Alors que chaque année, les comptes du CCAS de Poitiers finissent dans le rouge, le service est contraint de fermer deux structures, les crèches familiales et une résidence autonomie pour les personnes âgées. L'objectif pour la Ville est de pérenniser les autres services rendus par le centre, mais dans la commune, les bénéficiaires et le personnel s'indignent.
À Poitiers, la résidence autonomie Edith Augustin devrait fermer ses portes à la fin de l'année, une fois tous ses habitants relogés. Le service de crèches familiales s'arrêtera également avant la rentrée scolaire 2024. Cette décision, annoncée par la municipalité début février, a fait l'effet d'une bombe dans les structures concernées.
Dans la salle commune de la résidence pour personnes âgées autonomes, Marie-Elisabeth Charraud a les yeux qui brillent, et la voix qui tremble. Entrée il y a 17 ans avec son mari, elle est désormais seule et ne sait pas encore où elle ira après la fermeture de l'établissement : "je comptais y finir mes jours", souffle-t-elle. "Je suis soufflée, pour tout le monde, tout le personnel, je trouve que c'est triste d'en arriver là."
Un changement brutal, mais nécessaire ?
"Ils ne sont pas à un âge où on rebondit facilement," déplore Magali Requiem, aide-soignante. Elle s'alarme du bouleversement que ce déménagement représente pour les habitants de la résidence : "ils ont quitté leur vie d'avant, ils ont quitté leur maison, ils ont quitté leurs meubles, ils ont quitté leurs voisins...", rappelle-t-elle, "ils sont arrivés chez nous, l'arrivée n'est pas toujours facile, et puis aujourd'hui, après tout ce qu'on a construit, on leur demande de quitter leur maison."
Dans cette résidence, soixante personnes vont devoir être relogées. Elles pourront par exemple trouver un appartement dans l'un des trois établissements similaires de la ville, ou choisir une autre solution, comme un Ehpad. Selon Coralie Breuillé-Jean, adjointe en charge des solidarités et de l'action sociale à la mairie de Poitiers, fermer cette résidence autonomie est nécessaire, d'une part, car de gros travaux, notamment de désamiantage, doivent être effectués, d'autre part, car l'offre de type de logements n'est remplie qu'à 75%, ce qui devrait permettre de réunir l'ensemble des pensionnaires dans seulement trois bâtiments.
Le personnel de la résidence doit être accompagné par la municipalité pour trouver un nouvel emploi dans le secteur, pour se former ou se reconvertir, mais pour les aides-soignantes, beaucoup de questions restent ouvertes : "ils parlent de formation, mais quel type de formation ? Combien de temps ? Comment ce sera rémunéré ?", s'interroge Magali Requiem.
Des crèches familiales trop coûteuses et moins séduisantes ?
Du côté du service de crèches familiales, la nouvelle fait mal, mais elle n'est pas si surprenante. Catherine Laisné est assistante maternelle et depuis 28 ans, elle accueille des enfants à son domicile tout en étant rémunérée par la commune. Elle a vu le lent déclin de son métier à Poitiers : "ça fait des années qu'on demande pourquoi il n'y a plus de recrutement, depuis 2005," décrit-elle, "la municipalité nous a toujours répondu que c'était son souhait de développer la crèche familiale autrement, de créer de nouvelles choses, de relancer la structure, mais on voyait bien qu'à chaque fois qu'une collègue partait à la retraite, elle n'était pas remplacée."
Les 44 enfants vont être orientés vers d'autres crèches collectives de la ville, et les assistantes maternelles doivent aussi être accompagnées, vers d'autres services ou pour se tourner vers le libéral.
Coralie Breuillé-Jean justifie ce choix par la baisse de la demande du public pour ce genre de prestations, en arguant que les crèches familiales ne sont remplies qu'à 60% quand les crèches collectives le sont à 85%. Elle explique que ce service, qui représente un accueil à temps-plein ne répond plus à des besoins davantage tournés vers "un accueil à temps partiel, voire ponctuel ou dans l'urgence". Elle ajoute que le prix pour la collectivité est trop élevé par rapport à la demande : une place en crèche familiale représente un reste à charge de 8.000 euros par an pour un seul enfant, contrairement à 6.000 euros pour une place en crèche collective, qui peut être occupée par deux enfants (à temps partiel).
Un déficit récurrent
Dans ce dossier, c'est bien l'argent qui pose problème. Chaque année, les comptes du CCAS sont dans le rouge, et en 2022, son déficit est estimé à 978.645 €.
Même si ce service n'a pas vocation à faire des bénéfices, la ville de Poitiers aimerait équilibrer ses comptes, car le CCAS représente son second poste de dépenses après l'éducation. En 2023, la subvention par la ville représente 13 millions d'euros (hausse de 18% sur un an). Cette hausse s'explique, certes, par l'inflation et la hausse des prix de l'énergie, mais aussi par "hausse des salaires, qui est méritée, des agents de 3,5%," détaille Coralie Breuillé-Jean. Même problème avec la "revalorisation Ségur" : les salaires ont augmenté pour les travailleurs sociaux.
Ce n'est pas par gaîté de cœur qu'on fait ça, on préfèrerait que nos financeurs soient à la hauteur des enjeux, et pouvoir développer d'autres services tout en gardant ceux que nous avons. Financièrement, on ne pourra pas aller au-delà de ce qu'on fait déjà.
Coralie Breuillé-Jean, adjointe à la Mairie de Poitiers
Dans un communiqué, Sacha Houlié, député de la seconde circonscription de la Vienne, a tenu à exprimer "sa totale incompréhension devant la décision." D'après lui, les différentes aides de l'État devraient permettre aux collectivités de conserver ce type de service public (bouclier tarifaire, hausse des dotations, Fonds Vert ou encore Plan action Cœur de Ville). Mais à cet argument, l'adjointe Coralie Breuillé-Jean répond que ces aides sont, soit insuffisantes, soit pas adaptées aux problématiques. Exemple avec le Fonds Vert, accessible pour de la rénovation thermique, qui ne convient pas à la résidence Édith Augustin. Celle-ci doit être désamiantée, et donc évacuée.
Les syndicats comptent riposter
Vincent Bouhan annonce la couleur : "On est en train de constituer des collectifs avec les usagers."
Le secrétaire général CGT de la ville et du CCAS Poitiers ne décolère pas, et critique "la brutalité de la décision". "Apprendre comme ça, du jour au lendemain, que notre métier, c'est terminé, quand ça fait trente ans qu'on travaille, c'est quand même dur à accepter," ajoute-t-il. Pour lui, cette annonce par la municipalité est un symbole fort : "depuis 1977, nous avons toujours ouvert des services publics, on n'en a jamais fermé, c'est donc une première."
Les syndicats promettent une riposte forte, "à la hauteur des enjeux", dans les prochains jours. Pour eux, pas question de fermer ces services entre 2023 et 2024.