L'université de Limoges sur le campus de Brive-la-Gaillarde en Corrèze a créé le premier diplôme universitaire sur le droit animalier. Le statut de l’animal vis-à-vis de la loi ne cesse d’évoluer, depuis 2015 il n'est plus considéré comme un bien meuble, mais comme un être vivant et sensible.
Chaque semaine, un fait divers ou une situation qui fait scandale en lien avec le bien-être animal s'invite dans l'actualité. Les associations de défense des animaux sont souvent à l'origine des images diffusées sur les réseaux sociaux et parfois reprises dans les médias. L'opinion réagit alors vivement, souvent de manière rapide et affective, alors que les tribunaux, les politiques mettent en revanche plus de temps à prendre position. Ces situations, ces vidéos inacceptables, nous questionnent sur la manière dont nous traitons les animaux dans nos sociétés modernes et dans le même temps sur la place de l'homme sur la planète Terre.
Un peu d'histoire
Depuis la nuit des temps, la domestication des animaux par l'homme a créé un lien indéfectible. L'animal est "utilisé" par lui qui le récompense en le nourrissant. Pendant des siècles, il n'a jamais été question de bien-être. D'ailleurs, la loi ne conférerait à l'animal aucun autre statut que celui de bien meuble, de chose appartenant à un propriétaire. Pour rappel, l'animal est présent dans le livre II du Code Civil qui concerne les biens, les choses alors que le livre I concerne les personnes. Aujourd’hui l’opinion publique a évolué, reconnaissant à l’animal des droits et aux humains qui en sont responsables des devoirs. La demande de la société pour un autre regard et une considération différente, digne, sont en marche, dans un premier temps contre la maltraitance animale et dans un second pour le droit animalier. Ainsi donc, si l'opinion semble vouloir que les choses avancent, le droit, lui, continue à peiner un peu.
On peut considérer que les débuts de la prise de conscience juridique datent de 1850.
Jacques Delmas de Grammont est officier de cavalerie de Napoléon III. Il fonde la ligue française de protection du cheval. En 1850, alors qu'il est député, il propose une loi pour sanctionner les mauvais traitements aux animaux après avoir été témoin de nombreux agissements irrespectueux envers les chevaux. Lors des débats à l'Assemblée Nationale, un autre député parvient à apporter de nombreux bémols au texte initial. La loi est ainsi réduite aux mauvais traitements exercés...publiquement sur les animaux. Cela revient à dire que l'on décide de protéger plus la sensibilité du public que celle de l'animal. La loi figure dans le livre II du Code Civil, il est donc toujours considéré comme une chose.
1962 est marqué par une jurisprudence singulière : une course de chevaux a lieu, le propriétaire d'un cheval le met dans un box. L'organisateur décide de mettre une ampoule électrique en balancier au-dessus de la tête du cheval qui ne manque pas de mordre dedans et de mourir électrocuté. Le propriétaire du cheval porte plainte et, pour la première fois, un tribunal reconnait un préjudice moral et donc l'attachement à un animal.
Il faut attendre 2015 pour noter de nouvelles avancées remarquables. Le Code Civil a sorti l’animal du statut de « meuble », pour le définir comme un « être vivant doué de sensibilité », mais toujours dans le livre II. Certains regrettent que la loi n'en ait pas fait pas pour autant une « personne ». La conséquence est simple : le statut juridique de l'animal reste donc flou, et quand les lois à son égard existent, elles ne sont souvent pas appliquées.
Un diplôme universitaire sur le droit animalier
Les questions relatives aux animaux font dorénavant partie du débat public. L'animal a longtemps été l’objet des seuls cours de sciences, puis les sciences humaines et sociales se sont emparées du sujet. L'université elle-même s'intéresse à l'animal.
Ci-dessous, extrait du film documentaire Vivant et sensible, l'animal aux yeux de la loi
Précurseur en France, Brive-la-Gaillarde a créé il y a quelques années un Diplôme d’Université sur le droit animalier, géré par la faculté de Droit de Limoges.
Les étudiants viennent de la France entière et même d'Europe. Ils sont avocats, vétérinaires, bénévoles de la protection animale et ont été sélectionnés, comme d'autres le sont deux fois par an, parmi des centaines de candidatures. Ils ont entre 25 et 60 ans.
Leur point commun ? S’interroger dans leur quotidien professionnel sur les contours du droit animalier et aux limites de sa mise en pratique.
La formation a pour objectif de fournir un bagage juridique le plus complet possible. Ce diplôme est validé par la proposition que chacun fera d’un projet de loi, que certains voudront ensuite porter jusqu’à son adoption par l’Assemblée Nationale. Certains étudiants ont, par exemple, envoyé aux parlementaires une proposition de texte pour lutter contre la zoophilie, forts du constat ahurissant de deux millions de vidéos sur ce thème vues par mois en France.
Pour la première fois, trois jours de discussion ont été plannifiés sur le thème de la protection animal. Cela est notable car si l'opinion semble prête pour le débat, ce n'est pas encore le cas des parlementaires souvent encore timides sur le sujet pour des raisons très diverses.
Le film documentaire Vivant et sensible, l'animal aux yeux de la loi permet de s’interroger sur la condition animale, en parlant de droit et de cas concrets.
Vivant et sensible ...
Dans son film, Sophie Bensadoun, réalisatrice du film, donne entre autres la parole à Jean-Pierre Marguénaud.
Il est l'un des initiateurs du diplôme universitaire qui connait un succès non démenti depuis sa mise en place. Personnage atypique, il parle de ses conversations avec Ellington, son chat et des textes qui fondent un arsenal juridique naissant, concernant les animaux à la fois de compagnie et d'élevage. Devenu professeur d'université sans avoir obtenu le baccalauréat mais avec une capacité en droit, il est l'un des personnages principaux du documentaire.
Le droit animalier, c'est donner des droits à ceux qui ne peuvent plus se contenter de s'indigner.
La réalisatrice n'a pas fait le choix de discuter de la légitimité ou pas d'accorder des droits aux animaux.
Sophie Bensadoun n’a rien d’une militante pour la cause animale, mais elle affectionne particulièrement l’exploration de ces situations où les citoyens se saisissent des moyens à leur portée pour faire évoluer la société, dans l’action.
Elle a décidé d'aller au-delà, de voir quelle place la loi leur a accordé jusqu'à aujourd'hui et vers quoi les textes évoluent, chaque année un peu plus.
Ce droit nouveau où beaucoup reste à faire montre notre capacité à co-construire ensemble les lois, pour penser notre relation à l’animal dans un rapport de prévention et protection mutuelle.
Il s'agit finalement de ne pas considérer que le nouveau droit, car il s'agit bien de quelque chose de nouveau, n'est pas qu'une compilation de jurisprudences timides ou engagées, et de réglementations qui s'empilent les unes sur les autres. L'idée est de voir à quel point c'est le regard de l'homme sur sa place dans le monde pétri de suprématie qui est en train de glisser lentement, mais plus que sûrement, vers un positionnement de partage des espaces, avec responsabilité. De plus en plus de personnes y voient une urgence du monde moderne qui touche aussi les questions environnementales et sociétales.
On n'a pas un coeur pour les animaux et un coeur pour les hommes, on a un coeur ou on n'en a pas.
Vivant et sensible, l'animal aux yeux de la loi
Réalisation : Sophie Bensadoun
Production : Nord-Ouest Documentaires / Sophie Randonneix
Diffusions sur France 3 Nouvelle-Aquitaine :
Lundi 18 octobre à 23.00
Mardi 19 octobre à 9.50
A voir ou à revoir sur na.france3.fr et france.tv