Déserts médicaux : les maires ruraux demandent l’exonération du nouveau forfait aux urgences

Depuis le 1er janvier, les patients qui ne sont pas hospitalisés après un passage aux urgences, doivent s’acquitter du nouvellement créé Forfait patient urgences. L’association des maires ruraux de France demande l’exonération pour les patients ruraux sans médecin traitant.

Une mesure destinée à mettre fin à une injustice, peut-elle en créer d’autres ? C’est en tous cas la thèse défendue par l’Association des maires ruraux de France. Dans un courrier adressé au ministre de la Santé Olivier Véran le 4 janvier 2022, l’association d’élus tente d’attirer l’attention du gouvernement sur le nouveau "Forfait patient urgences". En demandant son exonération pour les patients ne disposant pas de médecin traitant du fait de la désertification médicale. Mis en place depuis le 1er janvier 2022 en remplacement du ticket modérateur, Le "Forfait patient urgences" (FUP) a pourtant été présenté par le gouvernement comme une mesure plus équitable.

Car, contrairement aux idées reçues, le passage aux urgences n’est pas gratuit en France. Avant le 1er janvier 2022, et la mise en place du FUP, il restait déjà un reste-à-charge compris entre 20 et 60 euros, selon les soins reçus. Ces frais étaient facturés au sein du ticket modérateur. Mais la plupart des Français ne s’en rendaient pas compte : la majorité des complémentaires santé le prenait en charge. Et comme 95 % des citoyens disposent d’une mutuelle…

Mais le ticket modérateur avait mauvaise réputation : opaque, variant fortement selon les soins, et parfois difficilement récupérable pour les administrations des hôpitaux qui peinaient à se faire rembourser une fois les patients repartis chez eux. Le "Forfait patient urgences", lui, est un montant fixe : 19 euros et 61 centimes, quels que soient les soins dont vous avez bénéficié. Vous en êtes redevable à partir du moment où votre passage aux urgences n’a pas nécessité une hospitalisation dans la foulée. Certains usagers paieront un FUP réduit : ceux souffrant d’affection de longue durée ou les victimes d’un accident du travail, par exemple. D’autres en sont automatiquement exonérés : les victimes d’actes de terrorisme, ou encore les jeunes mamans et leurs nourrissons.

Le "Forfait Patient Urgences", d’après le gouvernement, rend « le montant d’un passage aux urgences sans hospitalisation plus lisible pour les patients et les usagers, son paiement plus compréhensible et sa facturation plus simple pour les équipes hospitalières ». Mais dans son courrier du 4 janvier 2022, l’Association des maires ruraux de France qualifie cette mesure de « double peine ». Jean-Jacques Marty, son vice-président, lui-même maire du petit village de Saint-Ferriol (Aude), explique : « Beaucoup de gens dans la ruralité n’ont pas de médecin traitant. C’est simple, dans certaines zones, comme en haute-vallée de l’Aude, il n’y en a plus ! » D’après Jean-Jacques Marty, cinq médecins se partagent une patientèle de 1500 personnes autour de Quillan et d’Espéraza. Sachant que la moyenne par cabinet, d’après une enquête de Que Choisir réalisée en 2019, était de 850 patients.

"La seule solution parfois pour eux, c’est les urgences" !

Résultat, il est particulièrement difficile pour les habitants des zones rurales (mais parfois aussi de certaines villes) de trouver un médecin traitant. La même enquête de Que Choisir révélait que 44% des médecins généralistes interrogés refusaient de nouveaux patients. Dans l’Aude, d’après la Caisse primaire d’assurance maladie, 14% de ses bénéficiaires n’ont pas de médecin traitant, soit 45 748 personnes. « La seule solution parfois pour eux, c’est les urgences ! Quand votre gamin a une otite et 40° de fièvre un dimanche, qu’il hurle de douleur et qu’il n’y a pas un médecin de garde sur votre secteur, vous l’emmenez aux urgences », explique Jean-Jacques Marty. « Et comme on ne va pas l’hospitaliser pour une otite, vous devrez payer le forfait ! »

« La mise en place du forfait ne me semble pas être un facteur limitant », lui répond le Docteur Alain Péret, patron des urgences de l’hôpital de Narbonne. L’établissement est en plein centre-ville de la sous-préfecture de l’Aude, une rareté de nos jours, qui fait la fierté de la direction. Pourtant, c’est aussi un hôpital de campagne. Puisque c’est l’établissement de référence de secteurs ruraux, voir isolés, comme les Corbières. Ici, 120 à 130 personnes fréquentent chaque jour le service des urgences. Pour Alain Péret, « vous ne faites pas deux heures de voiture pour soigner une otite quand vous êtes en plein désert médical. Ou alors vous êtes à l’agonie. Et dans ce cas-là, ça relève effectivement des urgences ! »

Pour ce médecin chevronné, la mise en place du FUP est plutôt une bonne chose. Car elle allège les tâches administratives. Et le chef des urgences de Narbonne se veut rassurant : « On n’a jamais refusé quelqu’un à l’hôpital dans un service des urgences pour des raisons économiques. La facture, on la présente toujours après. »

Une mesure "clivante" ? 

Et le médecin de rappeler que la plupart des complémentaires santé devraient prendre en charge le FUP. Un argument de circonstance pour Bruno Izard, le secrétaire régional de FO-Santé : « La mesure est clivante. 95% des Français ont une complémentaire ? Ça veut dire que, pour ceux qui n’en ont pas, ce n’est pas un choix ! C’est une injustice sociale. » Un argument que comprend Jean-Jacques Marty, le vice-président de l’Association des maires ruraux de France : « Il y a des gens en grande difficulté dans le rural, des personnes qui n’ont pas les moyens de se payer une mutuelle ! »

Bruno Izard, qui est aussi délégué syndical à l’hôpital de Carcassonne pointe un autre inconvénient du FUP pour son syndicat : « Imaginez-vous qu’on va devoir demander à des gens qui sont venus se faire soigner de régler l’addition avant de partir ? La situation est déjà régulièrement tendue avec certains usagers. Là il risque d’y en avoir encore plus. Ça fait peser des risques psycho-sociaux supplémentaires pour le personnel. »

Nous avons contacté le ministère de la santé, pour savoir si une suite allait être donnée au courrier de l’Association des maires ruraux de France. Nous n’avons pas eu de réponse.

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