De nombreuses victimes de viols et d’agressions sexuelles durant l’enfance enfouissent leurs souvenirs de ces actes qui leur reviennent à l’âge adulte. Le centre de psychotraumatologie de Poitiers, où se tient un congrès international sur cette question jusqu’à vendredi 18 novembre, vient en aide à ces victimes.
Elle a décidé de combattre. Pour elle, mais aussi pour les autres. En 2019, Gwendoline Grabowski accuse un membre de sa famille de viols, commis lorsqu'elle était enfant. Un traumatisme resté enfoui en elle pendant 27 ans, remonté soudainement. Elle découvre alors qu'elle a été victime d'amnésie traumatique, et décide de lancer l'association "Enfance violée" pour accompagner les autres victimes de ce type d'amnésie. Ce phénomène est particulièrement étudié au centre de psychotraumatologie de l'hôpital psychiatrique Henri Laborit de Poitiers. De mercredi 16 à vendredi 18 novembre s'y tient un congrès international et la première conférence internationale de la Thérapie de la Reconsolidation. Parmi les questions posées lors des divers ateliers : peut-on oublier le pire souvenir d'une vie ?
France 3 Poitou-Charentes. Qu'est-ce que l'amnésie traumatique chez une victime de viols ou d'agression sexuelle dans l'enfance ?
Gwendoline Grabowski. Ces traumatismes sont des bombes à retardement. Je l'ai vécu personnellement. J'ai été abusée de sept à 11 ans. Mon cerveau a occulté tout ça, il a fait un black-out. C'est un mécanisme de défense. Le fait d'avoir oublié m'a permis d'avancer à peu près correctement dans la vie, de la construire … jusqu'au jour où tout est remonté à la surface, en 2019.
Comment le détecter alors que vous aviez oublié la source du traumatisme ?
Je m'estime très chanceuse puisque mon mari, qui travaillait en psychiatrie, a mis le doigt sur ce qu'il se passait. Il avait vu des patients qui avaient ces symptômes. J'avais du mal à y croire. Je me demandais si ce n'était pas mon cerveau qui inventait tout ça. Après un malaise au travail, je me suis dit 'il faut voir quelqu'un, faut en parler'. J'ai été admise aux urgences et c'est là qu'on m'a orientée vers le centre psycho-trauma de Poitiers.
Comment sont pris en charge ceux qui n'ont pas dans leur entourage quelqu'un capable de le détecter ?
C'est très compliqué. Beaucoup finissent en psychiatrie et ont des conduites addictives : alcool, tabac... Ils se mettent en danger. On veut faire comprendre aux personnes qu'elles ne sont pas toutes seules. Quand tout revient à la surface et que vous en prenez plein la figure, on a l'impression d'être seul, jusqu'à ce qu'on rencontre des gens ayant subi les mêmes choses. Cela fait du bien de se dire que, nos symptômes, d'autres les comprennent.
Certaines victimes n'ont même pas été informées que le centre psychotraumatique existe
Gwendoline Grabowski
Est-ce que vous ressentez une libération de la parole des victimes ?
Oui, cette libération est assez récente. Je l'ai constatée lors du premier confinement. On a reçu pas mal d'appels. Les gens sont restés seuls chez eux, et ça a favorisé les souvenirs, les réminiscences, le mal-être. Les médias en ont beaucoup parlé également. Les victimes se sont dit : "moi aussi ça m'est arrivé". Mais ça a fait effet boule de neige et on manque énormément de structures. Sur la Vienne, il y a le centre psychotrauma, c'est tout. Les listes d'attente se rallongent de jour en jour….
Vous comblez donc ces carences ?
Non, notre rôle n'est pas de combler ce trou-là. Il ne faut pas faire n'importe quoi : la vie des gens est en jeu ! On fait juste de l'orientation : beaucoup ne savent même pas que le centre psycho-traumatique existe. Les psychiatres et les médecins libéraux n'orientent pas forcément dessus non plus. De temps en temps ça nous arrive d'avoir une victime au téléphone, histoire de désamorcer des moments un peu plus compliqués. Elles ont peut-être plus confiance en nous, mais nous ne sommes pas des professionnels du psychotraumatique.
Quels sont les profils des victimes ?
Il n'y a pas de profil type quand on est face à l'amnésie traumatique. Ce sont plutôt des femmes, mais on a eu des hommes par téléphone, il peut y avoir des gens plutôt aisés, des gens vivant dans la précarité...
Quels progrès restent à faire selon vous pour améliorer la prise en charge des victimes ?
Il faudrait former les professionnels de santé et judiciaire. Les gendarmeries, les commissariats... la prise en charge de la victime est importante. Par exemple, quand j'ai été confrontée à mon agresseur en 2021, c'était dans une toute petite gendarmerie et j'étais assise juste à côté de lui. Limite je pouvais sentir son souffle sur moi ! C'était juste pas possible. Il faut former, former, former.
Témoignage recueilli par Juliette Coulais et Laurent Gautier