurs fournisseurs ont mécaniquement perdu leurs débouchés. En plus de leurs ventes qui dévissent, les brasseurs vont devoir aussi reprendre leurs stocks périmés. Ils trinquent, sans modération.
Il préfère ne pas trop y penser pour l’instant. Mais François Guillon, fondateur des bières de Montmorillon en août 2016, le sait bien. Plus de 300 litres de bières sortis de ses stocks vont y revenir, invendables…
Il s’agit des fûts déjà livrés aux cafés, hôtels, restaurants ou organisateurs de festivals, de salon. Cette bière-là a une durée de vie plus courte que celle embouteillée, qui peut tenir de deux à cinq ans. A l'échelle de la France, d'après le syndicat professionnel, cela représenterais plus de 10 millions de litres.
Casse-tête et trou dans la caisse
C’est un peu comme un problème d’écolier qui donne mal à la tête : Sachant que chaque fût ne se conserve que quatre à cinq mois maximum, qu’il contient 30 litres et que le brasseur en a vendu une centaine, combien cela va-t-il lui coûter ?Difficile d’évaluer pour l’instant. J’ai un client parisien que j’ai livré l’avant-veille du confinement. Son évènement a été annulé, j’ai 25 fûts à récupérer, le transport est à ma charge, il va falloir que je rembourse… Les restaurants peuvent demander des avoirs… On va gérer ça au cas par cas.
- François Guillon, fondateur des bières de Montmorillon
Le syndicat des brasseurs de France a demandé une aide, notamment pour absorber toute cette logistique à créer. "On est censés s’en occuper, ça reste nos produits. Et puis c’est une question d’image aussi, on ne peut pas laisser boire une bière sans goût. Il faut impérativement qu’on récupère ces stocks."
Mal au cœur
Viendra ensuite la douloureuse question de la destruction. Comment les bières et leur levure peuvent être digérées par les stations d’épuration ?On ne passera pas nos trois cents litres en une fois… Et puis au-delà de ça, ça fait toujours mal au cœur de devoir jeter au caniveau quelque chose qu’on a fabriqué, préparé, où on a mis du cœur justement.
- François Guillon, fondateur des bières de Montmorillon
A la Brasserie de Bellefois, à Neuville-de-Poitou, la question de la destruction ne se pose pas si cruellement… En place depuis janvier, avec ses quatre associés, le nouveau gérant Jonathan Teillet vend plus de bouteilles que de fûts, et bien plus en grande surface qu’en restaurant mais son entreprise n’est pas plus florissante en ce moment.
Gueule de bois sur les ventes
Le chiffre d’affaire a plongé. Moins 80%, l’équivalent de 150 000 €. La facture de la crise promet d'être amère.On ne vend pas plus en grande surface ! La bière, c’est un produit festif, qu’on boit plutôt entre copains… Et puis, dans les rayons, les grands groupes font des grosses promotions pour assurer un déstockage massif… Alors nous à côté…
- Jonathan Teillet, gérant de la Brasserie de Bellefois
Autre particularité en défaveur des brasseurs, pas possible pour eux d’organiser souplement de la vente directe… Si les viticulteurs peuvent faire, sans licence, des dégustations sur leurs exploitations, ce n’est pas autorisé pour eux. Jonathan Teillet espère justement se rattraper en septembre avec l’ouverture d’un bar à bière, juste à côté de sa brasserie.
Dans cette crise, on subit les conséquences du deuxième rideau… Les hôtels-restaurants sont très visibles, il y a plein d’aides pour eux. Et nous ?
- François Guillon, gérant des bières de Montmorillon
Parmi les solutions défendues par le syndicat des brasseurs, figure une demande de TVA amoindrie sur la bière pendant un certain temps, 5,5% au lieu de 20, pour récupérer plus de marge.
Les quelques 2000 brasseries de France pèsent environ 20 000 emplois directs. Chacun croise donc les doigts pour que les dispositifs mis en place pour les restaurants soient étendus aux fournisseurs, y compris le chômage partiel.