"De plus en plus d'enfants ont besoin d'aide". La surexposition aux écrans des tout-petits, enjeu majeur de santé publique

Entre 0 et 6 ans, les enfants passent de plus en plus de temps devant les écrans. Télévision, tablette, smartphone, quels sont les dangers de la surexposition lors de leur croissance ? Réponses et recommandations avec le docteur Anne-Lise Ducanda, médecin de la protection maternelle et infantile, qui s'est spécialisée dans la surexposition aux écrans des enfants.

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"Mon plus jeune patient a 11 mois. Il ne babille pas, ne répond pas à son prénom, ne joue pas, et il est dans sa bulle. La télé est allumée en permanence chez lui". Depuis 2012, le docteur Anne-Lise Ducanda qui exerce en Gironde à Tresses et Pauillac, reçoit des centaines de petits enfants, pour des troubles du comportement causés par une surexposition aux écrans. 

Bébé surexposé aux écrans 

Les signes que présente ce bébé, le jour de la consultation, sont inquiétants. L'enfant est né prématuré. Pour le protéger des virus, ses parents l'ont gardé à la maison. Privé de sortie, il n'a pas été suffisamment stimulé par le "dehors" et la découverte du monde. En revanche, il a été exposé à la télévision branchée en permanence. 

La surexposition aux écrans est un problème nouveau et les spécialistes peu nombreux. Anne-Lise Ducanda est, elle-même, "complètement débordée". "Je suis médecin à la PMI (protection maternelle et infantile) depuis 2002. Et depuis dix ans, les crèches et les écoles m'adressent de plus en plus d'enfants qui présentent des troubles du comportement et même des retards de motricité", note-t-elle.

Lors des consultations, j'ai pu interroger leurs parents, et j'ai constaté que ces enfants passaient beaucoup trop de temps devant les écrans, surtout la télévision, les tablettes ou le smartphone.

Anne-Lise Ducanda, médecin

à rédaction web France 3 Aquitaine

Les parents en sont conscients, mais n'en connaissent pas toujours les dangers. Ainsi, des enfants âgés de 5 ans ont déjà regardé un film d'horreur, ou bien passent des heures devant la tablette pour voir des dessins animés.

Troubles du comportement et retards

La surexposition aux écrans peut entraîner toute une série de troubles du comportement et impacter le développement, par des retards de motricité et du langage.

Les troubles du comportement sont nombreux : troubles de l'attention avec difficultés à se concentrer en classe ; agitation, avec un enfant "tornade" qui envoie tout balader autour de lui entre 0 et 6 ans, ou encore intolérance à la frustration :  l'écran, c'est du plaisir sans effort. Les parents peuvent donner un écran à un enfant pour le calmer. Pour autant, avec l'écran, il n'apprend pas à gérer sa frustration.
Autres symptômes de cette surexposition, l'intolérance à l'effort, qui se traduit par le manque de travail à l'école, l'agressivité, la violence, le trouble de la relation et de la communication avec les autres enfants, les troubles du sommeil, sans compter le risque d'addiction à tout âge.

On peut également constater un retard du développement : retard de langage, retard intellectuel, retard de motricité entre 0 et 3 ans, ou troubles de l'oralité entre 0 et 2 ans. 

Toxicité des écrans

Selon le docteur Ducanda, la télévision est allumée en permanence dans une famille sur deux. Or, les écrans sont toxiques, car ils privent l'enfant de jouer et impactent son attention. La spécialiste alerte en particulier sur les petites comptines, les jeux estampillés éducatifs. "Ils sont vendus avec ces messages marketing. Les parents n'en sont pas conscients, ils pensent même bien faire pour leur progéniture". Ainsi, 70 % des parents installent leur enfant devant un écran, car il serait "éducatif ", et 76 % d'entre eux pensent le préparer au monde de demain.

Un phénomène en hausse constante

Des chiffres qui interpellent Anne-Lise Ducanda. "Les tout-petits ont besoin avant tout d'interactions fréquentes et de qualité avec leurs parents. Cela permet de créer le lien d'attachement. Ils ont aussi besoin d'explorer le monde en 3D avec leur propre corps, sans être sur-stimulés par les écrans. C'est une question de sécurité émotionnelle et affective pour le bon développement du cerveau", explique-t-elle.

Le médecin, l'affirme, le phénomène "ne cesse d'augmenter". "De plus en plus d'enfants sont en difficultés (sept fois plus en quinze ans) et ont besoin d'aide. Certains passent plus de quatre heures par jour, devant un écran donné par le parent", remarque-t-elle.

Le confinement a aggravé les choses. "Les parents étaient rendus indisponibles par le télétravail. Les écoles étaient fermées et les enfants à la maison alors, ils ont eu recours aux écrans. Quand l'exposition aux écrans devient trop grande, il y a risque d'addiction : l'enfant ne peut plus s'en passer", poursuit Anne-Lise Ducanda. 

Il y a des cas où l'enfant se tape la tête au sol, au mur ou bien sur le smartphone quand on lui enlève l'écran des mains.

Anne-Lise Ducanda, médecin

à rédaction web France 3 Aquitaine

Anne-Lise Ducanda insiste sur le fait que "les parents ne doivent pas gronder leurs enfants s’ils sont trop sur leurs écrans. Ce n’est pas leur faute et ce n’est pas non plus la faute des parents".

"Les écrans sont puissamment addictifs, car ils offrent au cerveau humain ce qu’il adore et recherche : du plaisir sans effort.

Ils stimulent dans le cerveau de l’enfant le circuit de la récompense, ce qui entraine la synthèse de DOPAMINE, le neurotransmetteur du plaisir. Le cerveau de l’enfant va tout faire pour avoir sa « dose » d’écran.

L’enfant et l’ado ne peuvent pas de réguler tout seul, il a besoin de ses parents."

Quand l'écran des parents pose souci

Dans bien des cas, l'écran que regarde l'adulte pose aussi un problème. C'est-à-dire que les parents sont physiquement présents à côté de leur enfant, mais absorbés par leur écran, ils sont absents émotionnellement et psychiquement. C'est ce que l'on appelle la technoférence, l'interférence de l'outil numérique dans la relation humaine.

Anne-Lise Ducanda est l'auteure de "Les tout-petits face aux écrans, comment les protéger ?" aux éditions du Rocher. Un chapitre de son livre est également consacré aux enfants de 6 à 18 ans pour lesquels cela pose d'autres problèmes.
"Je ne pensais pas que les écrans pouvaient provoquer de tels troubles et retards intellectuels. C'est incroyable, mais tout cela est évitable ! Ce ne sont pas des troubles irréversibles.", rassure-t-elle. 

Sevrage

La durée de sevrage dure une semaine en moyenne, mais dépend de l'enfant. Parfois, la situation s'aggrave durant le sevrage, mais après ça redevient normal, prévient le docteur. Chez les enfants plus grands, âgés de 11 à 14 ans, le temps d'écran est de 8 h 30 par jour, selon une étude récente Ipsos avec des risques de dépression, tentative de suicide et mutilation qui augmentent.

Le temps d'écran moyen par jour est de 3 h 11 entre 0 et 2 ans ; de 3 h 40 entre 3 et 6 ans ; de 4 h 40 entre 7 et 11 ans ; de 8 h 30 entre 11 et 14 ans, et de 10 heures entre 15 et 17 ans. Cette étude ne tient pas compte de la télévision allumée en permanence.

Défi 10 jours sans écrans

Plusieurs communes et écoles participent au défi 10 jours sans écrans. C'est notamment le cas de la ville de Bordeaux : 3 000 élèves vont essayer de se déconnecter entre le 2 et le 11 mai.

La municipalité a par ailleurs édité deux livrets sur la surexposition aux écrans pour aider les professionnels de la petite enfance et les parents. Anne-Lise Ducanda a participé à la rédaction de ces guides très utiles qui donnent des clés aux parents pour s'en sortir, ou éviter l'addiction.

"Dix jours sans écrans, ce n'est pas assez, mais cela permet de sensibiliser les parents aux dangers des écrans qui captent l'attention réflexe, ça bouge, ça fait du bruit. Tout le contraire de la concentration qui demande de faire abstraction aux bruits alentours. Et à écouter l'enseignant", estime-t-elle.

Le docteur Ducanda évoque également des cas d'enfants qui "chantent dans la cour de récréation des comptines ou des chansons entendues sur les écrans sans comprendre le sens des mots qu'ils répètent"...

Enjeu de société

Trois lois ont été votées en mars à l'assemblée nationale. Une d'entre elles concerne la surexposition des tout-petits, la deuxième instaure une majorité numérique à 15 ans, avant, il faut un accord parental pour accéder aux réseaux sociaux. Enfin, la troisième concerne le respect de l'image de l'enfant.

Selon Anne-Lise Ducanda, "il y a une prise de conscience de la société. Aux États-Unis, des adolescents veulent se déconnecter en laissant de côté les smartphones et se remettent aux jeux de société ou même au tricot."

Recommandations

Entre 6 et 18 ans, le médecin recommande de limiter les écrans à une heure par jour, ou mieux, de limiter à deux heures le mercredi et le samedi et dimanche. Autre suggestion : faire un emploi du temps comme celui de l'école avec les créneaux écrans et les autres activités. "Je recommande aussi aux enfants de dresser une liste des activités que l'enfant aime", poursuit-elle.

Pour les 0-6 ans, surexposés aux écrans, arrêt total des écrans, et retirer les jouets lumineux et sonores. Couper la télévision en arrière-plan. Et les parents vont sur leurs écrans quand les enfants sont couchés ou bien à l'école.

Pour les 0-6 ans, quand l'enfant va bien, zéro écran jusqu'à 3 ans. Entre 15 et 30 minutes par jour entre 2 et 6 ans. Mais le mieux : aucun écran jusqu'à 6 ans pour éviter d'en donner le goût.

La règle d'or pour les parents (les quatre pas de Sabine Duflo, psychologue) : pas d'écran le matin, pas d'écran au repas, pas d'écran avant d'aller se coucher, pas d'écran seul dans sa chambre. Toujours vérifier l'âge recommandé du jeu et du film.

Autre règle suggérée par le Dr Ducanda : pas de smartphone avant 15 ans.  "C'est trop dangereux.  À la place, les parents peuvent acheter un téléphone à touches pour simplement téléphoner." Une tendance qui s'installe dans de nombreuses familles

Anne-Lise Ducanda est membre fondateur du collectif COSE, www.surexpositionecrans.org

►Voir la vidéo de Anne-Lise Ducanda diffusée par nos confrères du Figaro :

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