StopCovid, l’application pour lutter contre la propagation du virus, fait débat

Mercredi 27 mai, députés et sénateurs examinent le projet de loi sur l’application Stop Covid à l’Assemblée Nationale. Mais l’outil ne fait pas l’unanimité et certains s’opposent à sa mise en service. C’est le cas de Sacha Houlié, député de la Vienne.

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Une application de traçage pour alerter d’un risque de contamination au virus. C’est la fonction première de l’outil StopCovid. Simple d’utilisation, elle permet, grâce au système bluetooth du téléphone, de tracer les personnes qui ont été en contact avec chaque utilisateur, pendant plus de 15 minutes et à moins d’un mètre. Les informations relatives aux personnes sont ensuite stockées pendant deux semaines. Un service d’attribution de pseudonymes permettrait à StopCovid de ne pas révéler l’identité de la personne infectée croisée, et le bluetooth ne permettrait pas la géolocalisation.

Si un utilisateur présente des symptômes, son médecin lui prescrit un test et si ce dernier est positif, la personne dispose d’un QR code à scanner sur l’application afin de tenir au courant toutes les personnes avec qui elle a été en contact et qui pourraient potentiellement être infectées.

Le nom de l’utilisateur ne sera pas transmis, mais l’idée est de pousser les gens à se dépister.
- Cédric O, Secrétaire d'État chargé du Numérique de la République française, dans une interview pour C à vous.

Il faut toutefois avoir installé l’application, sur la base du volontariat, pour être prévenu d’un cas de Covid-19 dans son entourage.

Le projet de loi visant à mettre en service l’application doit être voté ce mercredi et jeudi à l’Assemblée nationale puis au Sénat. La mise à disposition devrait ensuite être effective dès le week-end prochain sur les plateformes d’Apple et Google. L’application a été développée par des chercheurs de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA). La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a déjà donné son feu vert le 25 mai. Elle estime que "l’application peut être légalement déployée dès lors qu’elle apparaît être un instrument complémentaire du dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et qu’elle permet des alertes plus rapides en cas de contact avec une personne contaminée, y compris pour des contacts inconnus". Néanmoins, la CNIL précise que l’utilité réelle du dispositif devra être plus précisément étudiée après son lancement. 

Une application qui divise l’opinion

Mais l’application fait débat. Dans une lettre ouverte du 24 avril adressée aux députés et sénateurs, La Ligue des Droits de l’Homme alerte sur cette application et ses fonctionnalités, notamment sur la protection des données personnelles. "Les risques d’atteinte au respect de la vie privée et au secret médical, les risques de surveillance généralisée au regard d’une efficacité tout à fait incertaine conduisent la Ligue des droits de l’Homme (LDH) à vous demander instamment de vous opposer au projet StopCovid".

En effet, certains députés, comme Sacha Houlié, député de la Vienne, voteront contre ce projet de loi.

Il pourrait y avoir des usages détournés, il faut l’envisager, ça peut être dangereux, j’appellerai les utilisateurs à ne pas la télécharger, je ne l’utiliserai pas et je voterai contre
- Sacha Houlié, dans une interview pour C à vous.

Ses craintes se basent sur plusieurs arguments

Tout d’abord, il explique qu’il est important de prendre en compte les retours d’expérience des autres pays, qui ont, eux aussi recours à ce type d’application. "Dans aucun des pays dans lesquels elles ont été déployées, ces applications n’ont produit d’effets utiles par rapport au but poursuivi, la recherche de cas contact. Et toutes sont restées en dessous du seuil nécessaire de téléchargement utile", affirme Sacha Houlié. En effet, selon une étude de chercheurs de l’université d’Oxford, le nombre d’utilisateurs devrait se situer à au moins 60% de la population pour que la technologie soit efficace.

Et c’est loin d’être évident. C’est un argument qu’avance le député de la Vienne en prenant l’exemple de plusieurs pays dans lesquels l’application n’a pas reçu un accueil très favorable. "Prenons d’abord le cas de la République Tchèque, pionnier européen. Seul 1% de la population y a eu recours. En Autriche, là où 6% des 8,8 millions d’habitants l’ont téléchargée. Les médecins estiment, d’une façon définitive, que l’application -je cite- "ne sert à rien".

De plus, certaines personnes, comme les personnes âgées ne disposent pas de smartphone. En effet, 17 % des Français n’ont pas de téléphone portable où ils pourraient installer l’application. "L’utilisation de l’application est encore plus hasardeuse chez les personnes âgées, principales cibles du virus mais sous-équipées en smartphones ou objets connectés", ajoute Sacha Houlié.

Accepter de télécharger l’application et se déclarer malade si on est positif, pas sûr que tout le monde soit volontaires pour le faire. De nombreuses conditions sont donc nécessaires au bon fonctionnement de l’application. 

Un débat éthique

Le député estime également que "le consentement libre ne peut être garanti". "L’Etat ne rend pas l’application obligatoire, certes. Mais quid d’une entreprise dans son règlement intérieur ? pour ses salariés comme pour ses clients ? La responsabilité qui pèse sur les chefs d’entreprises comme sur les dirigeants associatifs pourra les conduire à exiger, dans des écrits ou par la contrainte sociale, l’usage de cette application", assure-t-il, convaincu.

Où est le consentement libre et éclairé quand on a peur de mourir ? et quand l’Etat nous dit – à juste titre – qu’on a raison d’avoir peur ?
- Sacha Houlié, député de la Vienne

Au-delà du consentement, Sacha Houlié invoque l’argument de la discrimination. "L’employeur qui procède à un recrutement, le propriétaire suspicieux de son voisin, de son locataire qu’il soit personnel soignant ou considéré à risque, peut installer l’application. Il peut l’utiliser aux seules fins de connaître la sérologie d’une unique personne".

L’opinion française, elle, reste très partagée. Le 12 avril, un sondage de l’Ifop et de la Fondation Jean Jaurès a révélé que 45% des Français déclarent ne pas souhaiter installer et utiliser une telle application, contre 46% déclarant l’inverse et 9% ne se prononçant pas. Ces chiffres diffèrent fortement d’une précédente étude réalisée fin mars qui démontrait que 79% étaient prêts à utiliser une telle technologie.

Pour Sacha Houlié, l’anonymat des utilisateurs est primordial. Si Marie-Laure Denis affirmait mardi sur Europe 1 que c’était "une bonne chose que l'on ait pris le temps de s'assurer qu'il y ait des garanties suffisantes en matière de protection de la vie privée pour mettre en oeuvre une application qui n'est pas banale ou anodine", et promettait que StopCovid préservera "l'information des personnes et leur droit à l'effacement des données enregistrées sur les téléphones portables et le serveur central", le député de la Vienne est sceptique. "Certes l’application doit émettre des pseudonymes qui évoluent tous les quarts d’heure. Mais cette notion qui relève du cryptage est piratable comme le sont toutes les solutions technologiques. Car derrière le pseudonyme, on retrouve toujours un numéro, un individu, une carte vitale et un dossier médical".

Pour lui, c’est ici que la différence entre tracing humain et tracing numérique prend tout son sens. "C’est le service public de la santé qui fait la démarche de recensement des cas après un entretien médical. Avec l’application, c’est l’individu lui-même que l’on laisse face à sa conscience et son choix de renoncer à l’un de ses droits les plus forts, le secret médical".

Si cela peut apparaître à court terme comme une protection, c’est à échéance plus longue, une entrave trop grave à notre droit au secret.- Sacha Houlié, député de la Vienne

Une crainte reste présente, celle de mettre en place l’application et d’en créer d’autres dans le futur. "Si nous prenons le chemin de l’application numérique d’Etat en matière de données de santé, nous la dupliquerons après l’état d’urgence sanitaire ou pour d’autres maladies que le Covid-19". Le député de la Vienne ne souhaite pas être de ceux qui ont considéré que le traçage numérique était utile. "Je crois à la société de vigilance, celle de la précaution, celle où chacun veille les uns sur les autres. Mais je redoute la société de la surveillance, celle de la délation", affirme-t-il.

La vigilance, c’est avant tout la protection et la période nous a montré que la meilleure des protections c’est l’attention humaine.
- Sacha Houlié, député de la Vienne.

Sacha Houlié est catégorique. Il votera contre la mise en place de l’application StopCovid. "Dans ces circonstances, avec beaucoup de responsabilité et sans défiance, j’appelle ceux qui auraient des doutes à les manifester lors de ce vote, comme je le ferai moi-même en rejetant le déploiement de cette application".

Sacha Houlié était l'invité de Marie-Ange Cristofari dans le 19/20 du 27 mai 2020 :
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