Dix membres de l’association Ultime Liberté ont été placés en garde à vue le 12 janvier dans le cadre d’une enquête portant sur un trafic de pentobarbital, interdit en France et utilisé pour l’aide au suicide. L'association veut faire changer la loi interdisant le suicide assisté.
De sa garde à vue de près de 36 heures entre les 12 et 13 janvier, Patrice Bernardo, vice-président de l’Antenne toulousaine de l’association Ultime Liberté, est ressorti « encore plus déterminé à faire bouger les lignes et à agir pour faire modifier la loi ».
À 76 ans, cet ancien kinésithérapeute, militant pro-euthanasie de longue date a, comme dix autres membres l’association Ultime Liberté, fait l’objet d’une enquête concernant un trafic de produit interdit, notamment le pentobarbital, un puissant anesthésiant utilisé par les vétérinaires, interdit en France depuis 1996. Une information judiciaire a en effet été ouverte pour « importation, détention, acquisition et emploi illicites de substances classées comme psychotropes ».
L'aide au suicide légalisée en Suisse et en Belgique
L’association, créée en 2009, compte plus de 3000 adhérents au plan national. L’antenne de Toulouse regroupe 228 adhérents qui sont pour la plupart âgés de 70 à 80 ans. L’association conseille les personnes « au bout du rouleau » qui souhaitent mettre fin à leur vie, sur la manière de procéder pour se procurer le produit interdit en France. Contrairement à l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) qui oriente les « candidats au suicide » vers la Belgique ou la Suisse où l’aide au suicide est légalisée, Ultime Liberté pousse l’aide plus loin en indiquant où et comment se fournir la substance illégale.
C’est ainsi qu’en octobre 2019, lors d’un rapatriement de produits achetés par des particuliers, au prix fort (jusqu’à 900€ pour un produit qui vaut environ 7€), auprès d’un vétérinaire mexicain, la douane américaine a repéré les produits. Un « coup de filet » a alors eu lieu en France et dans d’autres pays du monde. 135 flacons avaient été saisis lors de perquisitions réalisées sur tout le territoire.
Patrice Bernardo, vice-président de Ultime Liberté insiste. Il l’a répété maintes et maintes fois pendant son audition, « l’association ne pousse pas au suicide, ne fait pas de propagande de produit illicite, n’a pas de stock de pentobarbital dans son armoire à pharmacie et ne revend pas ce produit aux personnes qui contactent l’association». Il précise que «si l’éventualité d’avoir une « fiole d’urgence » pour les cas d’urgence a été envisagée, l’option n’a pas été retenue et ce n’est pas une pratique de l’association »
Pouvoir choisir pour soi-même
Il n’a de cesse de répéter que l’objectif numéro 1 n’est autre que de faire changer la loi interdisant l’aide au suicide en France.
Nous sommes régis par la loi Leonetti qui accepte qu’une équipe médicale laisse mourir une personne par sédation, une forme d’agonie, ce qui est hypocrite et ignoble, alors que lorsque la décision est prise, il est possible pour la personne de mourir quand elle et elle seule le décide et en douceur
Marie Chiocca, psychanalyste toulousaine et membre de l’Association, rejoint Patrice Bernardo sur le fait que le combat porte sur le droit de choisir pour soi.
Aujourd’hui, la décision est laissée au pouvoir médical qui est atteint. Les lobbies sont très forts. Pourtant chacun doit avoir cette «ultime liberté ». Devoir aller à l’étranger est une injustice énorme pour ceux qui ne le peuvent pas. Ces personnes qui souhaitent en finir veulent éviter une vision dégradée d’eux-mêmes à leurs proches
Marie Chiocca indique que l’association a un rôle d’écoute très important auprès de ces personnes souvent âgées et très seules. Cette bénévole de l'association se définit comme « en seconde ligne » car elle anime des groupes de parole destinés aux accompagnants des adhérents qui souhaitent mettre fin à leur vie. En tant que psychanalyste, elle les forme à accueillir la parole de ceux qui souhaitent mourir.
Elle confie que souvent « le simple fait de savoir que l’on peut avoir accès au produit fait que les gens ne l’utilisent pas, ils ont avant tout besoin d’être rassurés.
Écoutés, soutenus, conseillés, même en possession du produit létal, de nombreuses personnes ne vont pas au bout de leur démarche initiale
Patrice Bernardo et Marie Chiocca comparent leur combat à celui que d’autres ont mené pour faire légaliser l’IVG.
Personne n’a le courage de résoudre ce problème de société alors on coupe le cou aux résistants
Prendre modèle sur les voisins européens?
Les membres de l’association mènent des actions concrètes pour faire aboutir leur volonté de modification de la loi actuelle. Epaulés par leur avocat, Maître Pierre Alfort, avocat au barreau de Toulouse, ils rédigent un projet de loi acceptable pour eux, c’est-à-dire globalement sans la mention de nécessité d’être malade pour pouvoir opter pour le suicide assisté. Une fois rédigé, ce projet de modification de la loi sera soumis aux politiciens de tous bords.
Ils observent également ce qui se passe chez les voisins suisses, belges et allemands. Ils étudient actuellement spécialement le cas de l’Allemagne « pour voir comment les avocats allemands ont fait comprendre aux tribunaux que le droit au suicide était constitutionnel »
Maitre Alfort, avocat de l’association Ultime Liberté, confie qu' "au niveau légal, c’est très compliqué mais que faire évoluer la loi est possible".
Il y a un aspect jurisprudentiel européen à prendre en compte. Le cas de l’Allemagne pourrait jouer en notre faveur. Nous espérons que la France, si elle n’est pas encore prête à passer le cap aujourd’hui, sera à l’unisson des décisions rendues en Europe
La législation sur la fin de vie est également plus ouverte dans d'autres pays européens comme l'Espagne et le Portugal. Le Portugal approuve la dépénalisation de l'euthanasie. Aux Pays-Bas et en Belgique, l'euthanasie est autorisée depuis 2002. Au Luxembourg, elle l'est depuis 2009. En Suisse, le suicide assisté est autorisé. Le principe est le même que pour l'euthanasie, mais le patient doit s’administrer lui-même la dose létale.