Poitiers. Dans la Vienne, l'eau potable au robinet se révèle une ressource très fragile

Les épisodes de sécheresse l'été ont révélé les difficultés croissantes à produire une eau potable au robinet en qualité et en quantité suffisantes. Elus et scientifiques appellent à une prise de conscience collective pour préserver les ressources en eau et éviter une hausse du prix au robinet.

Ouvrir le robinet, remplir un verre d'eau et le boire en toute sécurité sanitaire, ce simple geste du quotidien pourrait s'avérer plus compliqué à réaliser dans les prochaines décennies. Notamment, dans la Vienne.

L'eau potable au robinet provient des eaux souterraines, des nappes phréatiques, et, de celles des rivières, des eaux dites brutes potalisables, aujourd'hui de plus en plus polluées par les activités humaines, dont l'agriculture. Les taux en nitrates, en pesticides et, désormais, de certains herbicides, ne baissent pas. Parfois même, ils augmentent au-delà des taux maximum autorisés.

Si on ne met pas en place des programmes d'actions pour réduire les nitrates et les pesticides dans les eaux brutes, on va avoir de plus en plus de difficultés à produire de l'eau potable, sans traitement, et malheureusement, les traitements coûtent très chers.
- Y. Robert, Agence Régionale de la Santé

A la source de Fleury, à Lavausseau, à quelques kilomètres de Poitiers, le taux maximum de nitrates de 50mg par litre a été dépassé un tiers de l'année, en 2019. Soit l'équivalent de 130 jours. Avec des pointes, parfois à 59,5 mg/l. Actuellement, Grand Poitiers dispose d'une solution pour garantir la qualité de l'eau : les mélanges de différentes sources d'eau brutes.

Pomper l'eau propre plus profondément

"On va pomper plus profond dans une nappe sous celle de la source de Fleury, à 50 mètres de profondeur", explique Céline Lelard, responsable de la production en eau potable à Grand Poitiers. "C'est une eau sans nitrates. On va la mélanger à celle des eaux de Fleury, sur le site de captage."

Une nouvelle installation, fraîchement sortie de terre sur le site de Fleury, permet de puiser dans cette nappe plus profonde, dite de l'infratoarcien. Le débit y est assez faible, de l'ordre de 40 m3/h. Cette première dilution permet de "baisser la concentration en nitrates de 1 à 3mg/l", poursuit Céline Lelard. "Notre souci est que cette dilution reste encore parfois insuffisante."

Un second mélange avec les eaux du Clain se révèle donc nécessaire, plus loin, à la station de Bellejouane (Poitiers Sud) pour obtenir une eau dans les normes sanitaires. Pour l'instant, à Poitiers, de l'eau dans les normes est livrée au robinet toute l'année. Mais lors de périodes de fortes sécheresses, comme l'été dernier, ces mélanges ont été rendus beaucoup plus complexes à réaliser.

"Cette solution des mélanges ne pourra durer éternellement, il est nécessaire de prendre des mesures", lance Alain Claeys, maire de Poitiers et président de Grand Poitiers.

Vers des usines de traitements des pesticides ?

Des programmes, dits Re-Sources, avec le monde agricole existent mais les résultats restent, à ce jour, décevants. Ils n'ont pas permis de baisser significativement les taux en polluants dans les eaux brutes potalisables. A la demande de l'agglomération de Poitiers, la préfecture de la Vienne vient de soumettre le site de Fleury à des contraintes environnementales fortes. Isabelle Dilhac, préfète en poste à Poitiers jusqu'au 2 février dernier, a engagé le processus de classement de la source en ZSCE, une zone soumise à contraintes environnementales.

"J'ai mis quatre ans à convaincre l'Etat sur ce sujet", poursuit Alain Claeys. Des contraintes fortes pourront désormais être prises pour faire baisser significativement les polluants dans les eaux brutes. "L'enjeu est de fournir de l'eau de qualité de cette nappe, qui fournit 30% de l'eau de Grand Poitiers, et de faire baisser les nitrates!" 

L'enjeu est collossal : continuer de produire de l'eau potable au robinet dans les normes sanitaires et en quantité suffisante. Pour Joël Robert, responsable Santé publique à l'Agence régionale de Santé, sans action forte, on pourrait rapidement arriver à un point de non retour. 

"Si on ne met pas en place des programmes d'actions pour réduire les nitrates et les pesticides dans les eaux brutes, on va avoir de plus en plus de difficultés à produire de l'eau potable, sans traitement, et malheureusement, les traitements coûtent très chers", explique-t-il.

Le sud du département de la Vienne est déjà confronté à cette situation. Une usine de traitement des nitrates et des pesticides a été ouverte à Saint-Pierre d'Exideuil, près de Civray. La construction de l'usine et la rénovation des structures d'acheminement des eaux brutes a déjà un coût important pour les consommateurs : plus de 15 millions d'euros, hors taxes! 

Le monde agricole pointé du doigt

Dans ce dossier sensible de la qualité des eaux brutes potalisables, le monde agricole est souvent pointé du doigt. A son tour, il s'engage, petit à petit. Dans l'ouest de la Vienne, le syndicat Eaux de Vienne noue de nouveaux liens avec les exploitants. A Saint-Martin-l'Ars, des terres récemment rachetées sont désormais louées à des exploitants, avec un cahier des charges et des clauses environnementales à respecter. 
 
Fabrice Bussière, éleveur ovin, fait ainsi pousser du plantin dans un champs où ses brebis seront amenées à paître dès la mi-mars. Le choix de cette plante n'a pas été fait au hasard.

"C'est une plante que j'ai implantée au mois d'août pour ses vertus médicinales", explique l'éleveur. "Elle me permet de diminuer les traitements sur les animaux, contre les strongles, un parasite gastro-intestinal qui attaque les brebis. L'été, le plantin a l'avantage de fournir une quantité de fourrage assez importante, plus importante en tout cas qu'une prairie normale."

Notre objectif reste de reconquérir la qualité de l'eau, tout en maintenant l'activité économique agricole du territoire.
- L. Blanchet, Eaux de Vienne

L'éleveur se retrouve gagnant. Mais son partenaire, le syndicat Eaux de Vienne, également. Son intérêt est de voir les prairies se développer. 

"La prairie permet une bonne structuration du sol", explique Lydie Blanchet, animatrice du programme Re-Sources pour Eaux de Vienne. "Surtout, c'est une protection du sol tout au long de l'année, sur plusieurs années et, qui permet d'avoir moins de traitements à réaliser au moment des cultures."

La logique mise en place par Eaux de Vienne veut allier les intérêts des uns à ceux des autres. "Notre objectif reste de reconquérir la qualité de l'eau", exlique-t-elle, "tout en maintenant l'activité économique agricole du territoire". 

Réduire les transferts vers les eaux brutes

Sur ces terres de l'ouest de la Vienne, les taux en azote et en pesticides demeurent en dessous des normes, mais ne cessent de progresser pour atteindre des niveaux qui pourraient bientôt se révéler inquiétants pour la qualité des eaux brutes potalisables. Pour Eaux de Vienne, il faut "réduire le risque de transfert de la pollution vers la ressource en eau."

"On sait que la prairie est une couverture du sol qui nous permet une protection efficace de nos ressources en eau", analyse Lydie Blancher. "Les maintenir sur les territoires est primodial."

Dans cette zone, l'eau du robinet est fournie par une seule source d'eau : la source de Destilles. Une usine d'ultrafiltration toute proche traite les questions de turbidité de l'eau de cette source, mais s'apprête déjà à s'aggrandir pour traiter les pollutions phyto-sanitaires à la hausse. 

"Les nitrates et les pesticides ne sont pas retenus par nos fibres destinées à traiter la turbidité de l'eau", explique Jean-Philippe Joly, chargé développement du Territoire de Vienne et Gartemps, Eaux de Vienne. "Il faut passer par des technologies différentes. Ici, la partie nitrates est en dessous des normes, tout va bien. C'est aussi pour ça que l'on préfère prévenir et travailler sur un temps long. Sur une démarche de reconquête de la qualité de l'eau en partenariat avec le monde agricole. Y compris pour le volet phyto-sanitaire."

Le milieu naturel purifie l'eau

Et s'il fallait une preuve! A l'affirmation terre propre, eau propre, la réserve du Pinail près de Poitiers apporte une démonstration ancestrale. Dans cette zone naturelle, des sentiers mènent à un espace recouvert de plusieurs centimètres d'eau l'hiver, dans lequel prospèrent une flore et une faune très riches.

Olivier Raynard, responsable de la délégation Poitou-Charentes de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, voit d'un très bon oeil la présence de zones humides à proximité de cours d'eau. 

"On s'aperçoit souvent que des zones humides ont des capacités pour dénitrifier, c'est-à-dire enlever les nitrates présents dans l'eau de façon totalement naturelle", constate-t-il. "Des bactéries au sein des milieux sont capables de transformer les nitrates en azote gazeux."

"Nous avons tout intérêt à préserver de telles zones humides car elles ont cette capacité à stocker l'eau l'hiver et à les restituer vers les cours d'eau l'été," poursuit-il. Une eau donc nettoyée de nombreuses pollutions engendrées par les activités humaines. Olivier Raynard rappelle un constat glaçant : "Dans la Vienne, moins de 20% des cours d'eau sont dans un bon état écologique. Il faut développer des actions pour restaurer l'état écologique des cours d'eau."
Ce constat est partagé par Yann Sellier, chargé de missions scientifiques au Pinail. 

"On a perdu 37% des mares en 30 ans dans la Vienne et 50% des zones humides ! On ne peut pas s'étonner de voir des qualités d'eau qui baissent, parce que tous ces services gratuits (rendus par la nature), on ne les a plus."

Toute l'eau apparemment stagnante sur la réserve, un jour, sera à notre robinet, purifiée par ce milieu-là .

"On se situe dans le bassin versant de la Vienne aval, donc, on est en tête de bassin. Les mares restituent doucement l'eau vers le Rivau d'Aillé, puis vers la Vienne d'un côté et un peu vers le Clain pour un tiers de la zone dans le bassin versant", poursuit Yann Sellier.

Cette année, en plus de la question de la qualité de l'eau se pose aussi celle d'une ressource en quantité suffisante. Dans cette réserve, par exemple, le niveau d'eau, s'il semble élevé, reste en fait 15 cm inférieur à un niveau normal pour un mois de janvier.

Pour ces fins connaisseurs des questions environnementales, il devient urgent de préserver de tels espaces naturels et, même, de les laisser prospérer. Pas seulement pour satisfaire à un possible effet de mode écolo. Mais bien parce que la qualité de l'eau au robinet et à moindre coût en dépend. 

Le reportage de Clément Massé, Louis Claveau et Laurent Gautier. Montage : Bénédicte Biraud.
 
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