"C'est une occupation de l'urgence" : la lutte d'un collectif, mobilisé pour éviter à une famille espagnole sans logement, de dormir à la rue

Après avoir sollicité les élus de quartier, la préfecture de la Haute-Garonne, la mairie de Toulouse, après les pétitions, les cagnottes, les déambulations… À bout de souffle, le collectif "Jamais sans toit", a réquisitionné l’école Bonnefoy, afin d’éviter à une maman et ses trois enfants de dormir à la rue.

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Les membres du mouvement ont réquisitionné l’école Bonnefoy à Toulouse pour mettre à l’abri une famille sans logement, dont l’un des enfants est scolarisé dans cet établissement. Après avoir tout tenté, en ultime recours, le 23 janvier 2024, le collectif "jamais sans toit dans mon école" décide d’occuper l’établissement scolaire.

De nationalité espagnole, cette maman est arrivée avec ses trois enfants à Toulouse en novembre 2023. L’un de ses enfants, âgé de trois ans, est scolarisé à l’école maternelle Bonnefoy, à Toulouse. Malgré les appels quotidiens auprès du 115, les demandes d’aides effectuées auprès des institutions et mairie de quartier, le soutien des syndicats et des élus, les multiples courriers… Aucune solution d’hébergement d’urgence ne lui a été proposée selon les membres du collectif " jamais sans toit dans mon école", où l’anonymat prévaut.

Sans l’aide des parents d’élèves de l’école, indignés par "l’inaction des services de l’Etat et de la Mairie de Toulouse", cette famille dormirait à la rue tous les soirs. Depuis la réquisition de l’école, en soirée, un huissier accompagné de policiers municipaux vient constater l’occupation de l’établissement scolaire.

Depuis le 23 janvier, l’école maternelle de Bonnefoy est réquisitionnée par le collectif, "Jamais sans toit dans mon école". Tous les soirs après la fermeture du Claé, les parents d’élèves, habitants du quartier et membres du collectif se relaient pour apporter un repas chaud à la famille et passer avec elle la nuit, au sein du gymnase de l’école primaire, et dormir sur de simples tapis en guise de lit.

"C’est une occupation de l’urgence. Tous les matins la famille se lève à 6 heures pour nettoyer et quitter les lieux. Il ne faut absolument pas entraver le fonctionnement de l’école et le gymnase", explique Juliette, parent d’élève à l’école et membre du collectif "Jamais sans toit dans mon école".

 "Les enfants doivent avoir un toit avec leur famille. Il est inconcevable qu’en 2024 en France, terre des droits de l’homme, comme s’en vante notre président à l’étranger, que l’on ait des personnes, des enfants à la rue. C’est intolérable pour moi inacceptable", précise Claire, membre du collectif.

Pour éviter tous les jours, une nuit à la rue

Il est 18h 30 ce lundi 5 février. À la fermeture du Claé de l’école primaire et maternelle Bonnefoy, une dizaine de parents d’élèves, habitants du quartier et membres du collectif se retrouvent dans le gymnase. Ce soir c’est Nadine qui dormira avec la famille. L’occasion de faire le point sur la situation. Pendant les vacances scolaires et les week-ends, d’autres solutions d’hébergement sont trouvées, mais toujours dans l’urgence sans solution pérenne.

"Nous n’avons toujours pas de solution, c’est la débrouille", confie Nathalie. "Pour le moment ce sont des solutions d’urgence. On recherche si quelqu’un pourrait dépanner. Des gens de l’école, des gens qui peuvent mettre à disposition un logement pour un week-end, quelques jours, la situation est très précaire".

La famille est à Toulouse depuis le 5 novembre 2023, "cela commence à faire, c’est terrible", explique Karine qui accompagne la maman dans son accès aux droits. "Elle a effectué une petite mission la semaine dernière. Pour trouver du travail, il faut avoir un numéro de sécurité sociale et pour avoir un numéro de sécurité sociale il faut avoir du travail...". 

Ce soir, c’est Nathalie qui apporte le repas à cette maman et ses trois enfants :

"J’ai préparé un repas pour ce soir et demain je dors ici. C’est une organisation qui repose sur l’humanité des gens pour pallier le manque d’humanité des institutions. Le maire de Toulouse se défausse sur ce dossier-là sur la préfecture. Des lettres ont été envoyées par la mairie aux parents d’élèves. Il se cache derrière la loi de l’Etat".                .

L’inaction de la Mairie de Toulouse et de la préfecture pointée du doigt

Juliette ne comprend pas l’inaction des services de l'Etat et de la municipalité. La Préfecture de Haute-Garonne a annoncé le 7 novembre 2023, la création de 200 places d’hébergement hivernal. 130 ont été réellement ouvertes et 70 logements d’hébergement d’urgence pourraient ouvrir si nécessaire.

"La préfecture a la possibilité d’ouvrir 70 places mais elle ne le fait pas c’est problématique. Qu’est-ce qu’il faut faire pour que ce soit nécessaire", s’indigne Juliette." La mairie pourrait choisir de réquisitionner un de ses bâtiments et de le mettre à disposition le temps de trouver une solution. Tous les ans nous avons la même problématique et il n’y a aucune anticipation de leur part".

À ce jour, mardi 06 février, nous n'avons pas eu de réponse de la préfecture de la Haute-Garonne, concernant la situation de cette famille. Dans un communiqué de presse du 12 décembre 2023, l'institution précisait : 

Claire et Karine, parents d’élèves et membres du collectif sont venues ce lundi soir pour faire le point avec les autres personnes mobilisées. Elles évoquent le courrier de la mairie de Toulouse que les parents d’élèves ont reçu, concernant la situation de cette famille. Un courrier qui explique selon les parents d’élèves que cette problématique ne relève pas de sa compétence mais de celle de l’Etat sans pour cela accepté que l’école soit réquisitionnée.

"On se questionne un peu sur la façon de faire de la municipalité, comment le cabinet du maire a eu nos adresses mail?", explique Claire."La mairie déploie beaucoup d’énergie à ce que les choses ne se sachent pas, pour ne pas que l’on affiche le nombre d’enfants qui dorment à la rue en Haute-Garonne", rajoute Karine.

Dans ce dossier la mairie de Toulouse nous a répondu et se justifie, et explique qu'à l'égard de la responsabilité du Maire, la Mairie de Toulouse, comme à chaque occupation illicite de bâtiments ou de terrains municipaux, demande que des constats d’huissier soient réalisés, ce qui est le cas sur cet établissement comme pour les autres. En l’état, pour cette école, la collectivité n’a pas déposé de demande d’expulsion.

Par ailleurs, la Mairie de Toulouse nous a communiqué le courrier qu'elle a adressé aux parents d'élèves dans lequel il précise sa position suite à l'occupation de l'école Bonnefoy. En voici un extrait :

Plus de 311 enfants dorment à la rue en Occitanie

Dans un communiqué, le collectif précise que les communautés scolaires d’écoles toulousaines pallient les manquements de l’Etat en matière de logement. Le collectif, "jamais sans toit dans mon école" met à l’abri des enfants et des familles laissés à la rue par l’inaction des services de logement d’urgence. À Toulouse, une dizaine de familles est prise en charge par le collectif.

Actuellement deux écoles sont réquisitionnées par le collectif. L’école Bonnefoy et depuis le mois de janvier l’école Mitchoun qui abrite deux familles composées de 4 enfants, âgés de 0 à 9 ans.

Précédemment deux écoles avaient été réquisitionnées par des parents et enseignants, suite à la décision de la préfecture de Toulouse en mai 2023, d’expulser des dizaines de familles et leurs enfants de leur logement. 

"L’hôtel ne doit pas être une solution à long terme, sans droits il n’a pas de solution, la seule solution est que les personnes rentrent dans leurs pays", avait précisé la préfecture lors de l’audience du 24 octobre 2023.

Dans un communiqué de presse du 21 décembre 2023, la préfecture de Haute-Garonne, rappelait :

Concernant l’établissement Calas-Dupont, réquisitionné en novembre dernier, le Maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, avait annoncé dans une interview pour France Bleu l’expulsion des écoles réquisitionnées ainsi que des "mesures disciplinaires" pour les enseignants qui participaient à la mobilisation.

 "J’ai demandé à ce qu’on entame des procédures, qu’on fasse faire des constats d’huissiers en vue de demander l’expulsion, car ces occupations sont illégales".

En octobre dernier, le FAS (Fédération des Acteurs de la Solidarité) recensait 944 personnes remises à la rue dont 439 enfants depuis le mois de mai 2023. Parmi elles, 658 personnes, dont 311 sont des enfants dorment encore à la rue sans proposition de relogement.

"Un enfant qui ne dort pas dans un lieu sécurisé, dans un lieu au chaud, il ne peut pas bien étudier, bien faire ses devoirs, c’est une insécurité permanente, ce n’est pas possible", s’exaspère Claire.

"Heureusement il y a un élan de solidarité. Nous sommes une poignée de parents à juger cette situation inacceptable. Une poignée de parents ici à Bonnefoy mais il y a beaucoup de poignées de parents partout dans des écoles à Toulouse ou sur le territoire français", rajoute ce parent d'élève...

"On a des enfants qui vivent à la rue, des enfants qui vivent dans des squats, qui ont 7 ans et qui vivent en squat depuis qu’ils sont scolarisés et même avant! C’est la réalité aujourd’hui des enfants dans les écoles", s'indigne Nathalie.

"Pour la nourriture on se débrouille, il nous manque un toit", précise Juliette. Elle espère comme tous qu’une solution pérenne soit trouvée pour cette famille. La maman apprend le français, elle a déjà effectué quelques missions, la journée elle est sans domicile fixe, accueillie par des associations et tous les soirs elle appelle le 115, sans réponse favorable à un hébergement d’urgence. C’est grâce à la solidarité des parents d’élèves et du collectif que tous les soirs avec ses enfants, elle échappe à la rue.

Enfants à la rue : le constat  alarmant de l'UNICEF

Le 30 août 2023, L’UNICEF France et la FAS publiaient leur cinquième baromètre "Enfants à la rue". Le constat est alarmant : loin d’être en diminution, le nombre d’enfants sans solution d’hébergement est en augmentation de plus de 20 %par rapport à l’année dernière et 2,5 fois plus qu’il y a 18 mois.

"Face au nombre toujours plus important d’enfants sans solution d’hébergement à la veille de la rentrée scolaire, l’UNICEF France et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) appellent le gouvernement à mettre en œuvre, sans délai, les mesures nécessaires pour tenir l’engagement de "ne plus avoir aucun enfant à la rue."

Cette analyse recense le nombre de personnes en famille n’ayant pas pu être accueillies dans des structures d’hébergement adaptées malgré leur demande auprès du 115, le numéro d’appel d’urgence pour les sans-abris.

Au moins 1 990 enfants étaient sans solution d’hébergement avant la rentrée scolaire

Si l’Île-de-France reste la région qui comptabilise le plus grand nombre de personnes en famille en demandes non pourvues, la situation est également tendue en régions, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes (476), dans les Hauts-de-France (416) et en Occitanie (314).

Il est temps que le gouvernement se donne les moyens d’honorer son engagement de "ne plus avoir aucun enfant à la rue "rappelle l’association de Défense des Droits de l'Enfance.

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