Personnalité intellectuelle importante de son temps, Urbain Grandier est accusé de sorcellerie dans l’affaire des possédées de Loudun, dans la Vienne. Le 18 août 1634, il est brûlé vif sur la place publique devant des milliers de personnes.
Il est le dernier à avoir péri dans les flammes, sur une place publique. Il y a 390 ans, le prêtre Urbain Grandier était jugé pour sorcellerie à Loudun, dans la Vienne. Intellectuel, volage, les idées modernes du prêtre l'ont condamné, à l'issue d'un procès aussi religieux que politique.
Un prêtre érudit
Fils d’un notaire de Sablé-sur-Sarthe, en plein cœur de la région de l’Anjou, Urbain Grandier naît autour de l’an 1590 dans la petite commune de Bouère. Reconnu dès son jeune âge comme quelqu’un de brillant, son oncle Claude, alors chanoine de la ville de Saintes, l’intègre dans l’une des plus prestigieuses écoles du royaume de France : le collège des Jésuites de Bordeaux.
Il débarque dans la grande ville girondine et ressort de cette école comme l’un des élèves les plus doués de son époque. Le contexte lui est d'ailleurs plus que favorable. Pour Éric Suire, maître de conférences en histoire moderne à l'université Bordeaux-Montaigne, cette période était un certain âge d’or pour les jésuites installés à Bordeaux avec notamment l’arrivée du roi Louis XIII durant plusieurs semaines en l’an 1615 dans le cadre de son mariage avec Anne d’Autriche.
C’est d’ailleurs cette année-là qu'Urbain Grandier est ordonné novice chez les Jésuites avant de devenir prêtre de l’église Saint-Pierre-du-Marché et chanoine de l’église Sainte-Croix de Loudun, alors considéré comme un haut lieu de culture dans la région, voire au niveau national. Parmi les personnalités vivantes à Loudun au début du XVIIe siècle se trouvent le poète Scévole de Sainte-Marthe, fondateur du premier salon littéraire de la ville et trésorier de France, le journaliste Théophraste Renaudot et sa fameuse Gazette, ainsi qu’Ismaël Boulliau, grand astronome.
À la mort de Scévole de Sainte-Marthe en 1623, également maire de Poitiers à plusieurs reprises, Urbain Grandier y prononce une oraison funèbre remarquable, qui le rend incontournable dans la région. Cette nouvelle notoriété le rend populaire, mais lui crée aussi des ennemis, envieux, pour la plupart de son savoir et de son éloquence.
Un siècle plus tard, Nicolas Aubin, pasteur d’origine loudunaise souligne dans son ouvrage "Histoire des Diables de Loudun", la "facilité et l'élégance" d'Urbain Grandier. "Il prêchait assez souvent, il s'acquittait de cet emploi incomparablement mieux que la plupart des moines qui montent en chaire", y décrit l'auteur.
Adepte du libertinage
Si l'envie a attisé les animosités, les activités du prêtre choquent dans la région. Certains écrits de l'époque décrivent en effet Urbain Grandier comme quelqu’un de libertin et collectionnant les conquêtes. "Doué d’un extérieur des plus séduisants, grand, toujours mis avec élégance, le nouveau curé sut vite conquérir les sympathies de la population féminine", précise ainsi Gabriel Legué dans son ouvrage "Urbain Grandier et les Possédées de Loudun".
Ce côté séducteur lui vaut les foudres des hommes du village : il est vu comme un étranger débarquant dans toutes les chaumières de la ville pour le seul plaisir de la chair. Parmi ses nombreuses conquêtes, se trouvait la fille de Philippe Trincant, procureur du roi Louis XIII. "Sa réputation de séducteur, ses frasques étaient connues et dénoncées. Une première jeune fille de la ville, Philippa Trincant, fille du procureur du roi, s’était retrouvée enceinte de ses œuvres, puis une seconde, Madeleine de Brou, âgée de dix-huit ans, qu’il avait installée chez lui, bravant le qu’en-dira-t-on", relate Jean-Christian Petitfils, dans son livre sur Louis XIII.
S’il n’y a, à ce jour, aucune preuve concernant le fait qu’Urbain Grandier ait pu mettre enceinte plusieurs femmes, ses relations amoureuses n'étaient pas secrètes. En tombant amoureux de Madeleine de Brou, il décide de s'attaquer aux autorités cléricales en écrivant un Traité sur le célibat des prêtres, paru en 1628. Des théories proches de celles du protestantisme sur le mariage qui lui valent l'étiquette d'œcuméniste qualifiant les adeptes des rapprochements des religions. Des idées très mal vues au XVIIe siècle, qui assombrissent le ciel au-dessus de la tête d’Urbain Grandier.
Les Possédées de Loudun
La vie de ce prêtre va connaître un tournant majeur lorsque les religieuses de l’ordre de Sainte-Ursule, les Ursulines, débarquent à Loudun. Lors de l’année 1632, sœur Jeanne des Anges propose à Urbain Grandier de devenir le directeur de conscience du monastère, ce qu’il refuse. Face à cela, cette dernière accuse Urbain Grandier d’être un magicien, d’avoir tenté de la séduire et d'être responsable de la possession des religieuses du couvent. Elles se disent être l'objet de sensations, d'attouchements sexuels et d'obscénités de la part du curé. Certaines personnes qui se sont penchées sur cette histoire y voient un cas de psychose collective.
La sœur fait appel au chanoine Jean Mignon, un des plus grands ennemis d’Urbain en tant que neveu de Philippe Trincant, ainsi qu’à Jean Martin de Laubardemont. Ce magistrat, initialement en charge de gérer la démolition du château de Loudun, devient finalement, par ordre du roi Louis XIII et du cardinal de Richelieu, l'enquêteur et le juge de cette affaire de possession.
De 1633 à 1634, les exorcismes se multiplient dans le village : à l’église Sainte-Croix, au couvent des Ursulines, au prieur Notre-Dame-du-Château ou encore à l’église Saint-Pierre-du-Martray. Ils visent, pour la plupart, le prêtre volage.
Les démons, par la voix des nonnes et le public, convaincus de la réalité de la possession, réclament la mort du sorcier.
Patrick Marchant,Auteur de "Sorcières, mythes et réalités"
Patrick Marchant, dans son ouvrage "Sorcières, mythes et réalités" raconte qu’à la suite de ces accusations, Urbain Grandier est emprisonné au château Angers. "Les séances ont lieu tous les jours dans les églises de Loudun et la foule s’y presse. Urbain Grandier nie toutes les accusations révélées durant les séances d’exorcismes qui ont été reprises par les capucins. Les scènes suscitent les larmes aux officiants et aux spectateurs tout en provoquant l’effroi", détaille-t-il.
Condamné à mort
Un procès est alors entamé à son encontre. Les juges exhibent des documents, des pactes avec le diable signés par l’accusé. Urbain Grandier nie tout, en dépit du sort déjà scellé. Car cette affaire est plus qu’une affaire religieuse : Loudun est une ville qui accueille bon nombre de protestants. L'affaiblissement du nombre de catholiques de cette ville inquiète déjà le cardinal de Richelieu qui voit, dans l'éradication du curé, l'opportunité de ranimer la foi.
Urbain Grandier est finalement condamné à mort, le 18 août 1634. "À faire amende honorable, nu et en chemise, la corde au cou, tenant en ses mains une torche du poids de deux livres, devant les principales portes des églises de Saint-Pierre du Marché et Sainte-Ursule de cette ville de Loudun et là, dévotement à genoux, demander pardon à Dieu, au Roy et à la Justice. [...] Et ce fait, être conduit en la place publique de Sainte-Croix de cette dite ville pour y être attaché à un poteau sur un bûcher", révèle un arrêt du 18 août 1634, cité par l’historien Michel Carmona.
À 17 heures, le bûcher s'embrase. Urbain Grandier brûle sur la place du marché, attaché sur un tronc en bois. Antoine Denesde, marchand ferron installé à Poitiers, et sa femme Marie Barrié, écrivent dans leur journal que "plus de six mille personnes sont venues de toutes parts voir cet étrange spectacle, dans la ville de Loudun. Il y avait plus de huit mille étrangers de tous pays, particulièrement de Poitiers, Tours, Orléans et Anjou". Urbain Grandier fut l'un des derniers hommes condamnés au bûcher. En 1682, soit 48 ans plus tard, le roi Louis XIV fait publier un édit royal interdisant de condamner à mort les prétendus sorciers et sorcières.