Dans le secteur du funéraire, les entreprises de pompes funèbres font, elles aussi, face à des difficultés de recrutement. Les métiers sont complexes et parfois difficiles, au contact des familles en deuil. Des métiers toujours plus exigeants, alors que la question de la formation se pose avec de plus en plus d'acuité.
"Récemment, un boulanger s'est proposé comme candidat à un de nos postes. Notre métier est vraiment sous-estimé". Pour Delphine Bremand, gérante de deux sociétés funéraires, les Pompes Funèbres Grandon et les Pompes Funèbres Bremand, le constat est sans appel. Son entreprise familiale se porte bien, avec 45 salariés au total et un réseau de vingt agences en Charente-Maritime et en Vendée. Pourtant, l'entreprise peine à recruter.
Conseiller funéraire, un métier complexe et méconnu
"Nous venons d'embaucher trois conseillers funéraires, on a réussi à pourvoir les postes rapidement, mais ça m'a surprise", décrit Manon Bremand, en charge des ressources humaines. "Habituellement, on a beaucoup plus de mal. Par exemple, nous avons beaucoup de candidatures de personnes tout juste diplômées, mais ce n'est pas possible de ne prendre que ce type de profil." Et pour cause, la double casquette d'assistant funéraire et de maître de cérémonies peut être lourde à porter.
"Les candidats s'adressent souvent à nous parce qu'ils sont intéressés par l'aspect humain, la relation avec les familles", reprend Delphine Bremand. "Mais notre métier est beaucoup plus vaste : il faut vendre un service et des produits." "Oui, c'est un métier large", complète Marine Gentreau, responsable marketing et communication aux Pompes funèbres Bremand. "Il faut vendre un monument en marbrerie, vendre des contrats-obsèques, ce qui va sans doute devenir notre coeur de métier à l'avenir. Il y a une grosse partie réglementaire et administrative."
3 500 postes à pourvoir en 2024
Dans une étude publiée le 24 octobre 2023, la Fédération nationale du funéraire, qui représente 500 entreprises et 11 000 salariés, fait état de 3 500 emplois à pourvoir en 2024, dont la moitié sur le poste de conseiller funéraire. Deux paramètres sont à prendre en compte : le développement d'activité et les départs à la retraite. En Nouvelle-Aquitaine, 5 % des postes sont à pourvoir. À l'échelon national, l'ensemble du secteur représente près de 25 000 emplois.
Pour devenir agent funéraire, les formations sont le plus souvent assurées par des établissements privés comme l'École nationale des métiers du funéraire par exemple. La formation d'assistant funéraire se divise entre 140 heures de cours théorique et 140 heures de stage en entreprise, soit trois mois au total.
Un mode de fonctionnement jugé trop léger par la famille Bremand. Pour Manon Bremand, "il manque la qualification. On est plus dans de la découverte. On reçoit deux CV de ce genre par semaine, personne ne les embauche, car ils ne sont pas assez qualifiés." Car c'est ensuite aux entreprises de les former en interne. Mais le temps manque et les conséquences sont nombreuses. Delphine Bremand se souvient d'avoir "déjà dû fermer une agence par manque de personnel le temps d'une cérémonie, parce qu'un assistant funéraire, qui travaille seul dans une agence, doit aller faire un remplacement ailleurs."
"Et ce temps, c'est du temps en moins passé avec les familles", ajoute Manon Bremand. "Et les équipes se démotivent parce qu'elles passent du temps à former, et parfois pour rien." Avec souvent, des conséquences économiques bien réelles : "Si quelqu'un qui gère seul une agence ne peut pas faire de contrat-obsèques, ça oblige à décaler le rendez-vous avec le risque que la personne parte ailleurs", conclut Marine Bremand.
Développer l'apprentissage
Pour pourvoir au besoin en recrutement, les Pompes funèbres Bremand se sont tournées vers l'alternance, une voie encore très marginale. En Vendée, le CFA Les Louisières est le seul en France à proposer ce type de formation pour le secteur du funéraire.
Nadège Lacoste, directrice adjointe, explique que "la formation a été pensée, dès le début de la réflexion en 2013, pour répondre aux besoins des professionnels. Et ces besoins ne vont faire qu'augmenter dans les prochaines années avec le papy-boom. Les entreprises qui veulent accueillir un apprenti peuvent le faire. Mais trouver un apprenti reste difficile."
La formation de trois mois n'étant pas applicable dans le cadre d'un apprentissage de 13 mois, le titre professionnel d'opérateur funéraire est donc doublé de l'obtention d'un diplôme de baccalauréat professionnel Métiers du commerce et de la vente. "Nous allons aussi ouvrir à la rentrée prochaine un titre professionnel de manager d'unité marchande, ce qui correspond à un besoin de monter en compétences pour les entreprises", précise Nadège Lacoste.
Les douze élèves, souvent jeunes, suivent une semaine de cours par mois. Un modèle qui permet d'être beaucoup plus en adéquation avec les besoins des entreprises. "Le métier est long à apprendre : il faut être disponible pour les astreintes les week-ends, respecter les délais, connaître la législation, la réglementation, la facturation...", énumère Véronique Bret, monitrice et responsable du groupe funéraire. "Même au niveau du public, les gens préparent beaucoup plus les choses de leur vivant, et ont des demandes différentes."
La face visible du métier d'assistant funéraire, pendant les funérailles, cache toute la partie administrative et organisationnelle.
Véronique BretMonitrice et responsable du groupe funéraire
Delphine Bremand applaudit ce choix de la formation longue. Elle accueille cette année dans son entreprise deux alternants issus du CFA Les Louisières. Les quatre premiers alternants ont tous intégré l'entreprise en CDI à la fin de leur formation. Il n'y a alors pas besoin de prendre du temps pour les former. Un paramètre important alors qu'il faut considérer les contraintes physiques du métier. "Nous recevons beaucoup de candidatures de femmes, mais ce n'est pas possible de mettre deux femmes d'astreinte s'il faut aller chercher un corps de 150 kg à domicile par exemple", précise Manon Bremand, qui s'occupe du recrutement.
Il faut alors tenter d'anticiper au mieux les départs à la retraite à venir dans les prochaines années, un futur défi pour les agences indépendantes. "Chaque métier du funéraire possède ses propres modules de formation", expose Charles Simpson, fondateur de la start-up Senior Media. "Les rémunérations sont peu attractives, même si on constate peu d'écart entre les attentes des salariés et les salaires pratiqués."
Des postes de marbrier à pourvoir, un risque pour tout le secteur funéraire
Pour Charles Simpson, les postes de marbrier seront l'enjeu-clé des prochaines années. "Ce métier a été récupéré il y a quelques années par les pompes funèbres pour développer leur activité. Mais comme on ne trouve plus de marbrier, cette opportunité est devenue un problème", explique-t-il. "C'est un métier difficile, physique, il faut être tout le temps dehors, mais avec un vrai savoir-faire technique et topologique selon chaque cimetière."
Mais le travail sur les monuments funéraires n'attire plus les candidats, comme le constate Corinne Durgand, gérante des établissements Bonneaud à Niort (Deux-Sèvres). L'entreprise emploie quatre salariés, répartis entre deux magasins. "Je cherche depuis un moment, depuis décembre 2022, et ça s'est accéléré en juin 2023", détaille la cheffe d'entreprise. "J'avais quelqu'un qui devait embaucher en septembre, mais qui m'a fait faux bond."
Il n'existe pas de formation obligatoire pour exercer le métier de marbrier. Charge donc aux entreprises de trouver des "gars motivés, avec un peu de jugeote. Mais les 39 heures par semaine, le travail les samedis et la hausse du prix de l'essence, ça en repousse plus d'un", regrette Corinne Durgand. "Il faut aussi qu'ils aient le permis poids lourd, pour faire le terrassement, ouvrir un caveau par dessus, ou par l'arrière, poser des monuments avec des camions-grues..."
Cet été, avec les congés, on a dû fermer les chantiers et ne garder que la partie vente en magasin.
Corinne DurgandGérante des établissements Bonneaud à Niort (Deux-Sèvres)
Les conséquences économiques se font là aussi sentir. "Quand il y a deux enterrements dans la journée, ça devient compliqué. Dans l'idéal, il nous faudrait deux marbriers de plus", espère la cheffe d'entreprise niortaise. "Le salarié qu'on a est là depuis trente ans, mais aujourd'hui, on ne trouve personne."
En Vendée, Delphine Bremand anticipe déjà les prochains départs à la retraite : "vu qu'il n'y a pas de formation, on les recrute sur leurs qualités personnelles. En Charente-Maritime, nous en cherchons, et en Vendée, nous aurons bientôt deux départs en retraite."
Plus largement, elle appelle les personnes intéressées par les métiers du funéraire à "découvrir le métier, et en apprendre davantage. Et aussi à privilégier l'apprentissage, qui rend les candidats beaucoup plus crédibles."