Six fédérations syndicales ont appelé à la grève ce mardi 26 janvier dans l'Education nationale, du primaire à l'université. Revalorisations salariales, gestion de la crise sanitaire, manque de postes mais aussi remise en cause des REP, les raisons de la colère sont nombreuses.
Les enseignants et les personnels de l'Education nationale se disent aujourd'hui épuisés face aux incertitudes, à la surcharge de travail et aux difficultés engendrées par la crise sanitaire. Ils dénoncent, pêle-mêle, les protocoles sanitaires fluctuants et impossibles à appliquer correctement dans de très nombreux établissements, le manque de transparence de la part du ministère sur les chiffres de contamination et l'absence de perspectives pour pouvoir s'organiser.
Une revalorisation plus large des salaires
Les enseignants se mobilisent aussi aujourd'hui pour demander "des mesures significatives de revalorisation des salaires et des carrières". Dans le cadre du Grenelle de l'éducation qui doit s'achever en février, Jean-Michel Blanquer a annoncé qu'une enveloppe de 400 millions est prévue pour l’année 2021. Elle va permettre une revalorisation essentiellement centrée sur les plus bas salaires occupés par de jeunes enseignants. Les organisations syndicales jugent cette mesure largement insuffisante et espèrent une politique de revalorisation plus large. Les salaires des enseignants français sont inférieurs de 7% en début de carrière à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
67% de grévistes au collège Ronsard de Poitiers
Selon les syndicats, au collège Pierre de Ronsard de Poitiers, les enseignants sont en grève à 67%, ce mardi, ainsi que les 2/3 des personnels de la vie scolaire. Cette importante mobilisation traduit une crainte particulièrement forte dans ce collège, situé dans le quartier des Trois-Cités à Poitiers, celle de la suppression de la carte des établissements classés en REP (Réseaux d'Education Prioritaire). Une expérimentation de la réforme va être menée dans trois académies à la rentrée prochaine (Lille, Marseille et Nantes) avant une possible généralisation en 2022 à toute la France. Avec la suppression des réseaux d'éducation prioritaire, le ministère de l'Education nationale prévoit que chaque rectorat pourra redistribuer, selon ses propres choix, les crédits accordés à l’éducation prioritaire en prenant en compte les besoins et les projets des établissements scolaires, y compris ceux de l'enseignement privé catholique. Les établissements sélectionnés passeront alors un contrat de trois ans avec l'académie dont ils dépendent. Pour le gouvernement, cette réforme permettra d'aider les "établissements isolés" dans les zones rurales.
La suppression des REP est "injuste et dangereuse"
Pour Elise Baysse, professeur d'espagnol au collège Ronsard de Poitiers et syndiquée au SNES-FUS, cette "réforme est injuste."
La suppression des REP peut être très dangereuse aux niveaux politique et social dans les zones les plus fragilisées et qui ont été les plus durement touchées par la crise sanitaire. La politique de l'éducation prioritaire a été mise en place en 1981 pour lutter contre les inégalités sociales. Elle a été relancée en 2005 après les émeutes de banlieues, il serait dangereux de la supprimer pour faire un saupoudrage sur d'autres établissements.
Si les REP sont supprimés "plus rien ne sera sanctuarisé comme avant" s'inquiète Elise Baysse qui voit dans cette disparition la menace d'une hausse du nombre d'élèves par classe et la baisse du nombre d'enseignants et des moyens pour son collège.
Ce sera préjudiciable pour tous. Les moyens donnés aux autres établissements, les ruraux en particulier, ne doit pas se faire au détriment des REP.
Des protocoles sanitaires impossibles à appliquer
Comme la majorité de ses collègues, Elise Baysse est en grève et dans la rue pour manifester aujourd'hui. Elle veut affirmer son attachement à l'Education prioritaire dans les quartiers les plus défavorisés mais aussi demander une véritable politique d'augmentation des salaires pour tous les enseignants du premier et du second degré et un protocole sanitaire face à la crise du Covid plus réaliste.
Ce qui est difficile c'est l'accumulation des protocoles impossibles à appliquer comme la distanciation physique dans un collège de 700 élèves. On a 25 élèves par classe qui sont à côté les uns des autres, on aménage les récréations et les services à la cantine. C'est très compliqué en réalité.
Pour diminuer les risques de contamination, les élèves restent toujours dans la même classe et seuls les professeurs se déplacent. Pour Elise Baysse, qui est professeur d'espagnol, cette organisation ne bouleverse pas son enseignement mais il en va tout autrement pour ces collègues, professeurs de technologie par exemple et pour tous ceux qui ont besoin de matériel spécifique dont ils ne disposent plus depuis plusieurs mois.
Un grand nombre de collègues sont en arrêt même des collègues qui n'étaient pas fragiles au départ. Quand on ne peut pas faire son métier correctement et qu'on n'a pas de perspective, c'est ce qui est le difficile.
Masque inclusif et micro pour faire cours
Si changer de classe à chaque heure de cours n'est pas un problème pour cette professeure d'espagnol, il en va tout autrement du port du masque, imposé à tous, adultes et élèves. C'est un vrai handicap pour l'enseignement des langues, nous explique l'enseignante.
C'est très compliqué d'apprendre une langue étrangère à des enfants tout en portant un masque. A Ronsard, nous avons de la chance quand même, l'établissement a acheté très tôt des masques inclusifs pour les professeurs afin que les enfants puissent voir notre bouche. Nous avons aussi des micros. Avec un masque, il faut plus forcer sa voix pour faire cours, on commençait à tous avoir des voix fatiguées.
"Depuis mars, on se débrouille"
Ces solutions, faisant un peu appel au système D, apportent un peu de confort et permettent aux enseignants de continuer à faire leur métier face à leurs classes.
Depuis le mois de mars, on se débrouille. C'est la débrouille mais ce qui nous fait tenir c'est la joie des enfants d'être en classe. Ils n'ont qu'une seule peur, c'est de se retrouver seuls chez eux sans pouvoir venir à l'école.
Cette crainte des élèves est largement partagée par leurs enseignants pour qui l'enseignement à distance a montré ses limites. Là encore, Elise Baysse considère cependant que son établissement qui compte environ 700 élèves dispose d'un vrai atout. Des tablettes y ont été distribuées à chaque enfant, mais "l'équipement numérique ne suffit pas. Souvent les conditions de vie des familles ne sont pas propices au travail à distance, beaucoup vivent très nombreux dans des petits appartements ou n'ont pas de connexion".