Élections municipales 2020 à Poitiers, un an après : dans les coulisses de la soirée de victoire de Léonore Moncond'huy

Avec 42,83% des voix au second tour de juin 2020, Poitiers Collectif remporte les élections municipales dans l'euphorie d'une victoire à ce point inattendue que la tête de liste, Léonore Moncond'huy, sortira célébrer son succès avec, dans la poche, son discours de défaite. [ Série 1/3 ]

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Il est 20h, ce 28 juin 2020. L'esplanade minérale de l'hôtel de ville de Poitiers se noircit progressivement d'une petite foule de militants et de soutiens à Poitiers Collectif. En cette première période de déconfinement, l'ombre de la pandémie plane toujours et le rassemblement apparaît un peu timide. La liste, avec à sa tête Léonore Moncond'huy, vient de remporter les élections municipales. Tous les regards sont tournés vers l'émotion de la jeune femme de 30 ans qui avance sur le parvis, entourée de ses partisans. 

L'heure est aux félicitations, à la célébration de la victoire. Les Poitevins ont accordé 42,8% des suffrages à la liste Poitiers Collectif, dans une triangulaire qui l'opposait au socialiste Alain Claeys et au marcheur, Anthony Brottier.

Une indiscrétion d'Alain Claeys

Alors que les résultats officiels viennent juste d'être publiés, Léonore Moncond'huy sait depuis plus d'une heure que sa liste vient de remporter les élections municipales. Son principal opposant, Alain Claeys, s'est laissé aller à une indiscrétion face à la presse régionale.

Léonore Moncond'huy sera la nouvelle maire de Poitiers. 

Alain Claeys, maire sortant - (déclaration vers 18h30)

Il est alors aux alentours de 18h30. Les bureaux de vote sont fermés depuis une demi-heure et, tandis que le dépouillement progresse à grand pas en ce jour de vote marqué par une très forte abstention, d'un geste de la main, Alain Claeys rassemble dans son bureau la petite assistance de journalistes face à lui. Il se tient debout, tente un pas sur sa droite, un autre sur sa gauche puis se recentre comme pour trouver dans une décontraction feinte la bonne posture pour l'annonce qu'il s'apprête à faire. La prise de parole hésite entre le ton informel du vieux briscard habitué des confidences légères d'une fin de journée de dépouillement et la gravité de ce qu'il porte en réalité en lui. Alors qu'il vient de se retourner et semble se parler à lui-même, il relève la tête vers ses interlocuteurs et lâche ces quelques mots : "Léonore Moncond'huy sera la nouvelle maire de Poitiers", comme par inadvertance. La déclaration n'est ni solennelle ni légère. Elle semble pourtant au premier abord empreinte d'une évidence, celle de la défaite dont il essaierait encore de se convaincre. En quelques mots lapidaires, la réalité prend corps : cet habitué de la vie politique, profondément attaché aux valeurs de la République, vient de reconnaître, plus d'une heure avant l'annonce officielle des résultats, qu'il n'est pas réélu à un troisième mandat consécutif.

Alain Claeys adresse alors à Léonore Moncond'huy "toutes (s)es félicitations" et "souhaite le meilleur pour Poitiers et pour les Poitevins". Au même moment derrière lui, une mine triste dont le téléphone résonne soudainement dans le bureau, emplissant toute la pièce, fait les cent pas le long des fenêtres qui donnent sur la rue Lebascles. Le maire poursuit : "Je porte la responsabilité de cette défaite."

Cette déclaration du maire sortant si tôt dans la soirée prend tout le monde de court. Peu avant 19h, une partie de la presse régionale brise la règle de l'annonce des résultats à 20h et tweete qu'"Alain Claeys reconnaît sa défaite".

La stupéfaction

Au même moment, les équipes de Poitiers Collectif suivent de près les opérations de dépouillement dans les locaux de campagne d'Europe Écologie les Verts dans le centre-ville de Poitiers. "Quand ce tweet (relayant l'annonce par Alain Claeys qu'il reconnaissait sa défaite) est tombé, on est resté très prudents", se souvient Charles Reverchon-Billot, alors directeur de la campagne de Poitiers Collectif, même si "on voyait que la tendance était favorable". 

Léonore Moncond'huy est, elle, au travail dans son bureau. Elle prépare sa future déclaration, "deux discours : le discours de la victoire, le discours de la défaite". A encore plus d'une heure de la publication des résultats, elle s'est isolée, préférant rester à l'écart. "Je ne voulais pas savoir", raconte-t-elle. Puis, son équipe la dérange. "Quand on a eu les 300 premiers bulletins des 53 bureaux de vote, ça devenait très clair", poursuit le directeur de campagne. Léonore Moncond'huy se souvient de l'annonce : "Je faisais (mes deux discours) tranquillement pendant qu'eux faisaient les résultats, et, ils sont sortis et ils m'ont montré le tweet. Et j'ai dit : Non ? Mais, c'est une blague ?"

Dès les trois premiers 100 bulletins, j'ai vu l'écart se creuser, ça a tout de suite été très clair.

Yves Jamain, membre du secrétariat départemental du PCF

Pourtant, un premier SMS est parvenu très rapidement à Charles Reverchon-Billot, son directeur de campagne. Il provient d'Yves Jamain, ancien secrétaire départemental du PCF, toujours membre du secrétariat départemental et impliqué dès le début dans la démarche de Poitiers Collectif. Comme à chaque élection, il suit le dépouillement depuis son bureau de vote Jean-Mermoz dans le quartier Bel-Air. "Dès les trois premiers 100 bulletins, j'ai vu l'écart se creuser, ça a tout de suite été très clair", se souvient-il. "Et je lui ai envoyé un texto pour le lui dire." Pour lui, la victoire est assurée.

Alain Claeys dresse lui aussi très vite le même constat. "Dès les trois premières centaines, j'ai su", admet-il rétrospectivement. "Il y avait 500 voix à déplacer", analyse-t-il en fin connaisseur des bureaux de vote de sa ville. Puis, il confie : "Je ne suis pas quelqu'un d'optimiste par nature mais je n'ai jamais pensé que l'on pouvait perdre cette élection. (...) Pour moi, c'est une énorme surprise, un accident industriel."

La tête de liste de Poitiers Collectif reconnaît qu'elle et son équipe ne s'attendaient "ni à ce timing-là, ni à cette forme-là". "Et ça s'est enchaîné très très vite ensuite."

La surprise est telle pour Léonore Moncond'huy qu'au moment de s'adresser à ses soutiens rassemblés pour la victoire, elle prend conscience qu'elle est sortie des locaux de campagne avec le mauvais discours en poche. Celui de la défaite. Autour d'elle, ses proches en rient avec elle. "C'était assez drôle comme situation", se souvient Charles Reverchon-Billot. Léonore Moncond'huy improvisera donc son discours de la victoire.

Alain Claeys nous déclarait : 'Je peux perdre ce soir'. Rapidement, il a dû reconnaître sa défaite.

François Bombard, journaliste France 3 Poitou-Charentes

A 20h, France 3 prend l'antenne pour sa soirée électorale. Les premiers mots ne seront pas pour La Rochelle où le duel opposant le maire sortant Jean-François Fountaine à son ancien allié devenu meilleur ennemi, Olivier Falorni, semblait pourtant accaparer les regards mais pour Poitiers "où nous attend une énorme surprise", annonce le journaliste Jérôme Vilain. Il se tourne vers l'équipe dépêchée pour la soirée électorale à l'hôtel de ville de Poitiers : "François Bombard, vous nous confirmez que le maire sortant Alain Claeys a été éliminé."

"Absolument..." L'équipe sur place parle de "stupéfaction" face à ce résultat inattendu. A l'antenne, François Bombard raconte : "Nous étions avec Alain Claeys quelques minutes après la fin du vote, dans son bureau et, il nous déclarait : 'Je peux perdre ce soir'. Et rapidement, il a dû reconnaître sa défaite."

VIDEO - Alain Claeys reconnaît sa défaite, dans son bureau de la mairie de Poitiers, le 28 juin 2020

Ce n'est pas un revers, c'est un échec. J'ai perdu ce soir avec mon équipe. J'en suis le principal responsable. 

Alain Claeys, maire sortant

Dans une déclaration face caméra enregistrée dans son bureau à la mairie, Alain Claeys reformule ce qu'il a déjà esquissé. "Ce n'est pas un revers, c'est un échec. J'ai perdu ce soir avec mon équipe. J'en suis le principal responsable. Et le moment viendra où il faudra réfléchir." Le maire éliminé pense-t-il mettre un terme à son parcours politique ? Cherche-t-il au contraire à rebondir ? Il poursuit et dresse le premier constat d'une percée écologiste dans sa ville et en France: "Je pense qu'il y a ce soir à Poitiers, comme ailleurs, un mouvement écologiste fort qui s'est manifesté."

Figure de la droite locale, Jacqueline Daigre, candidate aux législatives de 2007 et 2012 pour l'UMP, puis de 2019 pour Les Républicains, dans la 1ère circonscription de la Vienne, où elle est arrivée en seconde position à deux reprises face à Alain Claeys, puis à nouveau en seconde position en 2019 face à Jacques Savatier, pour La République en Marche, rejoint la presse sur les marches de l'hôtel de ville. Il est près de 21h et ses premiers mots reconnaissent la victoire de la liste Poitiers Collectif.

L'équipe de Léonore Moncond'huy est arrivée avec le NPA derrière et les drapeaux. Ça me rend un peu triste.

Jacqueline Daigre, Les Républicains

"La démocratie a parlé, je n'ai pas à contester la démocratie", lance-t-elle dans une interview à France 3 le soir-même. Un constat la marque : "le faible taux de participation, qu'on retrouve partout dans le pays, est regrettable". Mais, face caméra, on sent son regard hésiter, attiré par ce qui se déroule autour d'elle sur la place de la mairie. Son attention est distraite et la voilà qui déroge au jeu des questions réponses avec la presse pour commenter ce qu'elle voit : "J'ai à côté de moi, pendant que vous m'interviewez, toute l'équipe de Léonore Moncond'huy qui est arrivée avec le NPA derrière et les drapeaux. Ça, je suis un peu triste, moi qui suis une femme politique de droite et du centre modéré."

Poitiers Collectif est soutenu dans ces élections par EELV, Nouvelle donne, Génération.s, le Parti communiste français, Génération écologie et A nous la Démocratie. Seuls les drapeaux du NPA retiennent son attention. Le Nouveau Parti anticapitaliste a appelé à battre Alain Claeys au second tour et a ainsi implicitement appelé à voter pour Poitiers Collectif. Puis elle précise: "J'espère que tout se passera bien pour les Poitevins, c'est vraiment mon souhait", comme si un risque de dérive pouvait exister. "J'ai toujours travaillé, que pour Poitiers, que pour les Poitevins et j'espère que la liste qui est élue aujourd'hui fera de même."

On a viré Claeys"

Quelques drapeaux du NPA sont effectivement présents sur le parvis de la mairie avec ceux d'autres formations politiques de gauche. "Nos drapeaux étaient présents pour dire'on a viré Alain Claeys", se souvient Manon Labaye, tête de liste du NPA au 1er tour. "On a lancé un appel à battre Alain Claeys en se disant que ce serait plus à gauche, même si ce ne serait pas forcément le rêve, mais ce ne serait plus la politique libérale de Claeys", poursuit-elle.

Dans la foule, ce soir-là, Françoise, militante de longue date au NPA, se souvient de l'ambiance d'"euphorie" pour Poitiers Collectif. "Sur le moment, ils ne se rendaient pas vraiment compte", raconte-elle. "Nous n'avions pas fusionné notre liste à la leur donc on était présents ce soir-là en spectateurs. Ils étaient évidemment très contents et il y avait aussi de l'inquiétude car il leur fallait s'organiser vite."

Puis elle poursuit : "J'ai surtout senti de la reconnaissance de leur part que l'on ait appelé à voter pour eux au second tour. Ils sont venus nous remercier."

Militante communiste, Christine a tracté pour Poitiers Collectif pendant le campagne. "Je suis arrivée juste après l'annonce officielle des résultats. J'entendais les uns et les autres dirent : 'Tu y crois, toi ?!' ou 'C'est fou!' Vraiment, ils étaient entre les rires et les larmes", se souvient-elle. Mais aussi, "ce qui nous a peut-être le plus surpris, c'est que ce soit une victoire avec un tel écart !"

Ce n'est pas une surprise c'est la fin d'une génération qui malheureusement avait confisqué le pouvoir.

Anthony Brottier, candidat La République en Marche

Anne, une sympathisante de Poitiers Collectif, confirme le sentiment général "de grande joie". "Poitiers est une ville de gauche et montre qu'elle reste une ville de gauche."

Renouvellement

Pendant ce temps à la télévision, les réactions politiques se poursuivent. Également présent au second tour de ces élections municipales, le candidat de La République en Marche, Anthony Brottier, inscrit la victoire de Léonore Moncond'huy et sa propre présence au second tour dans une "volonté de renouvellement très marquée" et, "quand on cumule le score des voix qui portent le renouvellement, il est important". Puis, il tacle le maire sortant : "Ce n'est pas une surprise c'est la fin d'une génération qui malheureusement avait confisqué le pouvoir."

Le candidat de l'Union de la droite dans ces municipales pictaves, Thierry Alquier, reconnaît lui aussi que " (Poitiers Collectif) n'était pas (s)on choix mais (il) le respecte". "Je respecte les Poitevins." La victoire de Léonore Moncond'huy sonne pourtant pour lui et la droite classique comme une double défaite : élimination dès le premier tour avec 9,82% des voix et impossibilité au second d'amener les électeurs à faire le choix de "l'expérience", donc d'un vote Alain Claeys, par défaut.

A son tour, Léonore Moncond'huy prend la parole pour saluer "la bonne gestion" de la ville dont son équipe hérite, "qui nous permet dès maintenant de porter des projets ambitieux pour l'avenir". Ce soir-là, l'essentiel de sa prise de parole est réservé au poids de la démarche collective. "On a quand même montré que s'engager, ça a du sens et que s'engager, ça permettait de changer les choses." Elle poursuit : "Je pense que Poitiers Collectif, ça réaffirme la confiance que l'on peut avoir en la démocratie (...), que quand on s'engage en démocratie, on peut changer nos vies. On peut changer la vie, la vie de nos villes, on peut changer le monde en fait." Une déclaration comme une réponse à l'engagement de ses jeunes années, lorsque de 2001 à 2003, elle avait été élue au conseil communal des jeunes de la ville de Poitiers et que les élus socialistes d'alors espéraient contribuer à faire émerger une conscience citoyenne parmi la jeunesse.

Célébrations dans la rue

Tandis que la soirée avance, les militants et soutiens de Poitiers Collectif se retrouvent à quelques centaines de mètres de l'hôtel de ville pour célébrer la victoire au bar à jeu Le Baffalou, non loin du siège local d'Europe Écologie Les Verts. "La soirée se déroulait dehors", se souvient Françoise. "Les gens buvaient simplement un verre."

"Ce n'était pas petits fours-champagne", confirme Christine. "On prenait une bière, on discutait dans la rue au milieu des gens." Elle se souvient aussi d'une chose primordiale à ses yeux : "Très vite, j'ai entendu les militants sur la liste, mais non élus ce soir-là, dirent 'On va rester aux côtés de Léonore pour travailler avec elle'. L'expérience du travail collectif allait se poursuivre et ça, c'était important."

La nouvelle maire célèbre avec ses soutiens et les militants. Ses parents, visiblement émus, l'accompagnent. A ses côtés, son père, Dominique Moncond'huy, ancien doyen de la faculté de Lettres de l'université de Poitiers, ne cache pas sa joie (Twitter). "Je suis fier de ma fille", lance-t-il face à la presse. "Elle va pouvoir montrer qu'un autre modèle est possible. Vous allez voir, Poitiers Collectif, ce sont des gens sincères."

Puis, la prochaine maire s'approche d'un groupe de jeunes gens, surnommés les "fourmis", des habitants des quartiers qui, par leur travail, ont incité à l'inscription sur les listes électorales. Leur action, dans des quartiers jusque-là acquis à Alain Claeys, a, semble-t-il, contribué à la victoire de Poitiers Collectif.

Si ce soir-là Poitiers reste à gauche, la ville change pourtant bien de couleur politique, du rose au vert. La victoire de la militante Europe Ecologie Les Verts Léonore Moncond'huy met fin à 43 ans de règne socialiste sur la ville. Mais pour la gagnante de la soirée, sa victoire signifie avant tout l'arrivée d'un nouveau "logiciel politique" aux affaires, acquis à ce fameux travail "collectif".

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