Comment gérer l'exposition aux écrans des enfants ? Quel impact peuvent avoir les jeux vidéo sur le développement cognitif ? Éléments de réponses avec deux experts qui placent le rôle du parent au cœur de la relation entre les enfants et le numérique.
"Il faut que les parents incluent l'usage des écrans, dans leur modèle éducatif". Ludovic Gicquel est pédopsychiatre et chef du pôle psychiatrie enfant et adolescent du centre hospitalier Henri Laborit de Poitiers. Dans le cadre de la semaine du cerveau à Poitiers, il s'exprime sur l'impact chez les enfants d'une surexposition aux écrans.
"La difficulté quand on fait des préconisations, c’est que le public doit comprendre les raisons pour s’en emparer, surtout s’agissant des écrans". Pour commencer, selon Ludovic Gicquel, l'important est de différencier les différents types d'exposition aux écrans. "Ce n'est pas la même chose d'exposer un enfant de 3 à 5 ans, plusieurs jours, qu'un adolescent".
Un impact sur le langage pour les plus petits
Le pédopsychiatre est formel, l'exposition, surtout passive, aux écrans, peut avoir des répercussions sur le sommeil et l'alimentation des adolescents, notamment "à partir de 4h par jour", et cela "risque d’avoir un retentissement sur la phase d’acquisition de l'enfant qui est particulièrement importante".
C'est notamment ce que l'étude française Elfe, conduite par Jonathan Bernard, a mis en exergue. Cette recherche, menée sur 14 000 enfants, cherchait à comprendre l'impact sur le développement cognitif de l'enfant d'une exposition aux écrans. Résultat : chez des enfants de deux ans qui évoluent dans une famille où l'on mange devant la télévision, un retard de langage est observé. Cela est notamment dû au manque d'interaction ou aux bruits confondus qui n'aident pas l'enfant à faire la distinction.
Un enfant rivé sur un écran ne va pas investir son environnement de la même façon, il va être comme dans un tunnel, donc son angle de vue ne va pas être développé de la même façon.
Ludovic Gicquelpédopsychiatre
L'exposition est aussi souvent synonyme de sédentarité. "Être devant un écran, immobile, ce n'est pas la même chose que de faire des cabanes ou d'être à vélo". La sédentarité est dangereuse pour la santé. Elle augmenterait notamment les maladies cardiovasculaires, la dépression et l'obésité.
Pour mieux gérer l'exposition des écrans des enfants, Ludovic Gicquel insiste sur l'importance du rôle des parents. Souvent, la situation devient compliquée quand les difficultés sont déjà installées, or, il devient plus difficile pour les parents de revenir en arrière. "Dans ce cas-là, la position parentale devient répressive, mais ce n'est pas une bonne idée, car s'ils ont calibré leur vie autour de ça, la privation des écrans risque de leur donner le sentiment qu'on va les couper de leur accès au monde, de leurs relations, de leurs capacités à jouer, etc.".
Au contraire, il recommande plutôt aux parents d'être dans une approche de "coconstruction de la relation entre les enfants et les écrans, dans une perspective de développer l'autocontrôle, le libre arbitre".
"Les enfants sont vulnérables, il faut faire attention"
"Il faut en discuter, connaître bien le monde numérique parce qu'il fait désormais partie de notre quotidien", explicite-t-il, "les enfants sont vulnérables, il faut faire attention, c'est à nous de leur expliquer, car c'est une chose d'avoir 35 ans et de regarder ses réseaux sociaux, c'en est une autre d’avoir 14 ans".
Les parents veulent protéger leurs enfants de tous les dangers, le truc, c'est que parfois, on ne se rend pas compte que l’effet des écrans est beaucoup plus long, sournois, dans la durée. Un téléphone, ce n'est pas un objet spontanément dangereux, mais c’est quand même grâce à internet que les pédophiles approchent des mineurs par exemple.
Ludovic Gicquelpédopsychiatre
Concernant d'éventuelles préconisations, le docteur préfère prendre des précautions. "C'est très variable d'un âge à un autre, je suis plutôt d'avis qu'il y a plusieurs limites à opérer", expose-t-il. Entre elles, "ne pas avoir d'écran dans la chambre, ni à table et les éviter au réveil et au coucher".
Néanmoins, attention aux amalgames. Il est important de distinguer les différents écrans et types d'expositions. "Ce n'est pas la même chose de regarder la télévision et d'être passif, que de jouer à un jeu vidéo", précise Eric Lambert, chercheur et conférencier à l'université de Poitiers.
Les jeux vidéo ont du bon, surtout chez les enfants et les adolescents
Eric Lambert travaille, lui, sur l’impact des jeux vidéo sur le développement de la cognition des enfants et des adolescents. Et le résultat est très positif. "Regarder la télévision ou les réseaux sociaux n’apporte aucun bénéfice cognitif, tandis que les jeux vidéo si", peut-il déjà affirmer aux vues des premiers résultats de sa recherche.
Selon le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), 96 % des jeunes de 10 à 17 ans jouent, au moins occasionnellement, aux jeux vidéo. "C'est une question très importante au niveau sociétale, il est légitime pour les parents de s'intéresser à l'impact que cela peut avoir sur leurs enfants". Et si les études sur les conséquences des jeux vidéo chez les adultes ne manquent pas, la littérature scientifique au sujet des adolescents et des enfants est encore un peu faible.
"Fortnite est très bénéfique cognitivement, c'est un jeu extrêmement exigeant"
Chez les adultes, il a été prouvé que les joueurs ont des capacités d'attention, ainsi qu'une flexibilité mentale - c’est-à-dire la capacité à s'adapter - plus importantes. Et il se trouve que ces résultats s'appliquent aussi chez les mineurs. "C'est assez sidérant parce qu'on réplique toujours les mêmes résultats". Les joueurs développent, entre autres, une meilleure réactivité, une plus grande rapidité dans leurs réactions, mais aussi une meilleure capacité d'inhibition. C'est-à-dire, la faculté à ne pas donner la première réponse qui leur vient en tête, pour prendre le temps d'analyser et de voir si une autre solution ne serait pas plus pertinente.
"Ce sont des fonctions cognitives qui nous servent pour tout au quotidien", continue Eric Lambert. Mais sur cela, tous les jeux ne se valent pas. Étonnamment, ce sont les jeux d'actions qui sont les plus efficaces comparés aux jeux de réflexions. "Fortnite est très bénéfique cognitivement, alors que souvent les parents s'inquiètent parce qu'il y a une petite forme de violence", détaille le chercheur. Pourtant, c'est un jeu "extrêmement exigeant qui demande une attention énorme".
Sur le lien entre violence et jeux vidéo, Eric Lambert est formel, "des équipes britanniques ont prouvé que ça ne développait pas les comportements violents, c'est un préjugé". Il faut dire que les jeux vidéo sont encore victimes de certains stéréotypes.
"La difficulté est générationnelle, les parents ne comprennent pas ce à quoi les enfants jouent et les enfants n'expliquent pas les jeux". Cette tendance devrait évoluer dans les prochaines années, mais d'ici là, les préjugés profonds peuvent avoir un impact sur l'estime de soi des enfants et des adolescents et leur perception de leurs passions.
Les gens ont une meilleure image des jeux de société et stigmatisent les jeux vidéos, même les gamins intègrent ces discours à force de les entendre et se retrouvent à penser que ce "n'est pas bon" de jouer aux jeux-vidéos.
Eric Lambertchercheur
"Si les parents avaient une meilleure culture jeu, ce serait très bénéfique pour tout le monde", répète le chercheur. C'est d'ailleurs ce qu'invite à faire le club des Orks de Poitiers. Les parents y sont invités à jouer aux côtés de leurs enfants. Car la meilleure solution "c'est toujours de se rendre compte par soi-même".
Autre point, les jeux auraient un bénéfice cognitif jusqu'à 8h hebdomadaire de pratique, "au-dessus, ça plafonne, on n'a pas une baisse, mais ça plafonne". Eric Lambert reconnaît également qu'une pratique intensive peut avoir des effets secondaires néfastes, en particulier sur le sommeil. "Ce n’est pas le fait de jouer qui est négatif, c’est le fait de réduire ses heures de sommeil, mais s'ils lisent jusque tard dans la nuit, ça reviendrait au même"
D'ailleurs, "il n'y a aucune preuve clinique sur l’addiction aux jeux vidéo. Ça n'existe pas". Dans les études ou les centres spécialisés, certains s'aventurent plutôt à parler de "dépendance", un terme qui serait plus juste, mais concernerait une partie "infime" des joueurs.