Ce mardi 5 octobre, la commission Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église publie son rapport. Éric Boone fait partie des 250 victimes entendues lors des auditions. Pour France 3, ce Poitevin de 49 ans retrace le fil de son histoire et expose ses attentes quant à la publication du rapport.
C’est un témoignage aussi touchant que douloureux. Celui d’Éric Boone, un habitant de Poitiers (Vienne), âgé de 49 ans. "Un frère dominicain proche de ma famille a commis des crimes sexuels à mon égard", livre-t-il aujourd’hui sur des faits commis alors qu’il était adolescent au début des années 1980.
À l’époque, il vit depuis quelques années à Toulouse (Haute-Garonne) avec sa famille. Il reçoit une éducation catholique : catéchisme, scoutisme, profession de foi et confirmation. Le jeune garçon de 12 ans passe beaucoup de temps au couvent des Dominicains de Rangueil.
"Lors d’une retraite pour la profession de foi, je ne sais pas trop pourquoi, mais je passe la nuit dans son lit", se remémore-t-il. "Il ne se passe pas grand-chose. Deux, trois caresses. J’ai le souvenir qu’il porte une chemise de nuit très courte et que ça me perturbe pas mal. Je passe la première nuit blanche de ma vie, je ne sais pas ce qu’il va m’arriver."
Des agressions sexuelles répétées
Un peu plus tard, le frère l’emmène marcher dans les Pyrénées-Orientales. "Les faits se déroulent au pied du Pic du Carlit, au bord d’un lac." Des abus répétés entre ses 12 et 13 ans.
S’en suivent alors 35 ans de long silence. "Pourquoi s’être tu ?", se questionne-t-il. "J’ai quelques éléments de réponse aujourd’hui mais cela reste une vraie question." Aidé par une psychologue, Éric Boone arrive petit à petit à mettre un mot sur ce qui lui est arrivé : des agressions sexuelles.
"Parler m’a permis de reconstruire ce qui était brisé : la sécurité intérieure, la confiance en soi et l’immense culpabilité". Avant de compléter, plein d’espoir : "Aujourd’hui, je peux dire que je vais bien."
"Mon silence m’a sauvé"
Pour Éric Boone, son silence l’a protégé. Il se rappelle : "Mon agresseur m’a demandé ‘est-ce que ça t’a plu ?’, comme dans un mauvais film américain. Face à cette question, c’est mon silence qui m’a sauvé. Je n’ai pas voulu rentrer dans le piège. Si je disais oui, il recommençait immédiatement. Si je disais non, j’étais parti pour de longues explications inutiles et déplacées. Devant la violence du choc que peut être une agression sexuelle, on garde cette protection aussi longtemps qu’il le faut."
Pour sortir de ce silence, il n’a pas hésité à répondre à l’appel à témoins lancé par Jean-Marc Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église. En juin 2019, il devient alors la première victime auditionnée par la commission. "J’ai eu le sentiment d’être écouté profondément et longuement, avec beaucoup de respect et de délicatesse", se rappelle-t-il, précisant que l’audition a duré un peu plus de deux heures.
Je suis ressorti [de l'audition] en paix avec moi-même. Un vrai moment fondateur.
Pendant deux ans et demi, la commission recueille des milliers de témoignages, dont 250 lors d’auditions. "Les autres victimes et moi-même avons apporté une minuscule pierre dans cet immense travail de la commission."
"On ne pourra plus dire qu’on exagère"
Le Poitevin attend beaucoup du rapport de la commission Sauvé, publié ce mardi 5 octobre. "On ne pourra plus dire que ça n’a pas eu lieu, on ne pourra plus dire qu’on exagère. Maintenant il y a un objet tangible qui rappelle cette histoire."
Tout à coup, ma petite histoire prend sens dans une histoire plus large, qui est celle de l’histoire de l’Église dans la deuxième moitié du XXème siècle. Symboliquement c’est très fort.
Il espère notamment "un vrai passage à l’acte" des évêques et des supérieurs religieux. C’est-à-dire, "passer d’une écoute à des actes concrets dans le mode de gouvernance des diocèses et des communautés religieuses. Il faut changer le statut de la parole de l’Eglise. C’est toute une longue réflexion."
Des dizaines d’années après ces faits qui l’ont meurtri, Éric Boone revient sur ce qui a été le plus difficile pour lui : "sortir de ces 35 années de silence auprès de mon épouse et de mes enfants". Mais aujourd’hui, il voit cela comme "un chemin de réconciliation avec soi-même".
Éric l’assure, le drame qu’il a vécu n’a pas entaché sa foi, ça l’a transformé. "Cela questionne mon lien avec l’Église", analyse celui qui est aujourd’hui chargé de mission dans l’enseignement catholique. "Cela m’oblige à sortir d’une relation trop infantile avec l’institution. Mais je reste un fils de l’église catholique, c’est là que j’ai grandi et c’est là que ma vie prend sens."