Manier la bêche et le rateau... une alternative à la récidive. Bientôt dans la Vienne, une ferme dédiée au maraîchage bio accueillera des détenus en fin de peine. L'objectif est de préparer leur sortie, de favoriser leur emploi futur et leur retour au sein de la société.
Pour l'instant encore derrière les barreaux... des détenus de Poitiers Vivonne (et d'ailleurs) pourront bientôt travailler sous les arceaux de cette serre, planter des carottes et des pommes de terre nouvelles. Petit à petit, le projet de ferme bio prend forme. La formule a été éprouvée ailleurs, la culture maraîchère est un outil efficace pour la réinsertion.
Se remettre dans le rythme
"Il y a l’aspect saison qui redonne des notions de temps qui passe..." Antoine Leblanc sera chargé d'encadrer les futurs résidents. Il occupe aussi le poste de chef des cultures, c'est lui qui décide ce qui sera cultivé et à quel moment. "Quand on fait du maraîchage, on voit les légumes qui poussent. Le temps de légumes n’est pas forcément le temps des humains et la répétition est assez intéressante."
Pour l'instant, à ses côtés, pas encore de détenus, mais trois salariés en réinsertion. Michel Garrilot est heureux de renouer avec un rythme actif : "Il y a une bonne ambiance ici, c'est très bien. Ca fait du bien, ça faisait un bon moment que je n'avais pas travaillé ! Et c'est agréable de travailler dehors".
C'est l'autre intérêt du maraîchage pour les personnes qui sortent de détention. Après des années d'enfermement, ils vont toucher la terre, ré-éprouver leur corps et les sensations qui vont avec.
Être dehors, voir au loin l’horizon, être au contact des éléments ! Quand il pleut, il pleut. Quand il fait froid, on a froid. Quand il fait chaud, on a chaud. Et physiquement, c’est un travail qui permet de se dépenser.
Antoine Leblanc, encadrant, chef des cultures
Dernier atout majeur du maraîchage selon lui, la variété des journées : "Il y a une multitude de taches sur lesquelles on peut monter en compétence assez rapidement. Et donc on peut trouver des taches qui vont à tout le monde et tout le monde peut trouver des compétences, exprimer des compétences et gagner en confiance."
A la racine de ce projet de réinsertion, Bruno Vautherin compte transformer ces trois anciennes fermes et leur hameau en un lieu de vie et de travail pour une douzaine de détenus
Inspiré par la ferme de Moyembrie, qui existe depuis une vingtaine d'années en Picardie, il est donc parti à la recherche d'un lieu propice dans la Vienne. C'est par l'intermédiaire d'un agent immobilier qu'il a déniché ce hameau de Maisoncelle. L'achat n'a pas été simple à organiser, mais avec le concours de la Solifap (issue de la Fondation Abbé Pierre) la transaction s'est concrétisée.
En Nouvelle Aquitaine, a été créée une structure similaire, proposée cette fois aux femmes. Elle est située à Baudonne, dans les Landes.
Le dispositif de Maisoncelle, Loïc Naël, directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Vienne, en suit la préparation depuis plus de deux ans déjà. Il est optimiste sur la réussite à venir. Pour lui, c’est un beau projet, qui correspond à un besoin qu’on avait sur le territoire du Nord de la Nouvelle-Aquitaine. Le modèle de la ferme a déjà fait la preuve de son efficacité.
Ce qu’on voulait, qui est nouveau par rapport aux autres fermes, c’est qu’on va mixer les publics. Aux côtés des détenus, seront aussi accueillis des salariés, également en réinsertion. Ca permet de travailler sur le partage, le vivre ensemble, la vie en société.
Loïc Naël, directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Vienne
Un environnement propice à l'apaisement
Dans ce mini-village, aucune construction récente, que des vieilles pierres, volets en bois, grands arbres et les terrains autour. Le lieu procure un apaisement immédiat, la nature est partout à portée de vue. Ecureuils et chevreuils s'aventurent souvent devant les fenêtres.
"On aura jusqu’à huit chambres pour les détenus, des chambres avec douche et sanitaires. Quatre dans une maison, quatre dans une autre. et puis sur la deuxième partie du hameau, on envisage de créer quatre studios, avec aussi une petite kitchenette."
L'idée c'est de se réhabituer à l’autonomie, de retrouver des repères, ceux de la vie à l’extérieur tout simplement.
Bruno Vautherin, initiateur du projet, directeur de la Ferme de l'Air Libre
Seul le repas du midi est à prendre tous ensemble, détenus, encadrants, salariés et bénévoles, pour favoriser la cohésion de ce groupe où se mélangent différents profils. L'objectif est de permettre à ceux qui sortent de détention de côtoyer d'autres personnes, et d'établir des liens progressivement.
Bruno Vautherin précise : "Il faut avoir en tête que pour beaucoup, il y a la peur de sortir de détention. C'est un environnement très codifié, on est soumis au bon vouloir du système. Une des premières choses sur laquelle on travaille, c'est retrouver des repères, dans un lieu ouvert."
Encore trop souvent, les actions menées "au profit" des détenus suscitent de vives réprobations, à l'image de la longue polémique sur l'activité karting organisée au sein de la prison de Fresnes l'été dernier. Pour Bruno Vautherin, "les gens pensent la prison avant tout comme une punition. Ils imaginent l'entrée en prison, le pain noir. Mais jamais la sortie." Or les personnes enfermées vont revenir dans la société. Dans quel état ? Avec quel projet ?
Loïc Naël n'a pas de chiffres ou de statistiques à produire car la mesure de la récidive n'est jamais simple à évaluer, à quantifier. "L’important ce sont les parcours qui s’enclenchent".
Préparer une sortie en douceur
Chaque détenu est choisi sur dossier, pour un séjour de six mois minimum, jusqu'à 18 mois si nécessaire. Une vingtaine de candidatures de toute la France a déjà été reçue. Mais seulement trois ou quatre correspondent aux critères pour le moment. Parmi les conditions, ne pas avoir de difficulté psychiatrique importante, être motivé et apte à la vie en collectivité. Mais le principal impératif, c'est avant tout d'être en fin de peine, et de pouvoir bénéficier d'un aménagement.
Bruno Vautherin n'avait pas la réinsertion comme projet de carrière mais c'est venu dans son parcours par conviction. Pour lui, cette future ferme, c'est un moyen de lutte contre la récidive.
J’ai pris conscience qu’il y avait en France un vrai sujet sur le retour à la liberté des personnes détenues. La prison c'est quand même une machine qui a un petit peu tendance à broyer les gens, à les empêcher de retrouver une place alors que, de fait, ce n’est censé être qu’un passage.
Bruno Vautherin, initiateur du projet, directeur de la Ferme de l'Air Libre
Les détenus choisis signeront une convention individuelle, un engagement à respecter le cadre et les règles de vie établies.
Le milieu est ouvert, mais les sorties contrôlées. Le maître-mot c’est la responsabilisation, le but c'est que les gens soient maîtres de la fin de leur peine, de leur parcours.
Loïc Naël, directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Vienne
Outre l'encadrement fourni par l'association qui gère la ferme, les autorités pénitentiaires sont pleinement impliquées : l'accompagnement des détenus se prolonge, notamment grâce à une permanence régulière, et délocalisée, d'un conseiller de probation.
Changer de regard
A quelques kilomètres de là, au village de Lusignan, le projet n'est pas encore connu de tous, mais l'idée semble favorablement reçue.
C'est vrai que notre chance c'est que l'on se situe sur le même territoire que le Centre Pénitentiaire de Poitiers Vivonne. Les élus locaux sont parties prenantes et il n'y a pas d'opposition de principe.
Loïc Naël, directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Vienne
Les habitants rencontrés (à qui l'on a expliqué le projet en deux mots) sont effectivement confiants : "Si on les met en réinsertion, c'est qu'ils sont en bonne voie déjà...". "Je trouve que c'est une bonne idée, c'est une manière de les insérer dans la vie active. Si ce sont des personnes motivées, c'est normal de leur laisser leur chance".
Pour achever de convaincre, Bruno Vautherin a prévu une réunion d'information avec les habitants, et des portes ouvertes. Les premier détenus accueillis sont attendus pour janvier prochain.
Même si les personnes qui viennent ici sont encore sous écrou, au sens judiciaire, à partir du moment où elles viennent ici, elles deviennent résidents de la ferme Emmaüs Maisoncelle, c’est leur projet, notre projet, de préparer le retour à la liberté et donc de ne plus être étiquetées détenues
Bruno Vautherin, initiateur du projet, directeur de la Ferme de l'Air Libre
Parce que les mots ont leur importance pour redevenir libre comme l'air...
Reportage de Marie-Ange Cristofari et Dounia Sirri
Reportage de Marie-Ange Cristofari et Dounia Sirri