Des résidus de pesticides ont été retrouvés dans des taux supérieurs au seuil maximal toléré en France dans l'un des forages d'eau de Cuhon. Une pollution inédite de l'eau potable. Et chez vous, quelle est la qualité de l'eau potable dans votre commune ?
C'est une première en France. La préfecture de la Vienne a décidé, ce vendredi 12 mai, de la fermeture d'un forage d'eau à Cuhon en raison de la présence de résidus de chlorothalonil, un fongicide utilisé dans l'agriculture jusqu'en 2020. D'abord classé comme cancérogène possible, ce produit phytosanitaire avait été finalement interdit en Europe.
L'arrêt brutal de cette installation limite de fait la ressource disponible dans le secteur, au point que des restrictions d'eau ont été décidées par les autorités. Onze communes sont passées, ce lundi 15 mai, en état de "crise", impliquant un "arrêt total des prélèvements non-prioritaires, y compris agricoles", précise la préfecture.
Une pollution inédite en France
L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avait consacré une longue étude à ces produits de dégradation - ou "métabolite" - du chlorothalonil. Reposant sur un échantillon de 300 sites répartis sur le territoire, cette analyse avait permis d'estimer qu'un tiers de l’eau distribuée en France serait non conforme à la réglementation.
Selon les normes européennes, ce "seuil de qualité" est fixé à 0,1 µg/l de métabolites de chlorothalonil. Lorsque cette limite est franchie, les fournisseurs doivent mettre en oeuvre des moyens pour dépolluer l'eau. Cependant, son usage n'est pas interdit.
La consommation humaine n'est interdite que dans le cas où les concentrations en résidus de pesticides dépassent le "seuil sanitaire", fixé à 3 µg/l. Mais aucun prélèvement n'avait jusqu'à présent mesuré des taux aussi élevés dans de l'eau potable.
Utilisez notre moteur de recherche afin de connaitre la qualité de l'eau de votre commune.
A Cuhon, la teneur en métabolites de chlorothalonil atteint les 3,2 µg/l, obligeant les autorités sanitaires à réagir. "Les premiers relevés de l'Anses faisaient apparaître la présence de résidus dans le secteur, alors l'ARS en a déduit que cela pourrait venir de Cuhon", raconte Yves Kocher, directeur général de Eaux de Vienne, responsable de la distribution d'eau potable.
Impossible de savoir combien de temps mettront ces résidus à disparaître de l'environnement. Mais les résultats de premières études, menées en Suisse, laissent présager le pire : "La suspension [de l'usage du chlorothalonil], pendant plusieurs années, n’a pas permis de faire baisser les taux retrouvés dans l’eau", raconte dans Le Monde Pierre-Antoine Hildbrand, conseiller municipal de la ville de Lausanne chargé de l’eau.
Des coûts de dépollution faramineux
Eaux de Vienne pensait un temps que les précipitations et la quantité d'eau présente dans les nappes phréatiques pourraient avoir une influence sur les mesures : "Mais non, ça ne fonctionne pas comme ça", admet Yves Kocher. "Maitenant, deux solutions : soit on se passe définitivement de cette ressource, soit on la traite."
La seconde solution a déjà fait l'objet d'une recherche en interne pour rendre l'eau du forage de Cuhon de nouveau propre à la consommation : "Une unité mobile de traitement coûterait 200 000 euros de fonctionnement par an, en plus des 30 à 40 000 euros nécessaires à l'installer." Des investissements lourds pour le syndicat de l'eau de la Vienne. En l'état actuel des connaissances scientifiques, "il y a à la fois une incapacité technologique et économique à traiter cette pollution", conclut le directeur général d'Eaux de Vienne.
Et il se pourrait bien que le forage de Cuhon ne soit pas le seul site contaminé dans le département : les analyses des quelque 140 captages d'eau de la Vienne sont toujours en cours. Les résultats devraient être connus à la fin juin.
Des méthodes beaucoup plus avancées sont, par exemple, envisagées par le Syndicat des Eaux d'Île-de-France (SEDIF) pour repasser sous le "seuil de qualité" (fixé à 0,1 µg/l). Mais le coût d'une telle dépollution, 870 millions d'euros pour le bassin parisien, semble hors d'atteinte pour de plus petits réseaux d'eau, notamment en zone rurale.
Des études contestées
Les acteurs de la filière restent donc dans l'expectative, pendus aux résultats des études sur la nocivité des métabolites de chorothalonil. Et ce n'est autre que le fabricant du fongicide interdit en Europe, l'entreprise suisse Syngenta, qui réalise les études toxicologiques sur son propre produit.
Le procédé fait bondir Mickaël Derangeon, maître de conférences en neurophysiologie à l’université de Nantes et vice-président chargé de la sécurité sanitaire d’Atlantic’Eau, la compagnie des eaux de Loire-Atlantique. "C'est la société elle-même qui pourrait s'autogracier, c'est tout simplement stupéfiant", s'indigne ce spécialiste, qui a compté parmi les premiers à alerter, dès 2016, sur la présence de métabolites de pesticides dans l’eau potable dans des concentrations supérieures aux normes.
Selon Mickaël Derangeon, cette étude du fabricant pourrait conduire les autorités à relever les seuils de tolérance aujourd'hui en vigueur, rendant, par exemple, l'eau de Cuhon à nouveau potable.
Une hypothèse probable, au vu de la récente décision de l'Anses concernant des métabolites de pesticides, là encore produits par l'entreprise Syngenta. L'agence de sécurité sanitaire avait décidé d'allerger ses normes à la suite d'une étude réalisée par le groupe agro-chimique. L'eau du robinet de millions de Français était soudain redevenue conforme à la réglementation. Un "remarquable tour de passe-passe", avait alors dénoncé l'association environnementale Générations Futures.