ENQUÊTE. Le procès des proxénètes de Poitiers s'ouvre à Rennes le 18 juin

23 personnes, accusées d'avoir pris part à un réseau organisé de proxénétisme sur Poitiers, comparaîtront du 18 au 29 juin prochain devant le tribunal de Rennes (Ille-et-Vilaine). Parmi elles, un patron de boîte de nuit qui louait un appartement aux prostituées. Sciemment, selon les enquêteurs.

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Des emballages de préservatifs jonchent le sol de la chambre à coucher parmi les vêtements roulés en boule. Du lit, il ne reste que le sommier dont les lattes ont été brisées. Le mobilier de la cuisine a disparu sous un amoncellement de vaisselle. Le chaos d’un appartement de 30 mètres carrés où se sont entassées jusqu'à sept femmes.

"Au début, nous étions trois", raconte Lindsey (son prénom a été modifié). "Mais, très vite, d’autres filles sont arrivées. Une de mes amies voulait les aider, elles n’avaient nulle part où aller".

En juin 2017, il n’en reste qu’une poignée. Ces femmes sont toutes Nigérianes, toutes prostituées, toutes livrées à elles-mêmes. Aucune ne parle le français, pas une n’a signé de bail. Et pourtant, elles s’acquittent chaque mois d’un loyer de 400 euros, versé en liquide à David G., propriétaire de l’immeuble situé à deux pas de la gare de Poitiers.

Accusé de proxénétisme aggravé, blanchiment et association de malfaiteurs, ce patron d’une boîte de nuit encourt dix ans de prison pour des faits commis entre janvier 2013 et mars 2017. Il comparaîtra, le 18 juin, devant la chambre correctionnelle de Rennes spécialisée dans le crime organisé, aux côtés de vingt-deux autres prévenus.

Les enquêteurs suspectent David G. d’avoir sciemment tiré profit de victimes de la mafia nigériane. Mais, alors même qu’il est placé sous contrôle judiciaire, le Poitevin continue de réclamer le paiement des loyers à ses locataires jusqu’en juin 2017.

Certaines de ces jeunes femmes n’ont pourtant pas cessé de vendre leur corps pour survivre, selon Lindsey : "On voulait toutes arrêter la prostitution. Mais si on arrêtait, comment on aurait fait pour manger ? On n’avait aucun endroit où aller. On n’avait aucun moyen de payer les factures. On n’avait pas le choix", estime la jeune femme, aujourd’hui aidée par l’association poitevine des Madeleines*.

La nécessité les pousse même à enfreindre les règles édictées par leur logeur, David G. À la nuit tombée, des clients se glissent parfois dans l’appartement pour une passe, à l’abri des regards indiscrets. "Dans ces cas-là, les autres filles sortaient pour qu’ils aient un peu d’intimité", témoigne Lindsey. "Moi, j’étais contre. Il nous est arrivé de nous faire voler et même agresser. C’était très dangereux."

Un récit confirmé aux enquêteurs par l’un de ses anciens voisins, Henry (son prénom a lui aussi été modifié). Pendant près de sept ans, ce jeune Poitevin a habité un studio au rez-de-chaussée de l’immeuble. "En tant d’années, j’en ai vu défiler !", affirme-t-il. "David m’avait juste demandé de le prévenir en cas de problème, plutôt que d’avertir la police. Mais, puisqu’il ne répondait jamais, j’ai dû appeler plusieurs fois les flics."

D’après Henry, David G. se serait longtemps accommodé avec l’activité de ses locataires. Mais, en juin 2017, la situation a changé. Les quelques billets glanés par les jeunes femmes ne suffisent plus à honorer le paiement de leurs arriérés. "David est venu un jour en demandant de partir. Il a dit qu’il avait marre et que, la prochaine fois, il viendrait avec la police", indique Lindsey.
 

Menaces et intimidations

Mais, le jour J… Pas d’uniforme à l’horizon, pas le moindre huissier de justice. Le 15 juin 2017, David G. arrive accompagné de deux de ses amis, un homme et une femme, pour changer les serrures. Prévenue, Emma Crews, à l’époque présidente de l’association des Amis des Femmes de la Libération, interpelle le propriétaire : "Je lui ai dit que c’était totalement illégal", se rappelle-t-elle.

Les valises des prostituées sont répandues dans la cour de l’immeuble. Un de nos journalistes profite alors de la confusion pour s’approcher, muni d’une caméra cachée. "La justice a demandé qu’il n’y ait plus ce genre de filles ici, ce sont des prostituées", se plaint la femme venue pour aider David G. à nettoyer les appartements.

Le propriétaire sort alors de l’un des studios et refuse une fois de plus de répondre à nos questions. Le logeur finira par expulser ses encombrantes locataires, sans passer par un juge comme le veut la loi.

Mais il ne s’arrête pas là. En avril 2018, David G. prend connaissance du témoignage donné aux enquêteurs par l’un de ses locataires, Henry. "Un jour, il est venu pour discuter de choses et d’autres. Puis, tout à coup, il m’a dit : 'ta convocation chez les flics, ça ne me plaît pas du tout'. Et il m’a collé une grande claque dans la gueule", assure le jeune homme. "Il était complètement fou, son regard a changé en deux secondes."

Humilié, Henry décide de se rendre au commissariat. Au début, les policiers lui conseillent de déposer une main courante, avant de comprendre à qui ils ont affaire : David G., patron de boîte de nuit, déjà condamné pour outrage et violences sur personne dépositaire de l’autorité, mis en examen pour proxénétisme aggravé depuis mars 2017. "Il faut que vous portiez plainte pour « violences sans incapacité commises sur témoin »", conseille alors une policière à Henry. Il s’exécute le 6 avril 2018 et quitte son petit studio de l’Avenue de Paris.

Quelques semaines plus tard, lors de l’état des lieux, David G. aurait réitéré ses menaces en présence de témoins, selon son ancien locataire : "Tu sais, Poitiers, c’est tout petit… Le restaurant où tu bosses, je le connais", aurait-il glissé à Henry.

Le jeune homme indique ne pas avoir reçu de convocation au tribunal. "Je ne suis pas sûr de vouloir témoigner à la barre… J’ai trop peur des représailles", reconnaît-il.

Le procès des proxénètes poitevins est prévu du 18 au 29 juin, à Rennes. L’association abolitionniste du Mouvement du Nid, qui s’est constituée partie civile dans le dossier, veut faire des logeurs un cas emblématique du "système prostitutionnel" : "Les réseaux de traite internationaux que l’on croit insaisissables s’appuient nécessairement sur des proxénètes locaux", affirme l’avocate Lorraine Questiaux. "Et jusqu’à aujourd’hui, la justice française s’en désintéresse. Ces Français jouissent d’une impunité incompréhensible."
 

L'enquête de la rédaction

A quelques jours de l'ouverture du procès, Hugo Lemonier, Antoine Morel et Philippe Ritaine vous ont résumé l'ensemble de ces éléments dans un reportage, que vous pouvez visionner ici et sur la chaîne Youtube de France 3 Nouvelle-Aquitaine.

* Association les Madeleines : 7, rue Clément Guigner, 86 160 Magné - 06.71.26.42.38
 
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