Le département de la Vienne et Grand Poitiers, les deux acteurs du syndicat mixte de l'aéroport de Poitiers-Biard expriment des visions diamétralement opposées concernant l'avenir de la structure. En séance comme en coulisses, les positions se tendent sur fond de baisse drastique du trafic en 2020.
Côté scène et côté public, voilà le constat, le syndicat mixte de l'aéroport a voté le budget d'environ deux millions d'euros alloué à l'aéroport. Le département de la Vienne est largement majoritaire dans cette instance. Il faut dire qu'il apporte 65% du budget total alors que la participation de Grand Poitiers est de 35%. Les représentants de Grand Poitiers et l'élue d'opposition au conseil départemental se sont prononcés ce lundi 15 mars contre ce budget. Pour eux, l'aéroport ne serait pas viable et surtout il "ne répond pas aux attentes des habitants de l'agglomération poitevine". La crise du Covid qui a entraîné une baisse du trafic passager de 76% en 2020 pourrait être, à leurs yeux, l'occasion de remettre en cause à la fois le contrat signé en 2019 avec l'exploitant Sealar et la pérennité de la structure.
Le contrat d'objectifs de l'exploitant, Sealar, revu à la baisse
Pour Florence Jardin, la présidente de Grand Poitiers, le contrat obligeant la collectivité communautaire à verser un investissement de 760.000 euros par an au syndicat mixte sera respecté mais il n'est pas question d'aller plus loin, notamment pour sauver l'aéroport. C'est la ligne que le conseil communautaire de Grand Poitiers s'est fixé lors d'une réunion en fin de semaine dernière.
Nous avons un contrat qui nous oblige et que nous respectons, en revanche, nous avons voté vendredi soir pour ne pas mettre plus d'argent et pour attendre avant de réviser les objectifs d'une compagnie dont on se doute qu'elle aura de grandes difficultés.
Face à la crise et à la baisse drastique du nombre de passagers provoquée par la pandémie de Covid, l'exploitant Sealar avait demandé au syndicat mixte de revoir à la baisse les objectifs qui lui avaient été fixés en 2019 pour conserver sa délégation d'exploitation en 2026. Ce contrat de délégation, signé pour 12 ans en 2019, obligeait Sealar à réaliser une hausse de 55% du trafic passagers d'ici 2032 avec un point d'étape en 2026, au cours duquel la délégation d'exploiter pouvait être retirée par le syndicat mixte si l'évolution de trafic était inférieure de 25% par rapport aux chiffres prévus. Cet objectif apparait désormais impossible à tenir et malgré l'opposition des élus de Grand Poitiers, la majorité des membres du syndicat mixte a accepté cette révision à la baisse du contrat, en fixant un seuil minimum à respecter de 38.611 passagers par an.
"Le Covid ne doit pas être un prétexte pour fermer l'aéroport"
Du côté du département et de Pascale Moreau, la présidente du syndicat mixte, la crise du Covid ne doit en aucun cas servir de prétexte à la fermeture de l'aéroport.
Nous avons deux visions fortement divergentes. D'un côté, vous avez une vision qui voit avec le Covid, une opportunité pour mettre un terme aux activités de l'aéroport et d'un autre, nous avons la vision départementale, que je porte, de prospective, d'innovation et de développement de cet outil d'aménagement du territoire.
Pour Pascale Moreau, l'aéroport de Poitiers est soumis aujourd'hui aux mêmes difficultés que tous les aéroports de France et d'ailleurs. Elle fait, en outre, remarquer que "la baisse de fréquentation de 76% pour 2020 est inférieure à la moyenne de 85% enregistrée au niveau national". L'élue qui est également maire de la Roche-Posay et vice-présidente du département en charge de l'aménagement du territoire se montre résolument optimiste.
Cet aéroport, c'est un outil d'attractivité qui représente une centaine d'emplois sur le site, c'est aussi une obligation de service public avec la ligne vers Lyon à vocation de désenclavement économique, donc avec cet aéroport il faut être au rendez-vous de la reprise. Il n'est pas menacé, l'aéroport aura l'avenir que les membres du syndicat voudront bien lui donner. Nous avons un exploitant qui n'a pas démérité et qui a été choisi en fonction de sa capacité à faire de la proximité.
"Les habitants nous parlent de bus, de pistes cyclables jamais d'aéroport"
L'obligation de service public concernant la ligne La Rochelle-Poitiers-Lyon court jusqu'en 2023. Aux yeux des élus de Grand Poitiers, cette échéance doit être l'occasion de se poser la question du choix des modes de transport.
Doit-on continuer à y mettre de l'argent que l'on demande aux contribuables, et est-ce qu'il n'y a pas d'autres moyens de se déplacer, surtout si, demain en 2023, l'Etat nous dit que nous n'avons plus l'obligation de service public pour la ligne vers Lyon. Aujourd'hui, les usagers de Poitiers n'utilisent pas l'aéroport. Aujourd'hui, les habitants nous parlent de bus, de pistes cyclables, ils ne nous parlent jamais de l'aéroport.
Le département déplore que Grand Poitiers n'ait pas relayé la demande d'implantation d'une société d'hélicoptères
Côté coulisses, la bataille est tout aussi vive. La polémique se cristallise autour d'un projet proposé par la société Héli-Union spécialisée dans la formation de pilotage des hélicoptères et qui est déjà installée sur l'aéroport de Brie Champniers, près d’Angoulême. Au début du mois de février, cette société s'est portée candidate par le biais de l'Agence de Développement et d'Innovation de la région Nouvelle-Aquitaine pour implanter un centre de formation sur le site de Poitiers-Biard, avec l'apport d'environ 70 emplois à la clé. Face à notre caméra de France 3, la présidente du syndicat mixte s'est dite très étonnée que ce projet ne soit jamais parvenu à la connaissance des élus du département.
Il y trois semaines, j'ai posé la question à mes homologues élus de Grand Poitiers, manifestement personne n'était au courant, ce qui m'a quand même étonnée. Aujourd'hui, j'ai reposé la question, on me parle d'une note en préparation. Je pense qu'un dossier de cette envergure (il y a quand même 70 emplois à la clé) n'est pas neutre, et est aussi l'occasion d'utiliser cette plateforme aéroportuaire pour faire quelque chose qui va dans le sens de l'attractivité. Je suis désolée et dubitative quant au manque de transparence sur ce dossier envers la présidente que je suis. Je trouve ça fortement regrettable pour Poitiers, pour Grand Poitiers et pour la Vienne.
Pour Pascale Moreau, les élus de Poitiers et de Grand Poitiers essaient ni plus ni moins d'enterrer ce projet qui leur a été communiqué par le biais de la région Nouvelle-Aquitaine. Pour sa part, Florence Jardin explique attendre une note de ses services et affirme que ce projet n'est pas parvenu "officiellement en discussion devant Grand Poitiers". Elle affirme, en outre, que ce projet n'en est qu'un parmi d'autres.
Il y a des listes de gens qui cherchent à s'implanter à Grand Poitiers. Mais il faut aussi regarder l'impact en termes de nuisances. Des vols d'hélicoptères en permanence avec un aéroport très enclavé dans le tissu urbain, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne opportunité. En plus, on a très peu d'infos, on sait à peu près les contours du projet. Ce n'est pas venu officiellement en débat au niveau de Grand Poitiers.
Une chose semble, en revanche, quasiment inévitable, cet épisode risque de tendre désormais les rapports entre l'agglomération et le département, partenaires au sein du syndicat mixte de l'aéroport.
Reportage de Marine Nadal, Alexandre Keirle et Thierry Cormerais
Accord sur la nécessité de conserver la desserte aérienne du CHU
Un point rassemble néanmoins la communauté urbaine et le département. Les deux collectivités s'accordent sur la nécessité de maintenir l'activité aérienne destinée au CHU. "Il y a près d'une centaine de vols sanitaires par an pour les greffes et les équipes médicales et bien entendu avec le Covid, c'est très important" constate Pascale Moreau.
Une priorité que souligne aussi Florence Jardin. "C'est le point n°4 que nous avons voté vendredi. Nous n'avons pas dit qu'il ne fallait plus du tout de trafic. Nous avons dit qu'il fallait regarder quels sont les trafics adaptés. Bien entendu, le CHU est une urgence et un impératif. En revanche, ce ne sont pas du tout les mêmes investissements pour accueillir des petits vols pour les greffes ou les transports sanitaires que pour accueillir des transports de tourisme ou d'affaires".
Florence Jardin, présidente Divers Gauche de Grand Poitiers