Si le 20ème siècle a commencé pour les Français avec la tour Eiffel, pour les Espagnols ce fut avec Don Tancrède, écrit José Bergamín. La première représentation de Don Tancredo a eu lieu à Valencia il y a tout juste 117 ans!
Ce 18 novembre 1899, quand Tancredo López Martín, un maçon au chômage, grimpe sur son podium de 50 cm dans les arènes de Valence, il n'a probablement qu'une idée en tête : sortir de la mouise. Et si possible indemne.
Il a été voulu être torero, ça n'a pas marché. Il est parti tenter sa chance en Amérique, et c'est à Cuba qu'il a trouvé l'idée, en voyant le numéo du torero mexicain El Orzabeño sobrement surnommé "le squelette taurin". Le dit squelette a par ailleurs fini comme son sobriquet semblait le présager : un toro l'a tué.
Tancredo est vêtu de blanc, il est fardé de blanc, il imite du mieux qu'il peut une statue, très précisément celle du torero Pepe Hillo. La publicité l'annonce comme "El Rey del Valor", le Roi du Courage. Pour sa première appartion en public, le toro de Flores respecte cette statue humaine et le public fait un tel succès à Tancredo qu'il est programmé dans ces mêmes arènes la semaine suivante.
La carrière de Don Tancredo est lancée.
Sa présentation à Madrid le 30 décembre 1899 est un triomphe. La mouise, c'est fini.
Il a d'innombrables imitateurs. Son nom est associé à toutes sortes d'objets. Mais les publicitaires sont sans scrupule et Tancredo ne dispose pas d'avocat pour protéger sa marque : il ne touche pas un centime sur ces "produits dérivés".
Le tancrédisme devient un nom commun. C'est l'attitude de ceux qui restent impassibles devant l'adversité.
Dans "Importance du démon et autres choses sans importance", José Bergamín convoque l'histoire religieuse, les philosophes Kierkegaard et Nietzche et cite Platon pour tenter de comprendre le phénomène.
Au milieu des années 50, Fernando Fernán Gómez fait un Don Tancredo pathétique dans le film "El Inquilino" (le Locataire) de José Antonio Nieves Conde. À la même époque les "vrais" Don Tancredo disparaissent des arènes. Le public ne s'intéresse plus à ce qui le faisait frémir quelques décennies plus tôt.
L'explication? Peut-être faut-il la lire dans le texte de José Bergamín qui constatant la montéé en puissance le la valeur "immobilité" parmi les aficionados écrit :
S'il n'y a pas aujourd'hui de Don Tancrède, c'est que tous les toreros en sont. Et même plus: on en est aussi arrivé à tâcher de tancrédiser le taureau.