Les trafics de drogue se multiplient en zone rurale. Dans la Vienne, une équipe a enquêté, en 2023, auprès de consommateurs, d’un groupe de recherche anti-drogue de la gendarmerie et des différents professionnels de justice. Cela fait écho aux récentes actualités en Poitou-Charentes.
Les trafics de drogue ne se limitent plus aux grandes agglomérations, c’est aussi une histoire de campagne. "On peut tout trouver à la campagne", "Quand un se fait prendre, un disparait et un autre arrive". Les témoignages sont anonymes, mais nombreux.
La drogue n’est pas seulement cantonnée à la ville, la preuve à quelques kilomètres de Poitiers, à Couhé. En 2022, face à la hausse des affaires de stupéfiants, la gendarmerie créée un groupe de recherches anti-drogue en zone rurale.
Un dossier peut commencer par un simple appel de riverain ou un signalement via une plateforme numérique. Des dénonciations bien pratiques pour les enquêteurs. "On enquête sur la personne qui est dénoncée, explique anonymement l’un des membres de la brigade. On regarde si la personne a un passif et on voit vraiment son environnement, son milieu de vie pro. Si c’est fiable, on y va". Un peloton de surveillance et d’intervention a pour objectif de traquer les points de deals en zone rurale. "En majorité ça s’approvisionne dans Poitiers et les dealers s’expatrient dans les campagnes", nous confie un gendarme au PSIG de la Vienne.
"C’est vrai qu’il y a quelque temps, on mettait ça en secondaire et on traitait au coup par coup, rajoute le lieutenant-colonel Nicolas Chartoire, commandant la compagnie de gendarmerie. Aujourd’hui, on a fait l’effort de créer un groupe de recherche anti drogue, au sein de la compagnie et des autres compagnies aussi pour justement mettre cette thématique au centre du sujet. On va essayer d’aller chercher non pas les très gros poissons parce qu’on n'a pas les capacités de le faire et que c’est le travail des services d’enquêtes spécialisées, mais toute la strate intermédiaire du trafic en campagne".
Des campagnes encore marquées par le trafic
Le maire de Couhé est soulagé que le point de deal de la ville ait disparu il y a deux ans grâce au travail de cette brigade, mais il reste inquiet.
"On n'est pas complétement guéri si je puis dire, plaisante Philippe Bellin, le maire de Valence en Poitou. On est soulagé parce qu’y en a aujourd’hui qui dorment sous les verrous, on sait que ceux-là ne sont pas en mesure de nuire, mais on n'est pas vraiment complétement serein, car au départ, on avait des drogues douces comme le cannabis, mais aujourd’hui, on en est arrivé à de l’héroïne quand même, ce n'est pas rien… ".
Dérivée de l’opium, l’héroïne est en plein essor en zone rurale selon les autorités judiciaires. Revendue 40 euros la dose, en 2023, c’est une drogue très addictive et la plus mortelle en cas de surdosage.
Les mains encore tremblantes, Marc se livre anonymement. Le quadragénaire habite à la campagne, il assure suivre un programme de désintoxication. La drogue, il en a pris la première fois en soirée, un participant lui a proposé de la poudre. "Au bout de deux ou trois mois je continuais comme ça et petit à petit, je suis rentré dans l’engrenage, de vouloir en prendre tous les jours parce que je me trouvais en manque tout simplement".
L’opiacé a bien failli détruire sa vie. "Moi, j'en ai pris pendant 4/5 ans, c’est beaucoup d’argent. J’ai dépensé pour sûr 40 000 euros… On pense plus à son boulot, on pense plus à sa famille, c’est devenu indispensable, il n’y a plus que ça qui compte, c'est devenu de la saloperie". Marc a été interpellé pour usage de stupéfiants avec d’autres clients et surtout leur fournisseur.
Face à la Justice
En cas de garde à vue pour les délits les plus graves, passage obligé par la permanence du parquet. "Les stupéfiants représentent entre 15 et 20 % de l’activité de la permanence et sur l’ensemble de la profession, c'est 10 %", explique Cyril Lacombe, ancien procureur de la république de Poitiers.
Autre particularité du monde rural, le profil des trafiquants : "En milieu rural, les trafiquants sont aussi des consommateurs donc ils vont essayer d’essaimer autour d’eux alors qu’en milieu urbain, ce sont de trafiquants qui ne sont pas du tout dans la consommation et qui sont là uniquement pour la recherche de lucre, de profit, la recherche financière."
Selon un avocat, la politique pénale échouait, à l’époque de l’enquête, à en enrayer les trafics. "Sur le plan politique la lutte contre ce phénomène-là, qui est réel, c’est-à-dire la pénétration de beaucoup de drogues, en particulier de drogues dures jusque dans les campagnes, dans des endroits qu’on ne voyait pas, il y a encore 20 ou 25 ans, c'est un problème sanitaire, regrette l'avocat. C’est un problème qu’il faut régler sur le plan politique par de l’accompagnement par exemple".
De l’aveu de tous les acteurs judiciaires, les dizaines de kilos saisis chaque année et les centaines de procédures représentent une part infime du trafic de drogue en ville comme à la campagne.
VOIR le reportage de François Bombard